Mai-Juin 1968 au jour le jour

Revue de presse par André Calvès

 

Du 3 au 13 Mai 1968 :

 

Quand cette période se sera écoulée, il y aura du nouveau en France.

Pour la première fois depuis plus de dix ans, des manifestants auront contre-attaqué, et des centaines de policiers soignent leurs plaies. Souvenons nous qu’à Charonne, 9 paisibles manifestants furent tués sans qu’un seul policier soit blessé... ou inculpé. Une bonne partie de la gauche officielle avait juré qu’ils seraient vengés...

Pour la première fois depuis plus de dix ans, des centaines de milliers d’ouvriers débrayent sans donner de préavis aux patrons.

Pour la première fois depuis 24 ans, des centaines de milliers d’hommes vont s’intéresser de très près à la politique et réfléchir sur une quantité de problèmes anciens et nouveaux.

 

Comment cela démarre-t-il ?

Des étudiants de Nanterre veulent tenir un meeting sur divers problèmes (dont celui du Viêt-nam). Ils demandent une salle. Le recteur refuse. Les étudiants occupent la salle. Le recteur appelle la police et fait fermer Nanterre.

Les étudiants viennent à la Sorbonne. Les fascistes « d’Occident » annoncent qu’ils perturberont la réunion. Précédemment ces fascistes avaient provoqué un commencement d’incendie à la Sorbonne. Durant les années précédentes, ils ont souvent attaqué des étudiants de gauche désarmés. Ils constituent un danger d’autant plus grand qu’ils sont protégés par la police. Le PCF le sait fort bien puisqu’il a demandé, sans obtenir satisfaction, au gouvernement la dissolution d’Occident.

 

Les étudiants prennent donc des précautions élémentaires. Ils constituent un service d’ordre. Voila qui semble contrarier le recteur. Il n’a pas eu un mot contre les multiples attaques d’Occident dans le passé. Mais si les victimes veulent se défendre, ça ne va plus. Ça va faire une bagarre. Le recteur appelle la police.

Cette dernière laisse croire aux étudiants qu’ils peuvent sortir librement de la Sorbonne (France-Soir du 5-6) et les embarque à plus de 500 dans des cars.

Plus tard le ministre de l’Intérieur dira qu’il s’agissait de simples vérifications d’identités... et qu’elles étaient plus aisées dans les commissariats que dans la cour de la Sorbonne !

 

Notons qu’au cours de cette opération, les étudiants ne résistent pas. Aucune bagarre. Ils montent dans les cars. Le préfet de police, ravi, pense avoir décapité le mouvement, paisiblement, en arrêtant tous les meneurs.

C’est vrai. Il a les meneurs. Mais il se trompe pourtant lourdement. Voyant passer les cars qui emmènent leurs camarades « meneurs », voyant la Sorbonne occupée, les étudiants réagissent. Les manifestations spontanées commencent.

A partir de cet instant, plus un coup ne sera reçu sans réplique. Pour cent blessés la veille, il y aura mille nouveaux manifestants le lendemain.

Tous ceux qui ne croyaient plus aux pétitions, aux « dispersez vous dans le calme », tous ceux là sortent dans la rue.

Tout commence parce que mille jeunes manifestent sans attendre d’un préfet de police une autorisation ou une interdiction, devant laquelle s’inclinent ceux qui s’intitulent « la Direction du Prolétariat français. ».

 

Et, à cause de ces jeunes effrontés, des hommes sages, très sages et très hypocrites, vont faire des découvertes ahurissantes :

 

« La rénovation de l’Université ; le gouvernement et moi-même n’avons cessé de la proclamer indispensable. » Georges Pompidou, 11 Mai.

 

« Je considère que le gouvernement actuel a accumulé une série d’erreurs et qu’il est à l’origine des troubles que la France a connus. » René Capitant.

 

« Quand une pareille explosion se produit, il faut bien se dire que c’est probablement parce que le couvercle de la marmite a été tenu bien serré pendant longtemps et que les soupapes, ou bien manquaient, ou bien fonctionnaient mal. » Jacques Chaban-Delmas.

 

« Il est parfaitement tolérable et admissible que des étudiants manifestent pour exprimer leurs revendications, leurs idées politiqués, ce sont les violences qui ne peuvent être tolérées. »M. Grimaud, Préfet de police.

 

(Notons que jusqu’à ce jour, les manifestations étaient interdites comme gênant la circulation)

« Jamais, sans les manifestations et, hélas, les barricades, la réforme, la refonte de l’Université ne se seraient imposées avec cette évidence et cette urgence aux gouvernants et aux enseignants eux-mêmes. » Le Monde 19-20 Mai.

 

« La juste cause des étudiants, celle de l’Université va-t-elle l’emporter ? » L’Humanité, 9 Mai.

 

Mais, revenons en arrière afin de voir comment ceux qui saluent les vainqueurs de la première étape, les encourageaient au départ de la course.

 

Le journal fasciste « Minute » va donner le ton... à De Gaulle... et à Marchais.

« Dans le tumulte actuel, ce Cohn-Bendit doit être pris par la peau du cou et reconduit à la frontière sans autre forme de procès. Nous n’abandonnerons pas la rue à la chienlit des enragés. »

 

Dans l’Humanité du 4 Mai, l’U.E.C. déclare :

« Les responsables gauchistes prennent prétexte des carences gouvernementales (…)pour empêcher la masse des élèves de travailler et de passer leurs examens.

Par leurs mots d’ordre aventuristes, par leur conception de l’action vio­lente de petits groupes, ils freinent la mobilisation massive des étudiants qui, seule, peut faire reculer le pouvoir. »

 

Pour Le Figaro du 4 Mai.

« Étudiants ces jeunes ? Ils relèvent de la correctionnelle plutôt que de l’Université. »

 

D’accord sur un point avec l’UEC, le réactionnaire président du conseil de Paris, stigmatise :

« L’action inadmissible d’une poignée d’agitateur. »

 

Pour sa part, la municipalité PCF de Nanterre définit socialement ces agitateurs :

« Certains groupuscules (…) composés, en général, de fils de grands bourgeois... vis(e)nt à empêcher le fonctionnement normal de la faculté. » L’Humanité du 4 Mai. L’Humanité du 4 Mai page4

 

Dans ce même journal Georges Bouvard prophétise :

« Déjà la grande masse des étudiants... peut mesurer les conséquences graves auxquelles, inévitablement, conduit l’aventurisme politique. »

 

Pour sa part, Guy Mollet, orfèvre en la matière :

« Met en garde contre les faux révolutionnaires. »

 

Nous venons de voir quelques impressions sur le début et la fin de cette étape. Voici maintenant des points de vue au fil des jours :

« A la Sorbonne, le service d’ordre (gauchiste) gardait les entrées, sous prétexte de faire face à une attaque des fascistes d’Occident. » L’Humanité du 4 Mai page 4.

 

« Le festival de la jeunesse se prépare. A la Bourse du travail, Marius Bertou met en garde contre les gauchistes... Toutes les dispositions sont déjà prises pour que le festival se déroule normalement. » L’Humanité du 4 Mai page 5.

 

A part ça, tout est calme, selon les normes capitalistes, dans le monde du travail. 6 mineurs sont tués par un coup de grisou à Roche la Molière.

« Vendredi vers 16h15, le service d’ordre bloque les issues de la faculté. A 16 h 45, sur la demande du recteur, une importante colonne de policiers casqués et munis de boucliers et de matraques en caoutchouc, suivis par les gendarmes mobiles, pénètrent dans la faculté où ils encerclent les manifestants. » Le Monde 5 Mai

 

Il faut comprendre le recteur. Toute la presse, toute, clame que seuls des groupuscules sèment la pagaïe. Arrêtons les groupuscules et tout ira bien. Or...

« Très vite les choses s’enveniment... Lors des charges, les policiers matraquent souvent au hasard et parfois même s’acharnent sur un manifestant isolé. La violence atteint ici son paroxysme. Les policiers sur lesquels les manifestants lancent des projectiles de toutes sortes, les renvoient à leur tour et s’en prennent même aux automobilistes qui tentent de passer. » Le Monde du 5Mai.

 

« Plus de 600 interpellations au cours des violences du Quartier Latin. 27 arrestations maintenues. »

 

L’organisation fasciste d’Occident déclare :

« Il faut opérer un nécessaire nettoyage de l’université parisienne. »

 

L’UEC affirme :

« Les faux révolutionnaires se comportent en alliés du pouvoir gaulliste et de sa politique. »

 

Le Figaro :

« Il est navrant de constater qu’un millier de jeunes en révolte puissent bloquer la machine universitaire. »

 

Le recteur de l’académie de Paris :

« Suffit-il d’une poignée de trublions pour obliger à suspendre tout enseignement dans deux facultés ? »

 

Quoi qu’il en soit, trublions ou poignée d’agents du pouvoir, ils sont en prison ou soignent leurs plaies. Tout devrait donc pouvoir revenir dans « l’ordre ».

Mais, le Bureau National de l’Union des Étudiants de France (U.N.E.F.) appelle à la grève. L’Humanité du 6 Mai page 5, publie rapidement une liste des villes qui ne s’associent pas à la grève.

Cependant, comme il faut tenir compte des étudiants sensibilisés par le mouvement, une tactique (subtile ?) est adoptée discrètement par la direction du PCF.

L’Humanité du 6 Mai, page 5 nous apprend que les étudiants de Nancy, tout en refusant de se solidariser avec les gauchistes :

« Décident d’organiser une campagne de protestation contre l’agression des forces de police qui a frappé pour l’essentiel, des étudiants qui n’apportaient pas leur soutien au mouvement du 22 Mars. »

Nous verrons bientôt des gauchistes lancer des pavés et se retirer pour que les « étudiants honnêtes » reçoivent les grenades. Nous verrons ces gauchistes « fils de grands bourgeois », désapprouvés par les « étudiants honnêtes », construire des barricades, derrière lesquelles viendront bêtement se placer les honnêtes pour attendre l’assaut policier.

 

Pendant ce temps, la vie sociale est calme... du point de vue bourgeois. Un jeune ouvrier est écrasé aux Forges de Gueugnon par une bobine d’acier de 5 tonnes.

 

Dimanche 5 Mai

Les juges pleins de courage condamnent à deux mois de prison ferme quatre jeunes pour « violences à agents ». Huit autres sont condamnés avec sursis.

Bien entendu, des dizaines de jeunes ont déjà été tabassés dans les commissariats, ainsi qu’il est d’usage dans les républiques 3, 4 ou 5.

Il faut noter ici une tactique de la police. Dans une manifestation, il faut nécessairement arrêter un certain nombre d’étrangers. C’est du meilleur effet sur l’ancien combattant ou l’épicier de province. Mais s’il n’y en a pas ? On va en arrêter dans le premier café venu, et pour prouver qu’ils manifestaient, on les assomme.

Le Monde note à propos de la rafle du café « Le Rond point » :

« L’explication de troubles dramatiques comme ceux du Quartier Latin par l’action de « meneurs » constitue le refuge habituel de l’aveuglement volontaire... Les insinuations xénophobes ajoutent l’odieux à l’absurde. »

 

Lundi 6 Mai

L’organisation étudiante de droite, la FNEF déclare, comme l’UEC :

« Le gouvernement a favorisé les menées des extrémistes. »

Le SGEN (CFDT) dit pour sa part :

« Pas de solidarité avec des groupes à l’action incohérente. »

Ce qui évite de parler de solidarité avec les emprisonnés.

Mais le syndicat de l’Enseignement supérieur réclame :

« La démission du recteur Roche, l’arrêt des poursuites judiciaires, le retrait des forces de police du Quartier Latin. »

Et toute la journée, des milliers de jeunes manifestent au Châtelet et luttent contre les flics, rue St Jacques et Place Maubert.

Le soir, il y a 20 000 personnes à Denfert-Rochereau. On entend pour la première fois : « Nous sommes tous un groupuscule », « Une dizaine d’enragés ». Ce slogan que tout Paris entendra, ni le Populaire, ni l’Humanité ne l’entendront jamais.

La police charge un peu partout : 422 arrestations.

Le préfet de police admet : « Il s’agit de manifestations largement spontanées. »

 

Mardi 7 Mai

Séguy secrétaire général de la CGT, parlant de la solidarité entre travailleurs et étudiants, déclare :

« C’est une tradition qui nous incite justement à n’avoir aucune complaisance envers les éléments troubles et provocateurs qui dénigrent la classe ouvrière, l’accusant d’être embourgeoisée, et ont l’outrancière prétention de venir lui inculquer la théorie révolutionnaire et diriger son combat. » L’Humanité 7 Mai page6.

Séguy ne confond pas les étudiants et les gauchistes, mais tient absolument à ce qu’on le confonde, lui, avec la classe ouvrière. Il ne veut pas non plus qu’on critique sa propre théorie « révolutionnaire » qui consiste à faire crier depuis dix ans : « Charlot, des sous !».

 

De son côté, le bureau confédéral de F.O :

« Déclare réprouver les excès de meneurs irresponsables et les violences qui en résultent. »

C’est à peu près ainsi qu’il caractérisa les grèves de la CGT en 1949.

De Gaulle, pour sa part, affirme :

« Il n’est pas possible de tolérer la violence dans la rue. »

 

L’UNEF et le syndicat de l’enseignement supérieur sont donc les seules organisations syndicales à mener le combat.

Seules, mais avec 50 000 jeunes qui, partant de Denfert-Rochereau, vont défiler pendant cinq heures jusqu’aux Champs-Élysées derrière une banderole : « Vive la Commune ! »

Précisément, depuis la Commune de Paris, jamais une manifestation d’extrême gauche n’avait été, drapeaux rouges et noirs en tête jusqu’à l’arc de triomphe.

La Préfecture de Police et l’Humanité chiffrent à 15 000 le nombre des manifestants.

Après le retour vers le Quartier Latin, profitant d’un nombre plus faible de manifestants la police charge.

« Boulevard Raspail, quelques groupes dressent deux barricades ; le gros des manifestants ne prennent aucune part à l’affaire.» note l’Humanité du 8 Mai, page 4.

 

Mercredi 8 Mai.

Il fallait qu’il y ait eu la veille plus de 15 000 dans la rue pour que la CFDT et la CGT décident de se solidariser avec les étudiants !

Bien entendu :

« Les cadres CGT de chez Bull ont envoyé un télégramme de solidarité à l’UNEF et au SNES Sup. dans lequel ils réprouvent la répression policière encouragée par les actions de certains éléments irresponsables »

Tandis que

« La section communiste Renault fait signer une pétition demandant la réouverture des facultés et la libération des emprisonnés ». L’Humanité 9 Mai page4.

 

A l’Assemblée Nationale, Peyrefitte déclare :

« Si l’ordre est rétabli, tout est possible. S’il ne l’est pas, rien n’est possible. »

 

Il semble que l’UNEF ait fait quelque crédit aux propos de ce monsieur car, après un meeting à la Halle aux Vins et un défilé de 20 000 personnes, Odéon Luxembourg, l’ordre de dislocation est donné, en dépit des critiques de plusieurs organisations révolutionnaires dont la J.C.R. qui soulignent que la Sorbonne est toujours occupée par les flics et que les camarades restent emprisonnés.

L’UNEF recherche la possibilité de manifestation commune avec la CGT et la CFDT : Sauvageot déclare :

« Nous maintenons l’ordre de grève tant que nos trois points ne seront pas satisfaits. »

 

Plusieurs milliers de jeunes assis sur la chaussée du Boulevard St Michel tiennent un meeting :

« Faut-il attendre un hypothétique appui des grandes centrales syndicales ouvrières ? Faut-il durcir le mouvement dans le Quartier Latin ? Faut-il aller en banlieue ouvrière en cortège ? » Divergences entre JCR, Prochinois et F.E.R.

 

Certes, il y a un début d’éveil dans les grandes centrales. L’Humanité du 10 Mai, pages 1 et 4, écrira :

« La CGT, la CFDT et l’UNEF étudient les conditions d’une action commune. Ce n’est pas en faisant charger des policiers déchaînés sur des manifestants, en blessant par centaines les étudiants que l’on freinera le légitime mouvement des étudiants. »

 

« Louis Aragon a été invité à prendre la parole devant les étudiants réunis. »

En vérité, il est accueilli par des huées et il ne pourra avoir le micro que sur la demande de Cohn-Bendit :

« Même les traîtres doivent pouvoir s’exprimer !»

 

Donc, en cette fin de journée, les étudiants deviennent méfiants.

L’Humanité manifeste quelque sollicitude pour l’UNEF et « le mouvement de protestation. » Elle note le 10 Mai que :

« Les groupes se réclamant du trotskysme et de l’anarchisme se livrent à des manoeuvres de division et reprochent à l’UNEF d’avoir fait une manifestation trop raisonnable la veille. » page 4

 

Avec l’espoir que le mouvement va rentrer dans le lit de la légalité bourgeoise, M. Peyrefitte déclare à 20 heures :

« Le calme n’est pas revenu. »

En fait, tout est calme ce soir, mais le ministre croit pouvoir se raidir. Quant au recteur Roche, il en rajoute en déclarant à 24 heures :

« Le conseil disciplinaire de l’Université ne siégera pas. »

 

Ce même soir, un meeting de la J.C.R. rassemble plusieurs milliers de jeunes à la Mutualité. A l’extérieur, un très puissant service d’ordre comprend des jeunes de toutes les tendances. A l’intérieur, après exposé des leaders J.C.R, tous les courants du mouvement sont invités à s’exprimer. Tous parlent dans le sens d’un durcissement de la lutte.

 

Vendredi 10 Mai.

Manifestation à Denfert-Rochereau à 18h30. 5 000 jeunes des Comités d’Action Lycéens se joignent au mouvement. Débat sur la direction de la manifestation. La police interdit l’accès de certaines rues. La manifestation se dirige vers le Luxembourg. Les slogans sont : « Libérez nos camarades », « Nous sommes tous un groupuscule », « Libérez la Sorbonne ».

 

A 21 heures, au Luxembourg, la foule est face à la police.

Geismar (secrétaire du SNES Sup), Sauvageot (secrétaire de l’UNEF), Cohn-Bendit (délégué du mouvement du 22 mars) tentent de négocier les 3 points avec le ministre par l’intermédiaire du recteur Roche. Le ministre fait traîner les choses en longueur.

 

Dans l’Humanité Dimanche du 12 Mai (c’est à dire, lorsque l’émotion et la mobilisation des jeunes battent leur plein) Martine Monod écrit :

« Après différentes tractations, aucun accord n’intervient. Mais les forces de police se sont servies de ce temps pour recevoir des renforts et, finalement, cerner complètement le périmètre où se trouvent concentrés les étudiants. Ceux ci sentent le danger. Finalement, c’est une soixantaine de barricades qui formeront leur dispositif. » (Page 8)

 

Avouons que Martine Monod comprend, si elle ne l’approuve, l’action des « gauchistes ».

Mais revenons à l’Humanité du 11 Mai qui, imprimée dans la nuit, ne pouvait, bien sûr, pas imaginer l’ampleur du combat qui allait se dérouler et qui, en conséquence, continuait sur... sa lancée.

« Les deux caractéristiques de la manifestation d’hier ont été la participation importante des lycéens et la désapprobation par un grand nombre d’étudiants du comportement, au terme du défilé, de quelques groupes trotskystes et anarchistes qui persistent à faire de la violence un but… » page 4

« Alors que plusieurs milliers d’étudiants étaient encore bloqués dans le boulevard St Michel, certains se mettaient à arracher des panneaux, à dégager des pavés pour « la riposte ». De très nombreux étudiants parvenant ensuite à leur hauteur et découvrant ce spectacle devaient le désavouer. » article de Charles Sylvestre

Dans le n° spécial de l’Humanité qui parait à midi et qui relate le même épisode, la dernière phrase a disparu !

 

Par contre il y a maintenant une déclaration de Séguy :

« Le gouvernement vient de publier un communiqué qui tend à faire porter aux étudiants la responsabilité des violences de cette nuit... La CGT proteste avec véhémence et indignation contre l’attitude du gouvernement. S’il veut réellement éviter que la situation s’aggrave, il doit retirer immédiatement ses forces de police du Quartier Latin. » page 1.

 

Quant au Bureau Politique du PCF, il affirme :

« Le pouvoir gaulliste a, cette nuit, lancé avec une violence inouïe, ses forces de répression policière contre les étudiants et les professeurs parisiens. Le bilan est déjà lourd. » page 1.

 

Notons que le gouvernement a toujours pris soin de distinguer entre « la masse des étudiants » et « les émeutiers. » Il peut dire, sans mentir qu’il a puisé sa documentation dans l’Humanité, et ajouter, au besoin que ce sont les trotskystes qui ont attaqué les premiers les policiers puisqu’ils « font de la violence un but. »

 

A Paris, les événements de la nuit ont déclenché une immense émotion. L’expression « CRS SS » est dans toutes les bouches.

Pourtant le début de la nuit était assez calme. Derrière leurs barricades beaucoup d’étudiants étaient convaincus que Pompidou libérerait la Sorbonne et les prisonniers. Quand, après un meeting, un cortège de 1500 membres de la FER (Lambertistes) avec leur comité central en tête, se présenta devant la première barricade, il fut acclamé par les étudiants qui croyaient à des renforts. Mais si ça n’était pas Blücher, ce ne fut pas non plus Grouchy. Les lambertistes scandèrent leur slogan : « 500 000 ouvriers au Quartier Latin ! », puis ils firent demi tour sous les huées. La thèse lambertiste était que le mouvement étudiant offrait peu d’intérêt, les barricades, une foutaise et que seul le mouvement ouvrier avait une grande importance. L’histoire prouva que c’est la lutte étudiante et les barricades qui émurent le mouvement ouvrier et contribuèrent faire venir au Quartier Latin beaucoup plus de 500 000 travailleurs peu après.

 

Les CRS et la police attaquèrent à deux heures du matin. La guerre fut menée, en fait, contre toute la population d’un quartier. Les flics grenadaient les fenêtres, brisaient les portes, assommaient tout ce qui bougeait, manifestants ou infirmiers, jeunes ou vieux. Au matin, le bistrotier le plus placide était plein de haine contre les bandes armées du régime.

Pour donner une idée de l’ampleur des barricades, il suffit de noter que pour la construction d’une seule, à l’angle de la rue St Jacques et de la rue Gay Lussac, deux colonnes de cent jeunes se passaient les pavés à une allure stupéfiante. Les ouvriers venus le lendemain pour le nettoyage, avec leurs engins, ne cachaient pas leur admiration sur le plan technique. Il leur fallut deux jours pour charger tous les pavés dans des camions.

Lorsqu’ils repavaient au milieu de milliers de curieux, ils entendaient : « Ne les posez pas trop serrés. » Et ils acquiesçaient avec le sourire.

 

Reprenons le reportage de Martine Monod publié dans l’Humanité Dimanche. Nous y verrons, bien que discrète, une allusion aux responsables des incendies de voitures :

« Tous les types de grenades composant l’arsenal des forces de police sont actionnées par un bouchon allumeur dont la flamme peut être incendiaire. »

L’Humanité du 15 Mai reviendra :

« Les explosions se succédaient : Grenades offensives et réservoirs d’essence des voitures. »

Ce qui n’empêchera pas René Andrieu de mettre, après les élections, les incendies de voitures au compte exclusif des manifestants.

 

Mais en ce qui concerne le résultat de cette nuit ?

On lira beaucoup plus tard qu’il a consacré le succès électoral gaulliste. Or, dans l’Humanité du 12 Mai, Martine Monod écrit :

« Le pouvoir a voulu terroriser. Il suffit de lire les pages voisines de ce journal pour voir qu’il n’a pas réussi. »

En effet, sans barricades, sans combativité (songeons qu’à deux heures du matin, à la surprise des chefs de police, les étudiants étaient par milliers à leur poste de combat) la manifestation eut été balayée en une heure. Il y aurait sûrement eu beaucoup de morts comme à Charonne. L’expérience prouve que la foule qui fuit éprouve plus de pertes que celle qui fait face. Le policier se sent une âme de héros devant une tête tournée. Martine Monod a raison.

Les syndicats CGT, CFDT, FEN, FO, appellent à une grève générale de 24 heures.

JAMAIS jusqu’à ce matin du 11 Mai, ils n’avaient pu ou voulu se réunir pour une telle action. Jamais le classique préavis de grève n’avait été traité avec un tel dédain.

 

Pompidou s’empresse de déclarer :

« La Sorbonne sera librement rouverte à partir de lundi. »

Tout en continuant les ridicules calomnies classiques dont il n’a pas, hélas, le monopole :

« Je demande aux responsables des organisations représentatives de l’Université de rejeter les provocations de quelques agitateurs professionnels. »

 

Les étudiants de Science Po refusent de passer leur examen. 4 à 500 d’entre eux se rendent à l’hôpital de la Salpetrière afin de donner leur sang aux blessés des barricades.

L’annexe de Censier est occupée. Des milliers de gens apportent des médicaments.

Des commerçants (de la rue Mouffetard en particulier) apportent des cageots de fruits.

Le préfet de police cherchant à atténuer l’émotion populaire, soutient qu’il y a :

« 108 blessés parmi les étudiants, 251 policiers et 14 non étudiants. »

Cet homme ment comme il respire. Il sait fort bien que des centaines de blessés sont soignés chez des particuliers. Trop de gens ignorent encore que dans la démocratie française, se déclarer blessé dans une manifestation, c’est risquer d’être inculpé.

 

Une commission de médecins accuse la police d’avoir utilisé les mêmes gaz toxiques que les américains au Viêt-nam.

Rue Gay Lussac, un centre d’information donne tous les détails sur la nature de ce gaz. Des milliers de tracts informent la population.

Sur la route du centre d’internement de Beaujon, les matraquages ont continué et nombre de jeunes filles arrêtées ont été pelotées avec le droit à une gifle et des injures quand elles protestaient. L’une notait : « Les satyres du métro sont tout de même plus polis. »

On apprend que De Gaulle, qui a passé une nuit blanche, a convoqué à 6h30 un conseil interministériel. Peut-être songe t-il à la belle phrase qu’il prononça en 1958 :

« Je vous promet, dans dix ans, une belle arrivée ! »

Les juges d’instruction décident de travailler un dimanche après midi et mettent en liberté provisoire les emprisonnés de mardi.

 

Lundi 13 Mai :

Grève générale.

Le BP du PCF déclare :

« Ouvriers et étudiants éprouvent ensemble les contradictions du régime qui engendre l’exigence révolutionnaire. »

Qui eut imaginé ce ton, huit jours avant, quand les « gauchistes » empêchaient le déroulement « normal » des cours à Nanterre ?

« Cette unité de la classe ouvrière et des étudiants met en cause le régime même. »

« La révolte des étudiants, à elle seule, condamne sans appel le régime. »

Et cette déclaration capitale :

« L’élément qui a contribué à « souder » entre eux étudiants et professeurs a été la réaction contre les brutalités policières. » L’Humanité du 13 Mai.

 

Dans une table ronde organisée par l’Humanité, le tournant est encore plus souligné. Jean Bruhat :

« Je crois que notre parti a formulé sur tous les problèmes, un programme tout à fait juste, mais qu’il n’a pas pénétré pour autant, dés lors, dans les masses étudiantes et enseignantes. S’il y a eu un retard, ce n’est pas dans la formulation de notre programme mais dans sa pénétration. Quand je discute avec les étudiants, moi j’admire leur combativité. » page 6

Cette dernière phrase est, au fond, plus importante que tout le reste car elle souligne que le PCF n’a pas su montrer l’essentiel : les modes d’action.

 

La grande manifestation du 13 Mai.

 

On en a beaucoup parlé. On a dit : Un million de participants. On a noté que la place Denfert-Rochereau était pleine alors que les derniers manifestants n’avaient pas encore quitté la République. On a signalé que la quasi totalité du public sympathisait avec les manifestants.

Quelques autres points méritent d’être soulignés.

Pour la première fois en France :

 

1) Une immense manifestation unit ouvriers et étudiants et unit aussi tous les courants politiques du mouvement ouvrier. En tête, les leaders syndicaux CGT, CFDT, UNEF et, aussi Cohn-Bendit sur le même rang que Séguy (qui dira plus tard : Cohn-Bendit ? Connais pas !)

Voici une colonne CGT, puis un fort groupe de JCR. Encore un groupe PCF, puis les anars avec leurs drapeaux noirs. Et la FER et des colonnes de prochinois.

Les services d’ordre d’extrême gauche portent le casque, mais aussi des groupes qui sont visiblement des J.C. de banlieue.

Fortes colonnes de militants CGT et CFDT. Notons ici que contrairement à certains usages lamentables du passé, on ne voit aucun groupe de « gros bras CGT » pour tenter de séparer les bons manifestants des vilains gauchistes. C’eut été impensable dans cette gigantesque manifestation.

 

2) Cette manifestation unique par son dynamisme, traverse l’Ile de la Cité, le royaume des flics et des juges bourgeois. La cour du Palais de justice est vide. Au fond, derrière les vitres, un groupe de quelconques employés semble bien pâle d’allure. Ils ne bronchent pas quand deux jeunes installent des drapeaux rouges sur les grilles de leur royaume. Jamais depuis la Commune, une manifestation ouvrière n’avait effectué ce trajet. Notons, d’ailleurs que l’UNEF dut presque l’imposer aux grandes centrales syndicales.

 

3) Pour la première fois depuis 1935, il n’y avait pas un seul drapeau tricolore dans le cortège. Cela va de soit pour les organisations d’extrême gauche, mais il est significatif de constater que de très nombreux groupes PCF et CGT avaient spontanément apporté uniquement leurs drapeaux rouges. J’ai personnellement vu un groupe qui avait apporté un drapeau tricolore et le laissa roulé sur sa hampe, en ne déployant que le rouge. Aucune pression n’était exercée sauf celle qui était dans l’atmosphère de cette manifestation.

On ne peut s’empêcher de songer à toutes les arguties du passé : « Le drapeau tricolore est celui de toute la nation. Une manifestation associant d’autres couches sociales aux ouvriers ne peut se faire qu’avec le drapeau tricolore. » Etc, etc. Voila le vulgaire « bon sens » pris en défaut. Jamais manifestation ne fut plus unitaire, plus imposante, plus combative, et cela sous des drapeaux rouges et noirs.

 

4) Pour ceux qui ont connu les ternes défilés : « Pompidou navigue sur nos sous ! » et « attention camarades, pas d’insultes violentes à De Gaulle », « Pas de provocation », ce fut comme une révélation.

Si une authentique révolution se caractérise par la spontanéité de l’imagination populaire, on assistait là au début d’une révolution.

Qui oubliera : « Salauds, salauds, salauds... CRS répondit l’écho. » Et la longue complainte « Grimaud salaud ». Et les affiches des Beaux Arts contrastant heureusement avec les lamentables images d’Epinal vues pendant tant d’années.

Un groupe de manifestants portait, pendu à une potence, un mannequin grandeur nature revêtu d’un uniforme de policier... Et le mannequin fit tout le voyage, de la République à Denfert-Rochereau.

Il est intéressant de noter que J.C.R, F.E.R, etc n’étaient pas seuls à scander : « Nous sommes un groupuscule » ou à lever les deux mains en clamant : « Une dizaine d’enragés. » Plusieurs groupes de militants communistes scandaient les mêmes slogans comme si les droits d’auteur revenaient à Pompidou et non à Marchais.

 

5) On ne peut conclure sans souligner que jamais une manifestation ne comprit un si grand nombre de travailleurs antillais. Un groupe de plusieurs centaines défila en scandant : « Deux siècles... ça suffit ! » Nombreux aussi les travailleurs de toutes nationalités, et particulièrement les Portugais scandant : « De Gaulle, Franco, Salazar... assassins ! » Ces camarades très photographiés, trop photographiés sans doute, manifestaient un grand courage car une longue expérience leur faisait savoir qu’ils seraient les premières victimes de la répression en cas de reflux du mouvement. Il va de soi, en tout cas, qu’ils n’étaient chez eux que sous le drapeau du prolétariat mondial.

 

A Denfert, en dépit des mots d’ordre de dislocation, plus de 10 000 manifestants continuèrent jusqu’au Champ de Mars, tandis que la Sorbonne et diverses facultés étaient occupées par les étudiants.

Dans l’Humanité du 15 Mai, Wladimir Pozner pouvait écrire à propos de cette manifestation :

« L’ordre régnait ce jour là puisque les forces de désordre se cachaient prudemment. » page 5.

 

On ne peut mieux souligner que les «forces de désordre» sont celles de l’appareil policier

Dans toute la France les manifestations eurent une ampleur considérable. La presse mentionne :

« Toulouse : jamais vu ça depuis 20 ans ! »

« Nancy : sans précédent depuis 1936 ! »

« Brest : deux cortèges dans la même journée ! »

« Bordeaux : un cortège long de près de deux km ! »

« Marseille : 6 cortèges ont envahi la Canebière ! » etc, etc.

 

Lorsqu’en 1789, des milliers de parisiens marchent sur Versailles, ils réclament « du pain ! »

Chaque homme a dans sa tête des souvenirs de brimades, d’arrogance des nobles et du haut clergé, des souvenirs de supplices infligés, toujours aux pauvres. Mais tous ces souvenirs sont écrasés sous une dalle de résignation dans la tête de l’homme seul. Soudain il se trouve dans une foule. Il continue à crier « du pain ! », mais il veut déjà dire un tas d’autres choses.

Et cela commence à inquiéter beaucoup de libéraux, « amis du peuple » certes, mais peu soucieux de voir les manants approcher du pouvoir. Et ces libéraux s’emploient à répéter : « Votre mouvement est purement revendicatif. Du pain, un point c’est tout. Laissez vos amis s’occuper de la grande politique. »

Ainsi, plus le manant voudra aller de l’avant, plus les libéraux feront marche arrière ...pour arriver souvent, comme Dumouriez, dans les rangs de l’armée prussienne.

 

En 1871, nombre « d’amis du peuple » se cabrèrent devant la grossièreté et les prétentions du plébéien parisien. Ils se retrouvèrent, comme Georges Sand, derrière l’armée de Versailles. Certes, ils se disaient toujours pour une France plus juste... mais pas dirigée par des « irresponsables. »

 

En 1936, le mouvement ouvrier connut une ampleur extraordinaire. Des usines où il n’y avait pas dix syndicalistes, entrèrent en lutte à 100%.

Les revendications étaient-elles définies à l’avance ? Non.

Il y a aussi quantité de souvenirs dans les têtes des ouvriers. Plus le mouvement grandit, plus ces souvenirs prennent du relief. Telle usine, seule, réclamait un franc de l’heure d’augmentation. Tous ensemble arracheront bien autre chose.

 

Benoît Frachon raconte :

« Les patrons : Avez vous jamais vu de telles revendications ? »

« Frachon : Avez vous jamais vu un tel mouvement ? »

 

Les petites employées des grands magasins ne s’occupaient pas de politique. Elles auraient traité de folle celle qui aurait réclamé 25 % d’augmentation. Mais elles avaient aussi un tas de souvenirs écrasés dans la tête. Quand le mouvement ouvrier prit de l’ampleur, elles entrèrent dans la lutte et arrachèrent souvent 100 % d’augmentation.

Bien entendu, tous ceux qui voulaient freiner le mouvement répétaient : « Il est purement « revendicatif. » Et ils disaient cela pour des raisons très bassement politiques.

 

En 1968, après la journée du 13 Mai, les timides revendications du début sur la réforme de l’Université passent à l’arrière plan. Une bonne partie de l’extrême gauche n’a jamais caché son programme et elle connaît bien son histoire de France... et du monde aussi. Et dans l’immense foule qui manifeste et qui constate sa force, il y a aussi beaucoup de souvenirs comprimés qui jaillissent maintenant.

Réciproquement, bien des « amis du peuple » commencent à s’inquiéter. Ils connaissent aussi l’histoire de France. Il ne suffit même plus de répéter : « Votre mouvement est purement revendicatif. » Il faut avoir quelques propos révolutionnaires, mais surtout creuser un fossé de haine entre les masses qui s’éveillent à la vie politique et l’avant garde qui a contribué à lancer le mouvement.

Ces « irresponsables » qui sont des « agents payés par le pouvoir » et qui n’ont d’ailleurs pas besoin d’argent puisque ce sont des « fils de grands bourgeois », que veulent-ils ? Ils veulent entrer dans les usines « pour tout casser !» Ils veulent casser ce qui fait la fortune de leurs pères. Ce qui prouve bien qu’ils sont irresponsables !

 

J’ai, pour ma part, entendu une honorable femme, très socialiste, disant avec horreur : « Si on les écoutait, ce serait la Révolution !»

La Révolution ! Qu’est-ce donc que cette abomination ? Voici une minuscule histoire qui peut aider à l’expliquer :

En Juin 1968, dans une localité des Côtes du Nord, des paysans apportent des vivres aux cheminots en grève. Si on vous demandait : « Où sont les révolutionnaires ? » Vous répondriez : « Plutôt chez les cheminots que chez les paysans ». D’accord, d’accord. Notez pourtant que les paysans sympathisent avec les cheminots.

Un paysan dit à un syndicaliste :

« Vous avez raison, mais nous allons perdre toute notre récolte. Est-ce que ça ne serait pas possible de faire marcher un train et transporter nos produits dans les grandes villes pour les vendre directement aux ouvriers ? »

Le cheminot répond que ça n’est pas possible. Le paysan insiste :

« Mais vous pourriez conduire ce train ! »

Le cheminot rétorque :

« Arrêter les trains, c’est la grève. Mais les faire marcher à notre compte, c’est la révolution. C’est ça que tu veux ? »

Le paysan conclut :

« Tu veux me faire peur avec des mots, mais toi, tu as peur de la chose. »

Les paysans du secteur perdirent une part de leurs produits. Et si ça se trouve, ils ont voté pour De Gaulle aux élections qui suivirent.

 

Au lendemain du 13 Mai, la bourgeoisie est fort inquiète. Ses spécialistes de la politique se disputent et s’accusent d’avoir très mal manoeuvré. Ils ont tous la hantise d’une liaison entre les ouvriers et les étudiants.

Certes, ils savent fort bien que les centrales syndicales et la gauche « officielle » se garderont de pousser à la grève générale illimitée. Pompidou, De Gaulle, Malraux et Cie connaissent assez bien l’histoire de la social-démocratie et du PCF. Ils n’ont pas oublié le désarmement des FTP. Mais ils réalisent aussi que quelque chose a changé. Ils sont craintifs parce qu’ils voient que la confiance absolue des travailleurs à l’égard des directions traditionnelles n’existe plus.

Pour que des J.C. viennent casqués et avec drapeaux rouges à une manifestation. Pour que Waldeck Rochet réclame la libération de « provocateurs gauchistes » emprisonnés, pour que Force Ouvrière accepte, pour la première fois dans son existence, de défiler à coté de la CGT, il faut qu’il y ait une énorme pression à la base. Il y a danger de débrayages spontanés.

 

C’est pourquoi, en convoquant ses juges un dimanche et en libérant la Sorbonne, M. Pompidou, à peine revenu d’Iran, tente d’ouvrir rapidement les soupapes de sûreté bloquées par ce qu’il doit appeler dans le privé, l’imbécillité des Peyrefitte, Fouché et Cie. Il faut vraiment que Pompidou soit pris à la gorge pour désavouer dans les faits sa police et s’attirer ensuite, de sa part, des reproches amers :

« Nous étions en droit de penser, au moment où le premier ministre rentrant de voyage, donnait satisfaction aux étudiants, que c’était reconnaître que leurs mots d’ordre étaient valables. On comprend très mal alors, que les forces de police aient eu à intervenir. » (Le secrétaire de la Fédération Syndicale de la Préfecture de Police à « Radio Luxembourg »)

Pompidou s’empressa de désamorcer le mécontentement policier, en lâchant de substantiels avantages financiers... selon une échelle hiérarchisée, bien sûr. Des étudiants à l’esprit politique vif, ne manqueront pas de faire remarquer aux flics dans le Quartier Latin :

« C’est vous qui tapez, c’est vous qui recevez les pavés, et ce sont vos supérieurs qui ont toute la rallonge. Est-ce juste ? »

 

Bien entendu, Pompidou soucieux d’inquiéter une part de la petite bourgeoisie de province ne manquera pas de reprendre la rengaine :

« L’origine immédiate de ces événements se trouve dans la situation créée depuis plusieurs mois à la faculté de Nanterre par un groupe peu nombreux mais très agissant, d’étudiants arrogants, érigeant en doctrine l’action directe et la violence. Certains individus déterminés, munis de moyens financiers importants et d’un matériel adapté au combat de rue, dépendant à l’évidence d’une organisation internationale, ont pris part aux événements »

 

Pompidou se croit fin en reprenant mot à mot les phrases de l’Humanité. Mais s’il pense obtenir des risettes en échange, il se trompe. Après la manifestation du 13, et un tel gauchisme potentiel, la direction PCF galope vers les commandes de la locomotive et, dans l’Edito de l’Humanité du 15 Mai, c’est René Andrieu qui réplique vertement :

« Si cette manifestation s’est déroulée dans le calme, c’est précisément parce qu’il n’y avait pas de forces de police sur le parcours... » page 8.

Un « gauchiste » n’aurait pas dit mieux !

 

Pendant ce temps l’effervescence monte dans toutes les usines de France.

Pompidou a débloqué les soupapes trop tard. Partout les ouvriers, surtout les jeunes, disent que les étudiants montrent la voie. Dans un certain nombre de boîtes, le noyau agissant se trouve être en dehors du syndicat.

Sud-Aviation à Nantes débraye spontanément le 14 Mai. Le comité de grève boucle la direction et ses acolytes dans leur bureau.

Le premier débrayage, en France, est annoncé dans l’Humanité du 15 Juin, en 8 lignes, page9. Pas une allusion à la séquestration du taulier !

 

Le 16 Mai

Séguy note cette pensée profonde :

« Les jeunes en ont assez. Ils veulent que ça change. »

On apprend enfin que :

« Le directeur régional de Sud Aviation a passé la nuit dans son bureau avec plusieurs membres de la direction locale. »

Sous l’influence de jeunes ouvriers révolutionnaires, Renault Cléon est occupé le 15 par les métallos. Cet acte décisif aura droit à 14 lignes en page 6 de l’Humanité du 16 Mai pour laquelle l’événement important demeure :

« Plus de 100 000 signatures pour l’abrogation des ordonnances contre la sécurité sociale. » Deux colonnes, 90 lignes.

La lutte en papier contre le tigre qui n’est pas en papier continue.

Petit problème : Si demain, 10 millions d’hommes en grève ne peuvent arracher l’abrogation des ordonnances, combien aurait-il fallu de milliards de signatures pour un résultat plus favorable ?

 

Dans la Sorbonne occupée, les diverses commissions -ouvriers, enseignants, étudiants- siègent en permanence. Certains n’y verront que le désordre et c’est sans doute la seule chose qu’ils auraient retenue de 1789 à 1917. Mais les étudiants doivent tout improviser. Pour un ancien militant « gauchiste » qui n’y voit pas forcément bien clair, il y a cent jeunes, nouveau-nés aux questions politiques et qui se débrouillent souvent très bien.

La Sorbonne est internationaliste. Elle abrite des commissions ouvrières de plus de vingt pays. Cela est évidemment normal à une époque où la bourgeoisie européenne possède une sorte de comité central permanent qui siège à Bruxelles.

C’est normal et pourtant nouveau, car on attend toujours une puissante assemblée syndicale qui réunirait les délégués de Renault, Fiat, Mercédès etc, en vue d’étudier les problèmes d’horaires, de salaire, et pour envisager des actions communes.

Il est vrai que pour en arriver là, il faudrait d’abord bannir le nationalisme du mouvement syndical. On voit très mal une assemblée ouvrière européenne avec comme slogans : « Achetez français », « Achetez allemand », etc.

 

Dans la grande cour de la Sorbonne, il y a des stands de toutes les organisations de jeunes. De l’UEC à la JCR. De Voix Ouvrière aux groupes prochinois. La coexistence est à peu près pacifique, à ce détail près que l’UEC se fait engueuler à longueur de journée. Les UEC courageux doivent regarder avec inquiétude l’Humanité du matin avant de prendre place derrière leur stand. Ils sont assez souvent relayés. Les éclats vont de l’injure à la discussion animée. A ma connaissance il n’y a pas eu de coups, et c’est un tour de force, car, souvent, arrivaient des jeunes « gauchistes » qui avaient été attaqués par des gars du PCF alors qu’ils distribuaient des tracts devant une usine.

Donc, si les discussions tournent autour de l’attitude de la direction du PCF (pourquoi parler de la SFIO ou de la FGDS inexistantes dans les événements) elles se bornent souvent à : « Toujours là les sociaux-traîtres ! », « Salut les contre-révolutionnaires ! »

 

La chose remarquable c’est que le stand de l’UEC sera toléré jusqu’au bout, alors que dans une certaine mesure les UEC agissent comme des diviseurs avérés, appelant à ne pas participer aux manifestations de l’UNEF.

Dans l’immédiat, tout ce qu’il y a de meilleur chez les étudiants tourne les yeux vers les usines et vers les écoles d’Enseignement Technique.

Toutes les usines Renault viennent de débrayer.

 

Le 16 Mai

Chez Renault, des groupes d’ouvriers ont cessé spontanément le travail. A 17h30 un tract CFDT appelle à la lutte avec Cléon, Le Mans et Flins. A 16h, les forges, la fonderie et la presque totalité des départements débrayent. Il était juste temps que les directions syndicales s’y mettent. Les jeunes ouvriers de Cléon et Flins arrivaient en cars.

 

La direction du PCF et de la CGT n’agissent pas comme Jean le Bon : « Père, gardez-vous à droite. Père gardez vous à gauche ». Elles ne se gardent qu’à gauche.

Pas un mot pour inviter les autres salariés à agir comme Renault, mais, après un salut au fait accompli :

« La CGT salue les travailleurs, et particulièrement ceux de la Régie Nationale Renault qui, répondant à son appel, ont décidé la grève avec l’occupation des usines. »

« Son appel » ? L’historien cherche en vain cet appel dans toutes les « Humanité » précédentes ou dans toutes les « Vie Ouvrière ».

« Le BP du PCF met les travailleurs et les étudiants en garde contre tout mot d’ordre d’aventure. »

On imagine le général qui, pour exalter l’enthousiasme de ses troupes n’aurait que ce genre de phrase tout au long de l’offensive ! Mais on s’explique ces propos quand on se souvient que la direction du PCF est de la même famille que les leaders d’Allemagne de l’Est. Dans les années 50, quand les ouvriers du bâtiment de Berlin-Est avaient fait grève, ils avaient eu droit aux chars soviétiques... et aux remontrances des leaders staliniens. Ils avaient « déçu » les inamovibles camarades gouvernants. A l’époque, Bertolt Brecht qui était un communiste d’une toute autre sorte que Marchais, avait cloué les bureaucrates au pilori en écrivant :

« …Le peuple,… a par sa faute, perdu la confiance du gouvernement.…. Ne serait-il pas plus simple alors pour le gouvernement de dissoudre le peuple et d’en élire un autre ? » (La solution)

 

René Andrieu retournant l’histoire à sa façon écrit :

« Il est indispensable que le mouvement étudiant... rejoigne le grand combat de la classe ouvrière contre le régime gaulliste. » L’Humanité du 17 Juin

 

Mais les étudiants qui veulent «rejoindre» apprennent dans le même du journal :

« Hier soir, vers 23 heures, quelques centaines d’étudiants sont venus du Quartier Latin en déclarant vouloir prêter « main forte » aux ouvriers de la Régie. Ceux-ci leur ont fait savoir qu’il n’était pas question qu’ils entrent dans l’usine ! »

 

Pour impressionner les ouvriers, les arguments les plus ignobles et les plus ridicules sont utilisés. Un petit bureaucrate besogneux n’hésitera pas à écrire :

« Certains aventuriers se sont présentés en disant : « Laissez nous entrer dans l’usine. Nous allons vous aider à tout casser. » L’Humanité du 18 Mai.

 

On précise, bien sûr, qu’on ne confond pas ces aventuriers avec les étudiants, mais le mal est fait.

Déjà, dés le début du mouvement, l’Humanité n’avait pas hésité à utiliser le racisme en écrivant sur « Le juif allemand Cohn-Bendit ». Comme des militants communistes avaient tout de même réagi, l’Humanité du 11 Mai, page 6, s’embrouillait les stylos :

« Le mot « allemand » n’a pas été employé en vue d’éclairer le rôle de Cohn-Bendit. On peut toutefois admettre qu’il a pu prêter à confusion. Nous n’avons pas de leçon à recevoir en matière d’internationalisme. »

 

En fait, les bureaucrates staliniens, peu soucieux « d’internationalisme » n’ont jamais reculé devant une insinuation raciste ou même une action. Leur « internationalisme » est très spécial.

Ainsi, le journal central en Allemagne de l’Est écrivait sur : « Le juif Cohn-Bendit » ; Tandis que celui de Varsovie, tenant compte de sa clientèle, stigmatisait : «Le condottiere germano sémite Cohn-Bendit. »

 

Les jeunes des collèges d’enseignement technique bougent aussi. Quand le 16 Mai, la CGT les convie à une réunion, Bourse du travail, il s’avère que plusieurs collèges sont déjà en grève et que des contacts ont été pris avec la Sorbonne.

Au cours d’une assemblée très démocratique présidée par Charles Ravaux secrétaire du syndicat CGT de l’enseignement technique, les questions fusent :

« Pourquoi la CGT a telle stoppé à Denfert-Rochereau et n’a-t-elle pas été avec les étudiants au champ de Mars ? »

Dans quatre interventions, des jeunes déplorent « de ne pas avoir autant de culture générale que dans les lycées ». Voila une génération qui n’est pas prête à se satisfaire des slogans du genre : « Charlot, des sous ! »

Comme des jeunes ont parlé d’une organisation nécessaire pour les CET, Marius Bertou, secrétaire de l’Union des syndicats, rappelle que « la grande CGT existe ». En réponse, des cris fusent dans l’assemblée : « Nous voulons un syndicat à nous !».

 

La grève avec occupation d’usines s’étend d’heure en heure. SNCF : Trafic stoppé, Berliet, Rhodiacéta, Rhône Poulenc, Schneider sont à leur tour occupés :

« Le mécontentement accumulé par les principales couches de la population depuis tant d’années contre le pouvoir gaulliste s’exprime avec une force sans précédent, pour ne pas dire, explose. » L’Humanité du 18 Mai, page 6.

Retenons le mot « explose » et voyons la suite.

 

Le journal du même jour fait état, page 5, d’une conférence de presse de Georges Séguy :

« On pouvait attendre de nous un ordre de grève générale. Ceux là seront déçus.

Nous préférons de beaucoup la prise de responsabilité des travailleurs eux-mêmes, qui décident des propositions qui leur sont faites par les syndicats. »

Mais il y a, au moins un cas où la direction nationale CGT ne s’en remet pas à la responsabilité des travailleurs :

« La CGT n’approuve pas la séquestration des directeurs d’usines.

Le CCN de la CGT exige :

- L’abrogation immédiate des ordonnances sur la Sécurité sociale.

- L’augmentation des salaires.

- La réduction de la durée du travail et la diminution de l’âge de la retraite.

- Une véritable politique de l’emploi garantissant le travail et les ressources.

- Le libre exercice de l’activité syndicale. »

Pas question de l’Échelle mobile. Pas de précisions sur le retour aux 40 heures. Par contre :

« Le CCN met en garde les militants et organisations de la CGT contre toute tentative d’immixtion dans la conduite des luttes ouvrières. » L’Humanité du 18 Juin.

 

Il est un secteur où « l’immixtion » pourrait être particulièrement grande en dépit du fait que Marius Bertou, dans l’Humanité du 4 Mai, garantissait un « déroulement normal » :

« La conférence de la jeunesse est reportée à une date ultérieure. »L’Humanité du 18 Mai, page5.

 

« Le syndicat CGT Renault s’est adressé aux étudiants qui envisageaient une nouvelle marche vers Billancourt. Il déconseille cette manifestation car elle pourrait faciliter une provocation amenant une diversion gouvernementale. »

 

Cependant plusieurs milliers d’étudiants se rendent à pieds du Quartier Latin à Billancourt et discutent avec les ouvriers dans les environs de l’usine. Pour fermer les portes, tous les arguments sont bons.

« La Vie Ouvrière » N° 1239 du 29 Juin raconte une visite organisée chez Renault :

« N’allez pas de ce coté là, camarades. Ici on fabrique des outillages nouveaux. Ils comportent des secrets de fabrication. Même la V.O. n’a pas le droit de les connaître... Tu comprends, Renault, c’est nationalisé. Il ne faut pas faire tort à la nationalisation. »

Est-il besoin de souligner que la direction de Renault communique les fameux secrets, au premier signe de De Gaulle, à tout le monde, y compris aux USA.

 

Le BP du PCF :

« Réaffirme sa solidarité totale avec les travailleurs... Considère qu’il est urgent d’aboutir à un accord sur un programme social avancé entre les partis de gauche... Des réformes profondes doivent tendre à soustraire l’État à l’emprise des monopoles capitalistes. » L’Humanité du 18 Juin.

 

Deux petites remarques s’imposent. La direction PCF ne veut aucun accord avec les organisations qui animent un grand mouvement, mais en souhaite un avec les partis qui n’ont aucun crédit, ni chez les ouvriers ni chez les étudiants.

La deuxième remarque concerne le très très curieux marxisme de gens qui veulent « soustraire » l’État, grâce à des « réformes profondes ». Il y a un demi siècle, Zinoviev ironisait déjà sur ces socialistes en peau de lapin et écrivait.

« Ils se disent d’accord pour cuire le mouton, mais ils veulent le faire à petit feu pour que le mouton ne s’en aperçoive pas ! »

 

19 Mai.

Le général De Gaulle abrége un très satisfaisant voyage en Roumanie.

Dans la très conservatrice Irlande, les souverains belges Baudouin et Fabiola viennent de se faire huer et de s’entendre rappeler les crimes colonialistes au Congo. Mais dans la « République populaire » de Roumanie, pas une voix ne pourra s’élever contre De Gaulle, à l’heure ou les hôpitaux parisiens sont pleins des victimes de la répression.

 

Il y a maintenant des millions de grévistes et le mouvement s’étend toujours.

L’Humanité du 20 Mai rappelle les revendications de la CGT. Toujours rien sur les 40 h, ni sur l’Échelle mobile des salaires.

 

Le président de la CFDT, André Jeanson prenant la parole à Annecy déclare :

« La CGT et la CFDT, même si elles diffèrent parfois dans l’analyse de la situation, ne divergent absolument pas quant à l’action. »

 

L’Humanité du 20 Mai publie une page (p6) sur les questions posées par des auditeurs et les réponses de Séguy à Europe n°1.

Un auditeur demande pourquoi les directions syndicales, loin d’être des directions, ont pris le train en marche. Il est évident que l’auditeur fait allusion aux premières usines où les jeunes ont déclenché la grève sans attendre des consignes des leaders syndicaux. Un responsable sérieux aurait répondu sur le fond du problème.

Séguy escamote le sujet et sort une réponse digne d’un comique troupier :

« Il me semble qu’il est assez difficile pour le moment de prendre un train en marche dans la mesure où tous sont arrêtés. »

Séguy est si content de sa phrase qu’il la répétera vingt fois par la suite. Jaurès aurait fondu en larmes.

 

Question :

« Pourquoi n’appelez vous pas à la création d’un Comité de grève national ? »

Séguy :

« Je crois que les confédérations peuvent prendre elles mêmes en charge les tâches qui leur incombent. Elles existent, elles sont structurées, elles ont leurs responsables. »

Question :

« Êtes vous toujours pour la disparition du patronat et du salariat ? »

Séguy :

« Il est vrai que cet objectif figure dans l’article 1 des statuts de la CGT...Le mouvement actuel peut-il atteindre cet objectif ? S’il s’avérait que oui, nous serions prêts à prendre nos responsabilités. »

 

« Il est vrai ! » On devine l’agacement de Séguy devant ces questions « gauchistes. » Imaginez l’énervement de Torquemada devant l’énergumène qui lui aurait demandé en public si l’Église est toujours d’accord avec les propos du Christ : « Tu ne tueras point. » Je suis prêt à jurer que Torquemada aurait répondu : « Il est vrai que... »

Notons que la suprême astuce consiste à empêcher que d’autre (Un comité national de grève représentant syndiqués et non syndiqués) puisse prendre les responsabilités. La seule « responsabilité » que prennent les responsables de fédérations, c’est d’empêcher la coordination des revendications, leur popularisation, leur extension.

 

A une autre question, Séguy répond :

« Si, demain, le gouvernement déclare qu’il accepte de prendre en considération, de fond en comble, les revendications que nous formulons, nous retournerons devant les travailleurs que nous avons appelés à entrer en lutte et que nous avons consultés démocratiquement avant de prendre cette responsabilité, en leur disant : -Le gouvernement accepte vos revendications. Que comptez vous faire maintenant ? Est ce que vous estimez que le moment est venu de reprendre le travail ? »

 

Un leader aurait une opinion sur la question. C’est une curieuse conception de la « démocratie » que de feindre n’être qu’un interprète entre patronat et salariat. Le comité de grève de Sud Aviation permet au directeur toujours séquestré de téléphoner à Séguy.

Séguy a une opinion sur ce point précis !

« Nous sommes en train de prendre des mesures pour que de telles choses ne se renouvellent pas. » Encadré en milieu de page.

Mais « les trains sont arrêtés » dirait Séguy.

Qu’à cela ne tienne; un représentant des cadres CGT, nommé Desaigne, se rend à Nantes en avion pour obtenir la libération du directeur. Dans certains cas, les responsabilités sont vite prises !

Comme Desaigne se fera vertement engueuler par le comité de grève de Sud Aviation, il prétendra ensuite qu’il est venu de sa propre initiative !

 

Pour en revenir à Europe n°1, seul le responsable CFDT donnera une leçon de dignité. Il répondra aux lamentations du directeur nantais en lui disant qu’il réserve sa compassion pour les ouvriers que ce même directeur exploita ou licencia jusqu’à ce jour.

 

A une question sur le mouvement étudiant, Séguy :

« Il est de l’intérêt de tous que le mouvement syndical étudiant retrouve son équilibre au plus vite. »

Retenons : « L’intérêt de tous ».

« Il ne faut pas s’exciter outre mesure sur l’importance du mouvement du « 22 Mars » et des personnages qui l’animent. Il me semble que tout cela est en train de s’étioler. »

 

Noue verrons plus tard que, comme il ne s’étiole pas assez vite, De Gaulle le dissoudra.

L’Humanité du 20 Mai a jugé nécessaire de censurer certains propos de Séguy, et on cherche en vain : « Cohn-Bendit ? Connais pas ! »

 

De Gaulle rentre de Roumanie et prononce sa célèbre formule empruntée aux fascistes de « Minute » : « La réforme, oui ; la chienlit, non ! »

Les étudiants des Beaux Arts répliquent aussitôt par l’affiche qui sera populaire dans toute la France : « La chienlit, c’est lui ». Tirée à quelques centaines d’exemplaires, elle est reproduite par des ouvriers et étudiants de toutes tendances qui attendent en vain une seule affiche vivante émanant de la « gauche officielle ».

 

Le mouvement s’étend toujours.

Le Monde du 21 Juin note :

« L’opposition réclame unanimement la démission du gouvernement. Les communistes proposent à la Fédération de la Gauche la mise sur pieds, en commun, d’un programme social avancé. M. Mendès-France demande que « le pouvoir » se retire. M. Mitterrand exige des élections générales et M. Lecanuet fait de même mais en se plaçant dans le cadre du régime. M. Giscard d’Estaing, enfin se montre très prudent tout en insistant sur la gravité de la situation tandis que le sort de la crise se joue dans les usines et les entreprises. »

 

« L’Union des syndicats de police signale qu’un climat d’extrême tension règne au sein du personnel. »

De nouveaux millions de grévistes. Mais, aux PTT, les forces de police font évacuer certains bureaux sans réaction des centrales syndicales. Il est vrai que si l’on croit « La Vie Ouvrière » numéro 1239 du 29 Juin, à propos des PTT, boulevard Brune :

« Il faut dire d’ailleurs que l’expulsion s’est faite très mollement et que les policiers parisiens chargés de l’opération ne mettaient pas tellement de coeur à l’ouvrage. »

Quand on vous expulse durement ; s’opposer serait une provocation.

Quand on vous expulse mollement ; s’opposer, ça ne serait pas gentil.

 

21 Mai

« Le PCF appelle à multiplier les comités d’action pour un gouvernement populaire et d’action démocratique. »

Georges Séguy déclare chez Renault :

« Pas de salaire inférieur à 600 f ; 1000 f à la Régie. Il va sans dire que si le gouvernement actuel venait à disparaître avant le règlement de ces revendications précises, nous les présenterions tout aussi fermement à son successeur quel qu’il puisse être…Nous ne nous contenterons pas de promesses. » L’Humanité 21 Mai

 

L’Humanité du 21 Mai. Gros titre :

« De nouveaux millions de travailleurs ont rejoint la grève hier. »

« Enseignement; demain arrêt total. »

« Citroën occupé. »

Pas de récit relatant les circonstances de l’occupation.

 

Voici un récit d’un témoin militant de « Voix Ouvrière » chez Citroën :

« Au moment où j’arrive avec 4 camarades pour aider deux copines qui diffusent des tracts devant Javel, il y a un groupe d’une vingtaine d’ouvriers qui appellent à ne pas rentrer. Les flics de la boîte entraînent quasiment à l’intérieur les travailleurs qui s’amènent et qui hésitent.

Juste comme on arrive, quelques staliniens engueulent les copines et arrachent leurs tracts. On va leur rentrer dedans.

A ce moment, les flics Citroën qui sont plus de 30, font une sortie contre le petit paquet de grévistes. Naturellement, plus question d’engueulade. On fait bloc contre les flics.

La situation n’est pas brillante vu le rapport des forces et l’hésitation des ouvriers qui arrivent.

Coup de chance, un paquet d’étudiants s’amènent, de Censier, je crois. Comme ils ont du être souvent échaudés par le PCF, ils restent un moment de l’autre coté du trottoir. On veut les appeler. Un petit bonzaillon CGT dit que ça ne regarde pas les étudiants.

Pendant ce temps, les flics Citrons nous refoulent toujours. Alors d’autres gars de la CGT et des ouvriers étrangers demandent au bonzaillon s’il est cinglé. Ce n’est pas le moment de faire des singeries. On appelle la vingtaine d’étudiants qui foncent joyeusement avec nous pour refouler les flics. On fait un bon barrage devant la taule. Un quart d’heure après, nous sommes au moins 200, surtout des jeunes. Alors, on change de tactique. On rentre en force dans la boîte et on vire les poulets Citroën avec pertes et fracas. Voila l’histoire toute simple. »

Ce récit vivant contraste avec les propos sur « le syndicat, force tranquille ».

Il permet de comprendre la tension qui existait dans cette usine policière et pourquoi les ouvriers seront, en Juin, les derniers à reprendre le travail.

 

Déclaration de la CFDT :

« Abrogation des ordonnances anti-sociales. »

« Pas de salaire inférieur à 700 f. par mois. »

« Retour progressif à la semaine de 40 heures. »

Pas question de l’Échelle mobile des salaires.

 

22 Mai

Cohn-Bendit parti pour un meeting en Hollande fait l’objet d’une mesure d’interdiction en France.

10 000 jeunes manifestent à Denfert, Montparnasse et Raspail en criant :

« Cohn-Bendit à Paris ! », « Nous sommes tous des juifs allemands ! »

Face aux mesures de l’État bourgeois qui frappe un des leaders étudiants, l’Humanité du 22 Mai en page 7, demande :

« M. Missoffe n’a t-il pas convié Cohn-Bendit à sa table ? »

Le procédé est classique. Que le ministre dise oui ou non, ou qu’il ne réponde pas, l’effet est assuré sur les âmes simples.

« La Vie Ouvrière » n° 1239 du 29 Juin va plus loin :

« Enfin, au moment même où les mots d’ordre d’aventure de Cohn-Bendit ont éloigné de lui la masse des étudiants et plus encore, de l’opinion, une mesure gouvernementale d’interdiction tend à redorer son blason terni. »

 

Extension continue des grèves.

Waldeck Rochet déclare à l’Assemblée nationale :

« Rien ne pourra arrêter cet immense mouvement. Le pouvoir gaulliste a fait son temps, il ne répond pas aux exigences du moment. Il doit s’en aller et la parole doit être donnée au peuple » L’Humanité du 22 juin page 6.

Dans son édito, René Andrieu affirme :

« Voila le général De Gaulle au pied du mur. Il est peu probable qu’il s’en tire cette fois avec des astuces de procédure.

Ce n’est pas un replâtrage du cabinet, un remaniement ministériel, la démission du gouvernement Pompidou ou même la promesse d’un référendum sur le principe de la participation qui pourrait suffire à régler le contentieux.

Les travailleurs demandent des comptes et ils n’accepteront pas l’escamotage de leurs revendications essentielles. »

 

Cette même Humanité du 22 Mai publie, page 1 et 4, sous le titre : « La CGT, une grande force tranquille » une interview de Séguy qui mérite mieux que l’oubli :

« L’opinion publique a été très favorablement impressionnée par la façon dont nous avons, avec fermeté, stoppé les provocations et les mots d’ordre aventuriers. Nous seuls avons voué à l’échec le projet de manifestation devant l’ORTF. Nous seuls avons ramené à la raison les étudiants prêts à envahir Renault. »

 

Donc, aucun doute. L’opinion publique sait que les directions PCF et CGT sont le meilleur rempart contre les gauchistes. Pourquoi l’oublierait-elle le jour des élections ?

Mais Séguy continue :

« Cela n’aurait pas été possible si nos militants responsables, conformément à nos recommandations, n’avaient pas occupé, dés les premières heures les lieux, ce qui leur permet en outre d’assurer la sécurité et l’entretien de tout ce qui est névralgique. Le gouvernement sait à quoi s’en tenir. » page 4.

On ne peut mieux dire qu’on a fait un contre-feu devant un incendie irrésistible. Quant à la dernière phrase, elle sent l’infâme délit d’intelligence avec l’ennemi.

 

Ces propos de Séguy sont peu différents de ceux que Blum tint en 1942 devant les juges pétainistes de la Cour de Riom :

« Vous m’accusez d’avoir voulu faire la révolution. Au contraire, sans moi, il y aurait eu la révolution. Le mouvement était si puissant qu’on ne pouvait l’affronter de face. Il fallait faire la part du feu. »

Notons qu’à la différence de Blum, Séguy n’hésite pas à se justifier devant la bourgeoisie en plein cours du mouvement.

 

Pour mémoire, rappelons qu’un membre du Comité Central du PCF osa, en 1936, critiquer la ligne de Thorez : « Il faut savoir terminer une grève ». Cet homme se nommait Ferrat. Il fut traité de provocateur, d’aventurier gauchiste, etc, dans un long article de l’Humanité. Le signataire de l’article était Marcel Gitton. On sut en 1939 que le très orthodoxe Gitton était un flic infiltré à la direction du PCF !

 

Séguy conclut ses aveux volontaires :

« L’heure n’est pas à des bavardages sur les transformations profondes de la société où chacun met ce qu’il veut. Elle est aux prises de responsabilité sérieuses. » page 4.

Au sujet de l’autogestion, Séguy insiste sur

« L’imprécision de cette notion... Nous nous refusons à cautionner une formule vague. »

Séguy refuse de « cautionner » (modeste militant !) le pouvoir aux conseils ouvriers. C’est trop vague selon lui. Mais il nous proposera demain la lutte pour un « Gouvernement d’union démocratique »« chacun met ce qu’il veut. »

 

23 Mai.

Tous les grands hôtels parisiens sont en grève. Cela ne s’était pas vu depuis des décennies.

Dans une déclaration commune du 22 Juin les syndicats CGT et CFDT se déclarent prêts :

« A prendre part à de véritables négociations. »

F.E.N. et F.O. sont d’accord. Waldeck Rochet dit que :

« Le gouvernement doit s’en aller. »

D’autre part, les directions syndicales se disent prêtes à négocier avec le dit gouvernement qui, en conséquence, n’est pas du tout pressé de s’en aller !

 

Repoussant une réunion prévue avec l’UNEF, la direction de la CGT déclare :

« Organisation sérieuse et responsable, la CGT ne saurait discuter qu’avec des interlocuteurs également sérieux et responsables. » page 5.

En 1922 Lénine écrivit :

« Un des plus grands mérites des bolcheviks fut de discuter toujours sérieusement, même avec ceux qui ne l’étaient pas. »

 

Déclaration du Parti Communiste Internationaliste

« Le 22 Mai, une assemblée nationale qui ne représente pas le pays, a maintenu un gouvernement qui suscite le mépris général.

Ce même jour, Séguy se déclare prêt à négocier avec ce gouvernement fantoche.

Ce même jour, il choisit de calomnier l’UNEF et rompt avec l’organisation qui a été la porte parole courageuse de la lutte des étudiants.

Les deux décisions de Séguy se complètent :

Il veut arrêter l’immense mouvement de la classe ouvrière... et tend à donner le feu vert au gouvernement pour la répression de l’avant-garde étudiante.

Les travailleurs rejetteront les décisions de Séguy. Ils renforceront l’unité d’action entre les travailleurs et les étudiants et exigeront la reprise des contacts entre CGT et UNEF.

En avant contre le régime gaulliste, pour un gouvernement des travailleurs. »

 

Au Parlement, Pompidou déclare :

« J’ai dit qu’il y avait quelques meneurs, quelques enragés guidés de l’étranger. »

Pierre Cot :

« Vous avez accusé un pays étranger. Lequel est-ce ? »

Pompidou :

« Je n’ai parlé d’aucun pays en particulier. En tous cas, je n’ai pas fait allusion au pays auquel le groupe communiste est si sensible. » L’Humanité du 23 Mai.

Dans ce même numéro, René Andrieu note :

« Pour retenir ses troupes en débandade, Pompidou les a adjurées de refuser le désordre aujourd’hui et l’aventure demain. »

 

Boutade à la Sorbonne :

« Pourquoi le gouvernement soviétique est-il si discret à propos des événements de France ? Pour deux raisons :

1) Le gouvernement de Moscou n’a pas pour habitude de s’immiscer dans les affaires d’un pays étranger.

2) Il est trop occupé à surveiller la Tchécoslovaquie. »

 

24 Mai.

Pour les revendications ; contre l’interdiction de séjour de Cohn-Bendit, le mouvement du 22 Mars soutenu par l’UNEF, le PSU, la JCR, le PCI, la fédération CFDT, etc, appellent à une manifestation gare de Lyon.

« Les manifestations en faveur de Cohn-Bendit ne peuvent être que division, diversion, provocation. » L’Humanité du 24 Mai page 5.

Voila les flics avertis. Ils peuvent taper. Les braves gens les comprendront.

Précisément :

« Les syndicats de police souhaitent que les pouvoirs publics n’opposent pas systématiquement les policiers aux luttes revendicatives. Faute de quoi, ils seraient en droit de considérer certaines missions comme autant de cas de conscience. »

Pompidou les entendra. La police ne va pas intervenir contre les défilés de la CGT qui sont « revendicatifs ». Par contre ...l’UNEF... !

 

Déclaration de Séguy à l’agence France-Presse :

« Non, la CGT n’a pas rompu avec les étudiants, elle a seulement eu soin de ne pas les confondre dans leur masse avec des éléments troubles excités ou irresponsables dont les actes ont provoqué spontanément la méfiance des travailleurs. »

 

Les dirigeants gaullistes reprendront cette phrase, presque mot à mot, pour dire qu’ils ne confondent pas la classe ouvrière avec les éléments qui provoquent des débrayages.

 

Le BP du PCF salue la création de nombreux comités d’action pour un gouvernement populaire et d’action démocratique.

Dans L’Humanité du 24 Mai, 44 lignes sur l’arrestation d’un groupe de 6 jeunes sur lesquels, un seul est d’un CET, les autres, sans travail, que la police a arrêté en Côte d’or :

« Ils ont également déclaré que d’autres groupes qui avaient, à un certain moment, occupé la Sorbonne, détenaient également des armes ainsi qu’un poste émetteur-récepteur. » page 5.

 

Tandis que la CGT organise deux défilés de part et d’autre de la Seine, la manifestation d’extrême gauche rassemble une foule importante tout autour de la gare de Lyon, (100 000 selon les organisateurs. 20 000 selon l’Humanité et la préfecture de police !). Les manifestants scandent : « Nous sommes tous des juifs allemands. Ce n’est qu’un début. Continuons le combat. »

Dans chaque groupe, des transistors transmettent le discours de De Gaulle qui, en sept minutes annonce sont projet de référendum et son éventuel départ.

La foule scande : « Son discours, on s’en fout. »

A la fin du laïus de De Gaulle, des milliers de mouchoirs s’élèvent : « Adieu De Gaulle, adieu De Gaulle. »

 

La manifestation avance vers la Bastille où vient de passer un cortège de la CGT. Mais, à présent, les CRS bloquent la place et expédient sans préavis quelques grenades lacrymogènes en direction des premiers rangs du cortège.

La direction de la manifestation, prévoyant une charge brutale, demande aux divers services d’ordre UNEF, JCR, Anars, etc, de venir prendre position devant le cortège. 2 000 jeunes casqués quittent leurs groupes et vont se placer devant la Bastille. Le tir de grenades devient intensif.

Les jeunes dressent une barricade pour stopper la charge des CRS, tandis qu’à la demande de l’UNEF, les manifestants se scindent en colonnes de 2 à 3 000 personnes qui vont tenter de se rendre à la Bourse en contournant la Bastille. Mais, déjà, la police, pour faire diversion, grenade les jeunes et les passants qui sont demeurés boulevard Saint Michel.

 

« Le pouvoir a choisi la répression. Ne pouvant prétexter de désordres au Quartier Latin, il a amassé ses flics en travers du pont et la place St Michel.

Pourquoi, alors qu’aucune manifestation n’était prévue ? » Comité d’action.

Toute la soirée, à l’Opéra, à la Bourse, puis au Quartier Latin, des milliers de jeunes, étudiants et ouvriers se battent contre la police.

L’Humanité du 25 Mai écrit :

« Les vitres de la Bourse volent en éclats malgré les protestations de jeunes étudiants qui parlent de provocation.

« Les conditions dans lesquelles cette manifestation s’est déroulée, conduisaient de nombreux journaux à parler, hier, de véritable provocation. »

Ces « nombreux journaux » sont, bien sûr, ceux de la bourgeoisie.

 

Pour sa part, André Wurmser écrira dans l’Humanité du 27 Mai, page1, qu’on n’abat pas le capitalisme en brûlant la Bourse. De même que la prise de la Bastille ne pouvait suffire à détruire la monarchie et qu’on n’abattait pas le militarisme en détruisant la colonne Vendôme, etc…

En tous cas, ce qui est sur les lèvres de dizaines de milliers de jeunes, c’est que la police de Pompidou a laissé passer le cortège de Séguy, puis s’est déchaîné contre celui de l’UNEF.

 

Un jeune homme, Philippe Materion, 26 ans, est tué sur les barricades. Les autorités déclarent qu’il a reçu deux coups de couteau. Ce serait donc un règlement de comptes entre manifestants. Toute la presse reprend le thème du couteau. Le pouvoir ment. Ce jeune a été assassiné par les policiers. (Éclat de grenade offensive). Très vite, les docteurs ont vu des traces de poudre sur les bords de la plaie. Ils ont été obligés de garder le silence, c’est à dire de mentir. Cela sera avoué dans la presse... en septembre 1968 !

 

Et voici une information qui en dit long sur la « maîtrise » de la police tant vantée par Pompidou. Au cours des bagarres, des militants JCR interceptent des appels de policiers :

« - Chef, chef, les manifestants nous lancent des grenades.

- Impossible. Vérifiez, vérifiez.

-Chef, chef, nous recevons des grenades lacrymogènes. Les manifestants en ont.

- Brigadier, arrêtez, arrêtez. Vous vous canardez mutuellement ! »

Le tout, avec un accent qui n’était pas des faubourgs

 

L’Humanité du 25 Mai. René Andrieu note :

« Pas le moindre incident à signaler dans les multiple manifestations organisées à Paris et en Banlieue à l’appel de la CGT et soutenues par le PCF. »

Voila le genre de propos qui spéculent sur la bêtise humaine. On sait pourtant que si la police veut provoquer, elle n’a même pas besoin d’agents en civil dans la foule. Elle lance une première grenade et, le lendemain, toute la grande presse écrit que ce fut un pavé qui vola le premier. Il est donc bien évident que la police gaulliste ne voulait pas gêner les cortèges de Séguy-Rochet.

 

Waldeck Rochet à l’ORTF :

« Je souligne que les communistes ne proposent pas des réformes de structure, dans le but d’enterrer sous des phrases de gauche les revendications essentielles des travailleurs. »

Interview de grévistes dans plusieurs boites. Tous réclament les 40 h. Pas une allusion un « retour progressif », formule qui fut élaborée dans on ne sait quel mystérieux congrès syndical.

Bilan de la nuit : 450 blessés conduits dans les hôpitaux. 795 personnes interpellées.

 

L’Humanité Dimanche du 26 Mai écrit :

« Toute la nuit, dans les divers quartiers de Paris où se transportera l’émeute, on retrouvera ces voyous douteux, cette pègre organisée dont la présence salit ceux qui l’acceptent et, plus encore, ceux qui la sollicitent. Ce sont eux, ce sont aussi les anarchistes chers à Cohn-Bendit qui donneront aux événements leur teinte de violence systématique. »

« Ce sont eux », « Ce sont eux », car il n’y a pas de voyous douteux dans les CRS; il n’y a pas de flics sadiques à Paris.

Ravi, le flic en chef Fouchet, ministre de l’intérieur, n’a plus besoin de se fatiguer pour écrire ses allocutions. Il n’a qu’à copier :

« C’est contre la pègre que se battent les agents... La pègre qui sort des bas-fonds des pavés de Paris et qui viennent là avec une espèce de folie qui peut-être une folie meurtrière. Et puis, les anarchistes avec tout ce que cela recouvre. »

Dans « Les Misérables » Victor Hugo écrivait :

« Deux mots français viennent du latin Pigritia. Ce sont les mots Pègre et Misère. Où il y a de la misère, il y a de la pègre. »

 

L’Humanité du 27Mai, page 6, notera :

« Ce sont ces groupes (Anarchistes, Trotskystes, Maoïstes) que l’on a trouvé toute la nuit aux points les plus chauds, disposant de scies mécaniques et de haches pour abattre les arbres... et partant ensuite pour un autre théâtre « d’opérations » pendant que les étudiants pris dans les gaz lacrymogènes subissaient les assauts de la police et y ripostaient au prix de nombreux blessés. »

 

La Fédération PCF de la Gironde bat tous les records en écrivant à propos des batailles de Bordeaux :

« Tout le monde (sic) a pu reconnaître parmi les arracheurs de pavés et les constructeurs de barrages baptisés « barricades », la lie de Bordeaux : souteneurs, voleurs, etc. »

 

Dimanche 26 Mai.

Négociations avec le gouvernement.

G.Séguy : « La CGT vient de faire en séance plénière la déclaration suivante ».

« Elle recommande aux travailleurs de rester vigilants contre toute tentative de provocations et de ne répondre qu’à des mots d’ordre de manifestations où la CGT serait partie prenante. »

On s’interroge sur l’intérêt d’une telle déclaration devant Pompidou.

« Le C.A. à donné mandat ferme à sa délégation pour...

Obtenir l’indemnisation des jours de grève.

Pour que le gouvernement et le patronat acceptent une clause d’échelle mobile des salaires liée à l’évolution du coût de la vie.

Pour que soit déterminé un calendrier précis de la réduction de la durée hebdomadaire du travail afin de revenir à la semaine de 40 h dans les plus brefs délais et qu’il en soit de même pour l’abaissement de l’âge et du départ en retraite. »

« Cette déclaration a été accueillie par un silence complet de la part du patronat et du gouvernement. »

Notons que Pompidou qui, bientôt, sera très préoccupé par le respect formel de la démocratie (votes secrets pour la reprise du travail) l’est beaucoup moins en ce moment. Il pourrait dire que le gouvernement se doit de discuter avec les représentants élus des dix millions de grévistes (avec un comité national de grève, en somme) et non avec des dirigeants syndicaux qui ne représentent pas un gréviste sur 5. Le rusé Pompidou se garde bien de tenir de tels propos.

 

Notons aussi que, d’emblée, les centrales syndicales annoncent qu’elles acceptent des délais pour le retour aux 40 h, l’âge de la retraite, etc, etc.

 

Notons enfin la réapparition soudaine du mot d’ordre capital de l’Échelle mobile des salaires. Nous le verrons bientôt disparaître.

 

A propos de ce mot d’ordre, Frachon déclare :

« Il a fallu que nous mettions les pieds dans le plat pour ramener la discussion sur ce sujet. C’est un des problèmes essentiels sur lesquels la classe ouvrière est très sensibilisée. »L’Humanité du 27 Mai page4.

Frachon ajoute :

« Nous nous trouvons aujourd’hui en présence d’une mouvement de grèves et d’occupation des entreprises qui n’a jamais connu d’égal dans notre pays, même en 1936 ! »

Note importante dans ce même n° de l’Humanité.

« Dimanche 16h30. Conformément à la règle observée, aucune déclaration n’est faite à l’issue de cette entrevue. »

D’autre part, aucun compte rendu des discussions ne sera publié, même en juillet. Il est bien évident que De Gaulle et le patronat sont au courant minute par minute. Seul le prolétariat est victime de cette indigne diplomatie secrète. Il y aura, parait-il, 25 heures de discussions. En voyant la souris qui sort de cette montagne, on a du mal à imaginer ce qui a nécessité de si longues palabres, et ce qui a bien pu se dire.

Et qu’en résulte t-il ? Un accord ?

« La CGT, conformément à l’engagement pris devant les travailleurs, a prévenu le gouvernement et le patronat qu’elle réservait sa position sur chacune de leurs concessions jusqu’ à ce qu’elle ait consulté l’ensemble des travailleurs en grève, tous solidaires les uns des autres. » L’Humanité du 28 Mai.

Cette Direction n’a pas d’opinion sur le retour en l’an X des quarante heures. Elle « réserve sa position ! »

Pour le gouvernement, il y a un « accord. »

« 7h40. C’est fini. Mr Pompidou va faire une déclaration et lire le texte de « ce qui a été convenu. »

C’est l’Humanité qui met les guillemets, mais se garde de répliquer que rien n’a été convenu. On a très nettement l’impression que l’État gaulliste ne désire pas que les leaders syndicaux perdent la face. Séguy s’empresse de dire blanc puis noir. Ce qui lui permettra, pour la postérité, de rappeler telle ou telle phrase :

« La séance s’est pratiquement terminée par un désaccord. » dit, en sortant, Séguy. L’Humanité du 28 Mai.

« Séguy : Il reste encore beaucoup à faire et nos objectifs restent, mais les revendications qui ont été retenues pour une grande part et ce qui a été décidé ne saurait être négligé. » L’Humanité du 28 Mai.

« Descamps, CFDT : En 25 heures de discussion, nous avons obtenu des résultats que nous réclamions depuis des années... Les avantages acquis sont importants. »

« Bergeron, F.O : Nous ne pouvons que constater un certain nombre d’accords et de désaccords. »

« Tessier, CFTC : Les avantages l’emportent de très loin sur les insuffisances. »

Qu’y a t-il de vrai dans tout cela ?

 

D’abord, il faut avoir toujours en mémoire qu’il s’agit du plus vaste mouvement de grève que le monde ait vu. L’arrêt du travail est quasi total dans le pays. Ce fait seul indique que le vrai problème posé est celui du pouvoir. Devant ce danger mortel, la bourgeoisie lâcherait beaucoup, si d’emblée, il ne lui était que très peu demandé.

Cette bourgeoisie sait qu’elle n’est pas la seule à redouter la révolution socialiste. Elle connaît les limites de ses partenaires syndicaux. Elle en profite.

L’Etat gaulliste lâche de substantielles augmentations aux salariés très mal payés des entreprises marginales. Cela n’est pas pour gêner le grand capital qui verra ainsi la concentration s’accroître. Plus tard, Gingembre, délégué général des petites et moyennes entreprises, écrira dans « La Volonté » :

« Ces charges vont directement entraîner une augmentation des prix qu’il est encore impossible de chiffrer, qui variera d’ailleurs selon les secteurs, mais qui ne semble pas, en moyenne, devoir être inférieur à 15 %. »

 

Pour le reste, l’Etat gaulliste ne lâche pratiquement rien :

          - Rien sur l’abrogation des ordonnances.

          - Rien sur les 40h, car il faut un certain cynisme pour considérer comme un résultat le retour aux 44h ou aux 47h l’an prochain.

          - Rien sur les salaires, pensions et retraites, car une augmentation hiérarchisée et, ensuite non garantie par l’échelle mobile des salaires n’est qu’un nuage de fumée. C’est même un drame pour les vieux travailleurs qui vont supporter les hausses de prix sans avoir rien obtenu.

 

Le droit syndical :

Là aussi, l’Etat ne lâche que ce qui peut l’intéresser. Les patrons sont partagés sur cette question, mais une bonne partie d’entre eux, à la lueur des événements, considère qu’un syndicat est souvent une garantie contre les explosions de colère incontrôlées.

Ceci dit, l’Etat bourgeois est prêt à admettre le principe de tout ce qui est primes particulières, avantages maison etc. Depuis longtemps il voit d’un bon oeil le petit stock de charbon du mineur, le calendrier du facteur et le carnet de voyages du cheminot. Tout ce qui divise concrètement les salariés lui convient.

Donc, il sort, au moins, un accord tacite de Grenelle.

On décide de ne plus se rencontrer, c’est à dire de ne pas revenir sur les grands points essentiels qui nécessitent des accords nationaux :

- Les ordonnances.

- L’Échelle mobile et les 40 H.

Pour les broutilles, pour tout ce qui peut graisser les rouages de la machine, prière de s’adresser aux branches d’industrie.

Et c’est pourquoi, entremêlé de viriles et creuses « Il faut exiger », le communiqué de la CGT conclut :

« Ce que le gouvernement et le CNPF n’ont pas consenti à l’échelle nationale interprofessionnelle, il faut le leur imposer aux autres niveaux dans le cadre des négociations qu’il faut exiger immédiatement par branche d’industrie et secteurs professionnels et qui se poursuivent dans les secteurs nationalisés et public. » L’Humanité du 28 mai.

 

Séguy se rend à l’usine Renault :

« Il s’établit entre lui et l’assemblée une sorte de dialogue. Celle ci applaudit ce qui la satisfait, proteste pour ce qui est insuffisant.

Quand il est question de possibilité de récupération selon les cas, cette prétention patronale soulève de vigoureuses protestations. Séguy souriant en dépit de sa fatigue, calme la tempête. Selon les cas a t-il été dit : Et bien, ici, ce n’est pas le cas ! On applaudit et on rit.

Comme nous n’avons jamais lancé le mot d’ordre de grève, il ne saurait pour nous être question de nous substituer aux travailleurs pour lancer un mot d’ordre de reprise. » L’Humanité du 28 Mai page5.

Dans ce même journal, en page 4, sous le titre : « Ce qui a été imposé » on peut lire :

« Les journées de travail seront en principe récupérées. »

En conclusion, non seulement la totalité des grévistes repousse ce que la CFDT appellera « Le résultat des négociations », mais « de nouvelles entreprises entrent dans la lutte. » Humanité du 28 Mai.

 

Hélas, cette immense armée va lutter bataillon par bataillon. On pourrait croire qu’il existe des centrales syndicales pour empêcher seulement la centralisation des luttes. Ces mêmes centrales qui refusent de coordonner, s’opposent férocement à la constitution d’un comité central de grève.

Nous allons voir que là ou les ouvriers sont très combatifs, les directions syndicales joueront presque les « gauchistes » et donneront une leçon de dignité aux palabreurs de Grenelle. Ainsi, dans l’éclairage :

« La CGT quitte la salle : Nous reviendrons lorsque des propositions concrètes seront faites. » Humanité 29 Mai.

A la SNCF :

« Le ministre n’à pas de pouvoirs suffisants pour nous répondre. »

Humanité du-29 Mai, page4.

 

Par contre, là où la combativité est moins grande, les directions syndicales sont prêtes à casser le front de grève en feignant d’avaler les promesses les plus éhontées. Les arsenaux ne feront que 15 jours de grève et c’est en fin juillet qu’on entendra les récriminations contre les autorités qui ne tiennent pas leurs promesses. Pourtant, les centrales syndicales savent fort bien que la reprise en un point pèse dangereusement sur ceux qui luttent en un autre point.

« Mineurs : Il est certain que leur jugement sera influencé par l’état de la lutte dans les autres secteurs de l’économie. » L’Humanité 29 Mai, page4.

 

Mais, en ce lendemain de Grenelle, il n’est pas question de reprise et Le Figaro du 28 Mai s’interroge :

« Il semble difficile, cependant, d’imaginer à court terme une CGT entièrement débordée.

Elle emballera s’il le faut sa monture, comme dit le proverbe, afin de la maîtriser. »

 

Pompidou s’empresse de réclamer des votes à bulletin secret dans chaque usine :

« C’est le seul moyen de connaître la pensée véritable des ouvriers en grève. »

Quant à leur pensée sur l’Échelle mobile et les 40 h, nous avons vu que Pompidou ne se souciait pas de la connaître.

 

Voix Ouvrière souligne :

« Le référendum avait pour but de faire dévier sur le plan électoral la lutte qui se déroulait dans la rue ou dans les usines. Il rate complètement.

Les grandes formations politiques de la gauche : FGDS et PCF acceptent pourtant tout de suite que le combat soit transféré sur ce terrain. Malgré leurs dénonciations indignées de la manoeuvre gaulliste, aucune ne conclut à la nécessité de refuser le référendum, de le boycotter. Dés la déclaration de De Gaulle, elles appellent à voter « Non » et elles continueront jusqu’à ce que De Gaulle lui-même, constatant le boycott de fait et l’échec de l’opération, décide de l’ajourner. »

 

Lundi 27 mai

La CGT appelle à 12 manifestations dans Paris.

L’UNEF décide un meeting à Charléty. Le gouvernement lance une campagne d’intoxication, laissant entendre qu’il y aura des groupes armés qui se livreront à des provocations. Visiblement, il prépare l’opinion à une éventuelle attaque policière et veut dissuader le maximum de gens de manifester.

Le cortège de l’UNEF démarre aux Gobelins. Cinquante mille personnes défilent en bon ordre à travers Ivry jusqu’au stade de Charléty. Manifestation toujours dynamique qui scande : « Ce n’est qu’un début. Continuons le combat », et sur l’air de Pin Pon : « Séguy trahit, Séguy trahit ! », « Nous sommes tous des juifs allemands ! », « La pègre, c’est nous ! »

 

La grande masse des manifestants n’apprendra que tard la présence de Mendès-France au stade. Ses partisans l’ont pressé de prendre la parole. Il s’y est refusé, disant que c’était un meeting syndical. En fait, des militants politiques ont parlé. La vraie raison de Mendès-France est ailleurs. Il avance prudemment ses pions. Il spécule sur le discrédit croissant du PCF, mais en dépit du fait que le PSU a une audience accrue, il existe maintenant une extrême gauche qui n’est pas prête à avaler des couleuvres. Mendès-France habitue les jeunes et les étudiants à sa présence, mais il va laisser Mitterrand parler de lui.

Voix Ouvrière souligne :

« Dans le futur gouvernement il faudra quelqu’un capable d’en imposer aux jeunes forces révolutionnaires. C’est ce rôle que se prépare à jouer noblement et en toute simplicité Mendès-France. D’autres l’y aident d’ailleurs. Descamps le désigne ouvertement comme le favori de la CFDT en cas de vacance gouvernementale. »

 

L’Humanité du 28 Mai, apparemment désolée de constater que la « pègre » peut participer calmement à une vaste manifestation, note :

« Au meeting du stade Charléty, si l’ordre régnait, la peur du désordre était dans bien des cœurs. »

 

Mardi 28 mai

Mitterrand annonce qu’il est candidat à la présidence si les « non » l’emportent au référendum, mais il suggère à Mendès-France de prendre la tête d’un gouvernement provisoire.

De la Bastille à St Lazare, 5 à 800 000 travailleurs et de nombreux étudiants défilent. Le mot d’ordre PCF-CGT est « Gouvernement populaire ». On entend aussi « De Gaulle démission ! », « De Gaulle à Colombey ! » « Nationalisez Citroën ! »

« La police n’est pas visible. Pourtant une voiture avec 4 policiers en uniforme veut aborder la place. Fermement et calmement, le service d’ordre lui fait signe de se détourner. La voiture obéit et disparaît. » L’Humanité du 30 mai.

 

De Gaulle fait de même. Pendant une courte période, les plus lucides voudront croire qu’il s’est abîmé dans le chagrin :

« Plusieurs députés UD 5éme, en quittant la réunion de leur groupe font triste mine. Ce qui ne les empêche pas de dire en aparté : « On nous a donné la consigne. Gardez le sourire. » L’Humanité du 30 mai.

 

L’UNEF est tombée dans un piège et a refusé de participer à une manifestation dans laquelle elle aurait pu, aussi bien que le 13 Mai, jouer un rôle très important.

« Aujourd’hui les directions CFDT et FO prétextant que l’UNEF ne s’y associe pas, n’ont pas appelé à manifester. La direction de l’UNEF, tout en ayant raison d’exiger que la direction CGT retire ses accusations d’irresponsabilité et qu’elle accepte les luttes des étudiants sur des mots d’ordre étudiants, aurait du comprendre que notre place est aux cotés des travailleurs quelque soient les erreurs des directions syndicales qui les appellent à descendre dans la rue. » (Comité d’Action de l’enseignement préparatoire à la recherche en sciences sociales. 29 Mai)

« Si l’UNEF avait jamais eu une chance de faire pression sur la CGT durant ces journées -et reconnaissons que de toute manière, cette chance n’était pas grande - elle l’a gâchée par ce refus. » Voix Ouvrière.

 

Dans un tel moment, la tactique du « mouvement du 22 mars » ne suffit plus, et l’absence d’un fort parti révolutionnaire se fait cruellement sentir.

 

La droite prépare la mobilisation de ses fidèles qui s’apprêtent à venir en cars de toute la province. Elle prépare aussi la mobilisation des authentiques truands dont les affaires périclitent depuis un mois et qui n’ont rien à refuser à la police. Tous ceux là vont constituer les « Comités d’Action Civique » avec pistolets, mitraillettes et port d’arme. Ceci se manigance dans un silence interrompu par la déclaration de Mendès-France :

« Il faut un gouvernement orienté vers une société plus juste, plus socialiste. Je ne refuserais pas les responsabilités qui pourraient m’être confiées par l’ensemble de la gauche. »

Il faut certainement en déduire que Mendès-France veut former son gouvernement comme il l’entend. Aussi, le PCF réplique :

« La classe ouvrière ne se satisfera pas de l’intronisation d’un nouveau sauveur, l’un suivant l’autre. »

Et appuie ses propos par un titre qui sera le dernier dans le genre :

« Grève : Nouveau renforcement. » L’Humanité du 30 Mai.

 

Ce qui ressort de plus clair pour le grand public, c’est que la gauche « officielle » n’est même pas d’accord pour se partager la peau d’un ours qui n’est pas encore mort.

De Gaulle rentre de sa tournée des popotes. Il a été s’assurer d’un éventuel appui militaire en échange d’une amnistie pour les officiers O.A.S.

« Je dissous aujourd’hui l’Assemblée Nationale... Les élections législatives auront lieu dans les délais prévus par la constitution, à moins qu’on entende bâillonner le peuple français tout entier en l’empêchant de s’exprimer en même temps qu’on l’empêche de vivre, par les mêmes moyens qu’on empêche les étudiants d’étudier, les enseignants d’enseigner, les travailleurs de travailler. Ces moyens, ce sont l’intimidation, l’intoxication et la tyrannie exercée par des groupes organisés de longue main et par un parti qui est une entreprise totalitaire même s’il a déjà des rivaux à cet égard. »

 

De Gaulle s’engage dans une partie de poker. Il sait que le mouvement populaire peut prendre le pouvoir et que ce pouvoir ne pourrait lui être repris qu’au prix d’une difficile guerre civile à l’issue incertaine et qui laisserait, en tous cas, l’économie nationale fort diminuée.

Mais il connaît aussi sur le bout des doigts sa « gauche officielle ».

Il sait qu’elle ne veut pas prendre le pouvoir et qu’elle va se jeter avec frénésie sur l’appât des élections.

Il sait également que pour aller à ces élections, le mouvement ouvrier « officiel » va tout faire pour liquider les grèves sur la simple base de Grenelle que tous les grévistes ont vomi.

Il sait encore que cette « gauche officielle » ne peut gagner des élections après avoir fait avorter un mouvement de dix millions de grévistes.

Il sait enfin (et il n’est pas le seul) à quel point le système électoral français est truqué. Inutile d’attendre la fin juin pour savoir qu’il faut 130 000 voix pour un élu PCF et 27 000 pour un UNR.

Quoi de plus délicieux que de transposer un débat sur un terrain où deux millions de jeunes combatifs auront le droit de se taire et où un couvent de religieuses cloîtrées pèse autant que les piquets de grève de Renault.

 

De Gaulle attaque violemment un PCF dont il connaît pourtant fort bien la modération. Il agit ainsi, non pour le plaisir pervers qui consiste à traiter de calotin un curé défroqué, mais parce qu’il joue gagnant sur deux tableaux.

 

D’abord, sachant qu’un salarié sur quatre est potentiellement « gauchiste » dans un moment où tous viennent de repousser les accords de Grenelle, il est bon de donner au PCF un certificat de « subversion ». Cela ne peut que l’aider à faciliter la reprise du travail face aux critiques « gauchistes ». On voit mal devant les ouvriers de Renault, un Séguy dont De Gaulle aurait loué l’esprit de collaboration.

Enfin, faisant d’une pierre deux coups, il démolit pour le moment des élections, un PCF qui, non content d’être totalitaire n’a même pas été capable d’assurer la victoire ouvrière.

A la vérité ce discours de De Gaulle ne manque pas d’habileté et dut avoir pour conseillers quelques gaullistes « de gauche » !

 

Voici donc un PCF assez gêné. Il n’a pas stigmatisé les « pseudos révolutionnaires » pour dire, à présent, que lui n’est pas un vrai.

Toute sa tactique va consister à répéter inlassablement que c’est celui qui propose des élections qui n’en veut pas car il est sûr de les perdre. De Gaulle veut la guerre civile et, le meilleur tour à lui jouer, c’est d’aller gentiment aux élections que nous sommes sûrs de gagner. Ce sadique veut nous violer. Déshabillons nous volontairement. Nous déjouerons ainsi ses plans. Car un sadique qui se respecte ne peut admettre le consentement.

 

Avec son talent habituel, René Andrieu explique cela dans l’Humanité du 31 Mai :

« Comme le chef de l’État aurait été heureux, on le devine, si nous étions tombés dans les pièges que nous tendaient obligeamment ses honorables correspondants du ministère de l’Intérieur.

Comme il aurait aimé que les ouvriers dans les usines ou les manifestants dans les rues, au lieu de faire preuve d’un extraordinaire sang froid, aient incendié quelques voitures ou dressé quelques barricades. »

« Si le mot d’ordre de grève se maintient, il choisira « d’autres voies que le scrutin immédiat du pays » Le chantage à la dictature ouverte est parfaitement clair. La promesse d’un scrutin semble ici servir d’alibi. »

 

Déclaration du BP du PCF :

« De Gaulle annonce son intention de procéder à de nouvelles élections. Le PCF n’avait pas attendu ce discours pour demander que la parole soit donnée au peuple dans les plus brefs délais. Il ira à cette consultation en exposant son programme de progrès social et de paix. »

 

Communiqué de la CGT

« La reprise du travail dépend de la reprise des négociations sur des bases susceptibles de convenir aux travailleurs en lutte légitime. La responsabilité en incombe au gouvernement et au patronat. »

 

Communiqué CFDT

« La CFDT refuse le dilemme qui lui est proposé : Soumission ou guerre civile. »

 

Comment s’amorce une reprise.

Témoignages sur Peugeot :

« Vendredi 17 Mai, il était évident que l’usine de Sochaux allait débrayer. Obéissant aux instructions centrales, les directions syndicales utilisèrent le week-end pour s’élirent elles-mêmes : Comité central de grève.

Lundi 20 Mai, la grève fut décidée. Dans chaque atelier un comité de grève fut élu par les ouvriers. Les délégués de ces comités se réunissaient régulièrement avec le « comité central de grève » non élu par les grévistes.

Au début, l’aspect anormal de cet organisme ne choqua pas les travailleurs.

Après les entretiens de Grenelle, il devint de plus en plus clair que si les délégués d’atelier étaient l’expression des ouvriers, par contre, le comité central était l’expression de Séguy et Cie.

Pour de nombreuses tâches pratiques, les comités d’atelier prirent les initiatives : (Piquets de grève. Défense contre les harcèlements gaullistes). Mais pour les grandes décisions (entretien avec les patrons, etc.) le « Comité central » bénéficiait en quelque sorte de la « légalité » bourgeoise.

Après le discours de De Gaulle promettant des élections, les directions syndicales s’orientent vers la reprise.

Dans l’espoir d’accélérer le mouvement, le patronat organise un vote secret le 4 Juin.

11 000 votants sur 26 000 salariés, avec, cela va de soi, une majorité pour la reprise.

Mais les directions syndicales qui n’apprécient pas d’être doublées ont déclaré le vote nul et non avenu. La grève continue.

Mais le 12 Juin, sans que le patron ait lâché quoi que ce soit de plus, sans consulter les assemblées d’atelier au préalable, les directions syndicales organisent un vote encore plus bâclé que celui du patron : 5284 votants ! Majorité de 49 voix pour la reprise. La direction CFDT se rallie à la reprise. Les travailleurs les plus combatifs sont placés devant le fait accompli. Ils crient leur indignation et conspuent la direction syndicale. Mais la masse des ouvriers est désemparée.

Dès le lendemain, dimanche, un millier de cadres prépare la reprise. Des peintres enlèvent les inscriptions sur les murs. Tout parait fini.

Lundi, reprise agitée. Discussions nombreuses. Dés 8h les ouvriers de carrosserie débrayent et parcourent en cortège toute l’usine qui débraye. La réoccupation est votée. Les travailleurs exigent que les délégués élus dans chaque atelier fassent partie du comité central.

Les directions syndicales boudent. Le patron qui le sait, déplore officiellement que la grève recommence sous l’impulsion « d’éléments incontrôlés. »

Dans la nuit qui suit, les CRS attaquent. Il fallut encore huit jours après la répression sanglante pour que les syndicats, ayant obtenu un nouveau minimum de concessions puissent procéder à un nouveau vote. Sur 18162 Votants : 15381 pour la reprise, 2683 contre.

Le travail reprend le 20 Juin. »

 

La manifestation gaulliste organisée sur les Champs Elysée rassemble un nombre important de cadres, de petits bourgeois, de militaires de carrière et toutes les professions qui vivent du tourisme, à Pigalle entre autres.

Cette foule qui unit gaullistes et OAS crie « CRS courageux » au passage des matraqueurs. C’est là aussi qu’on entendra « Cohn-Bendit à Dachau ! »

Cette foule ne pèse pas lourd quand il s’agit de bâtir des maisons, de faire rouler des trains ou de travailler sur les machines outils... mais électoralement, elle compte.

Au lendemain de ce défilé, un appel des syndicats rassemblerait deux millions de travailleurs combatifs au coeur de Paris. Mais il n’y aura plus d’appel avant les élections. Il n’y aura plus une seule grande manifestation des syndicats. Il y aura, par contre, des appels répétés « N’allez pas aux manifestations de l’UNEF ! »

 

1er Juin.

Déclaration du BP du PCF :

« Le général De Gaulle a menacé d’employer d’autres voies que le scrutin affirmant qu’il était prêt à utiliser tous les moyens. Il redoute le verdict de la Nation. Il cherchera tous les prétextes, y compris la provocation, pour bâillonner le peuple, le priver de la possibilité de s’exprimer par le suffrage universel et imposer sa dictature. »

René Andrieu écrit dans l’Humanité du 01 Juin

« Tout se passe comme si le pouvoir, redoutant le verdict des électeurs, était à l’affût d’une provocation d’envergure pour instaurer une dictature ouverte. Les travailleurs ne tomberont pas dans le piège. »

Notons à la lecture de ces multiples textes affirmant que le pouvoir redoute les élections qu’il est toujours implicitement supposé que ce pouvoir n’aurait aucun mal à établir sa dictature contre dix millions de grévistes.

Chaque matin, à grands coups d’articles l’Humanité fabrique un complexe d’infériorité chez les salariés.

 

L’histoire prouve qu’un pouvoir qui aspire à la dictature (curieuse formule d’ailleurs) n’a aucun mal à fabriquer la provocation appropriée.

Mais, ce que disent les partis de gauche est une chose. Ce que vont dire les syndicats est, en principe, autre chose...

N’oublions pas que selon Séguy :

« La CGT monte la garde autour des revendications et a les moyens de les défendre. »

N’oublions pas Frachon parlant de l’importance capitale de l’Échelle mobile des salaires.

N’oublions pas, enfin, que ces deux hommes ont souvent manifesté leur intention de ne pas sacrifier les revendications à des perspectives politiques « vagues » où « chacun met ce qu’il veut ». Et c’est bien le cas des élections en régime capitaliste.

 

Or, dans l’Humanité du 1er Juin, Séguy annonce :

« La CGT déclare qu’elle n’entend gêner en rien le déroulement de la consultation électorale. C’est l’intérêt des travailleurs de pouvoir exprimer dans le cadre des élections leur volonté de changement. »

Ça n’est pas l’intérêt de 2 millions de jeunes ni de 2 millions de travailleurs émigrés qui n’ont pas le droit de vote. Mais cela, on l’oubliera jusqu’au lendemain des élections. On oubliera aussi l’Échelle mobile et les 40 heures.

Les revendications deviennent une peau de chagrin qui n’entraîne pas « d’exigence révolutionnaire. » Et, tout doucement, on commence à pousser sur le wagon de la reprise :

« La C.A. de la CGT constate que depuis hier, les discussions engagées à l’échelle nationale avec les organisations patronales ont sensiblement progressé sauf dans quelques une d’entre elles. »

« La C.A. rappelle également le ferme attachement de la CGT à la garantie du pouvoir d’achat des rémunérations qui doit être assuré en particulier par des mesures propres à lier l’évolution des salaires à celle des prix. » L’Humanité du 1 Juin, page 5.

Ce sera, jusqu’aux élections, la dernière allusion à l’Échelle mobile qui n’est pas nommément citée.

Et sous l’effet bénéfique du discours de De Gaulle, tout semble aller mieux sur le plan revendicatif.

Page 6. Un titre :

« Faire tomber les derniers obstacles à la négociation. »

« Bâtiment. Résultats dans le chauffage. »

« Textile naturel. Des concessions. »

« Cuirs et peaux. Discussion avancée dans la chaussure. Accord à la SNPA. »

 

Le comité de coordination pour un mouvement révolutionnaire (Avec Vigier, JCR, PCI, etc.) lance un appel :

« Travailleurs, étudiants, il ne faut pas céder.

Après la déclaration de De Gaulle, la situation est claire. L’Etat bourgeois ne peut résister qu’en brisant le mouvement de grève. Quelles sont ses armes ? Le chantage à la guerre civile. Le mirage des élections.

Travailleurs, les élections sont un piège. Elles n’ont d’autre but que de faire cesser la grève.

Que veulent les travailleurs ? Ils savent que la satisfaction de leurs revendications est impossible dans le régime actuel. Il faut donc que ce régime tombe. »

 

La Cause du Peuple (Maoïste) écrit :

« La dictature gaulliste et les directions confédérales se partagent le travail. D’un coté, l’agression directe des milices armées du grand capital, de l’autre la démobilisation organisée, le dévoiement des luttes sur le terrain pourri du Parlement, là où la grand capital est le plus fort. »

 

Déclaration du Parti Communiste Internationaliste (4ème Internationale) :

« Il est absurde de prétendre relever le défit gaulliste sur le terrain électoral qu’il impose sous la menace militaire. Le combat se livre dans les usines et dans la rue. »

 

Le 1er Juin, à l’appel de l’UNEF et des organisations d’extrême gauche, 40 000 personnes manifestent de la gare Montparnasse à la gare d’Orléans Austerlitz :

« Ce n’est qu’un début, continuons le combat ! ». « Élections : Trahison ! »

Avec une discipline extraordinaire, ces colonnes « d’enragés » observent un silence total en passant devant un hôpital, Boulevard Port Royal. Elles poussent même la grandeur d’âme jusqu’à observer le silence en passant devant la maison de santé des gardiens de la paix.

Après une prise de parole devant la gare d’Orléans Austerlitz, plusieurs milliers de jeunes se rendent à la faculté des sciences où va se tenir un meeting pour la constitution d’un mouvement révolutionnaire. D’autres groupes se rendent devant Citroën et Renault. Dans les usines, les dépôts, les militants d’extrême gauche appellent les travailleurs à ne pas céder devant les campagnes d’intoxication de la grande presse. Les revendications sont rappelées : 40 heures. Echelle mobile, etc.

 

La quasi totalité des quotidiens, de la gauche à la droite pousse à la reprise. La radio pousse à la reprise.

Face à ce déluge, quelques petits journaux, quelques tracts et le dévouement de milliers de jeunes souvent attaqués par des groupes gaullistes dans la rue et par des permanents PCF devant certaines usines. Et le grand mouvement tiendra encore trois semaines.

 

Dimanche 2 Juin.

Les grévistes réoccupent les gares de Strasbourg et de Mulhouse. Négociations difficiles dans les transports et la métallurgie. Un certain nombre de cadres gaullistes organise des manifestations pour la reprise. Ceci entraîne un nouveau raidissement des travailleurs, y compris, parmi ceux qui ont confiance en Séguy.

 

4 Juin. Gros titre dans l’Humanité :

« Gouvernement et patronat prolongent la grève dans des secteurs importants. » page 6.

« Chez Renault, la Direction et le gouvernement patron seuls responsables de la poursuite du conflit. »

A la vérité, le gouvernement s’en tient aux accords de Grenelle. La grève dure parce que les travailleurs repoussent avec juste raison ces accords.

L’intérêt des titres ci-dessus, c’est qu’ils permettent de présenter la reprise comme un bon tour joué à l’État et aux patrons.

Page 5. Henri Krasucki déclare :

« Les travailleurs n’ont aucun désir de prolonger une grève sans motifs.

Les travailleurs qui ont obtenu satisfaction décideront en bon ordre de la reprise du travail »

« Sans motif ! » Qu’est devenu le « profond attachement à l’échelle mobile » ?

 

« La CGT appelle la population et la classe ouvrière à une vaste solidarité matérielle pour ceux qui sont contraints de poursuivre leur mouvement. »

Contre le fleuve de l’unité dans l’action... le canal des quêtes !

Page 4 :

« Des commandos factieux attaquent les piquets de grève. A St Denis SNCF, à l’EDF de St Ambroise, à l’usine Neumann de Croissy. »

La contre attaque électorale s’élabore difficilement :

« Le conseil national de la SFIO regrette que le PCF n’ait pas retenu l’idée d’une candidature unique. »

 

5 Juin.

La reprise ne se fait pas assez vite. La presse bourgeoise aiguillonne les directions syndicales en les soupçonnant injustement de noirs projets.

Le Figaro :

« La CGT joue t-elle un double jeu destiné à déplacer les événements actuels du plan syndical au plan politique ? »

« Sommes nous en présence d’une tentative délibérée de sabotage de la prochaine consultation électorale ? Au profit de qui ? »

Paris-Presse :

« Le refus de la reprise... risque t-il d’empêcher les élections générales ? Le rôle du PCF n’est pas net et plusieurs observateurs se demandent aussi ce que veut exactement la CGT. »

 

Ces ignobles font semblant de ne pas comprendre qu’on ne peut pas faire oublier du jour au lendemain les 40 h et l’Échelle mobile. Pourtant l’Humanité fait tout son possible :

Page 3. Gros titre :

« Gaziers et électriciens ont signé leurs succès. »

Pendant ce temps, page5 :

« La police qui avait investi lundi soir le centre de chèques postaux de Lyon a renouvelé cette opération mardi à 15 h à l’inter téléphonique »

« A l’usine Paris Rhône de Lyon, coup de main effectué par un groupe « d’action civique ». Plusieurs ouvriers du piquet de grève sont blessés. »

Mais la contre-attaque se prépare avec des bulletins de vote.

 

Le BP du PCF déclare :

« La question qui est posée devant le pays n’est pas gaullisme ou communisme, mais dictature ou démocratie. »

Cependant, page 7, une petite phrase qui devrait entraîner des déductions :

« Parce que le gaullisme a peur, deux millions et demi de jeunes n’auront pas le droit de vote. »

Avant même que le jeu de dames des élections commence, l’ennemi nous souffle une rangée. On devrait, au moins, préciser les conditions du jeu avant d’accepter la partie. Pas du tout, on va jouer quand même... et faire croire qu’on peut gagner.

 

6 Juin

« Le bureau confédéral de la CGT estime que partout où les revendications essentielles ont été satisfaites, l’intérêt des salariés est de se prononcer en masse pour la reprise du travail dans l’unité. »

Bien que n’ayant pas, comme a dit Séguy, donné un ordre de grève générale, il ne puisse donner un ordre de reprise, ça le démange drôlement.

Notons encore que les 40 h, l’Échelle mobile et l’abrogation des ordonnances ne font plus partie des revendications essentielles.

« Toute autre attitude fournirait à De Gaulle le prétexte qu’il attend, qu’il espère, pour éviter la consultation du peuple. »

Autrement dit, il faut rentrer à tout prix et même à n’importe quel prix !

 

L’Humanité du 6 Juin :

« Sidérurgie : Rentrée générale sous le signe d’un succès sans précédent. »

Page 1. Gros titre :

« Cheminots, RATP, Postiers, mineurs, EGF, etc : Reprise victorieuse du travail dans l’unité. »

Le très réactionnaire Parisien Libéré s’associe à la joie :

« Quatre bonnes nouvelles. Reprise du travail à la RATP, la SNCF, les PTT et les Services municipaux. »

Tandis que Le Figaro daigne donner un certificat de bonne conduite :

« La CGT montre qu’elle sait ne pas céder aux gesticulations révolutionnaires !»

 

En effet. Sous le titre « Vigilance » l’Humanité du 6 Juin :

« Des groupes gauchistes, le plus souvent étrangers au personnel des entreprises interviennent avec violence pour s’opposer à la volonté des travailleurs de reprendre le travail là ou les revendications sont satisfaites. »

Quand on regarde les choses de plus près, on ne retrouve pas l’enthousiasme des gros titres :

page4 :

« Les cheminots l’ont emporté sur le pouvoir. La semaine tombera à 44 h30 en juillet. Salaires relevés de 10,2 à 16 %.

Il est vrai qu’une certaine méfiance se manifeste par exemple contre le gouvernement. Qui s’en étonnerait ? Les cheminots ont été si souvent roulés par le pouvoir gaulliste.

Mais, en ayant, avec les autres grévistes, obligé le gouvernement à recourir à des élections, ils se sont ménagé une nouvelle chance de voir garanti ce qu’ils viennent d’obtenir par la lutte. »

« Pour garder toutes ses chances pour la deuxième manche, celle qui se jouera le 23 Juin avec les cartes d’électeurs, il faut que la reprise s’effectue aussi avec la même unanimité. »

 

Voyons un peu plus dans le détail la reprise dans une grande gare vue par « La Vie Ouvrière » N° 1241. Héliogravure du 12Juin.

Gare St Lazare. André Argalon secrétaire général adjoint de la fédération CGT explique comment a tourné la discussion :

« Si, au cours de la nuit, nous avons pu obtenir des reculs du gouvernement, nous le devons pour une part essentielle aux gaziers électriciens (les applaudissements crépitent) qui, dans la journée d’hier sont allés contacter des camarades de nombreux centres et leur ont communiqué qu’ils ne reprendraient pas le travail tant que les cheminots n’obtiendraient pas des satisfactions sensiblement égales aux leurs... »

« Un cheminot arrive, envoyé de Pontoise par l’ensemble de ses camarades.

« Rappelez vous, dimanche, nous pensions que le gouvernement voulait nous laisser seuls, et les gaziers électriciens et les postiers nous ont aidés en poursuivant le mouvement. C’est pour ça que nous pensons qu’il nous fait aider maintenant les métallos. »

« On lui répond : « C’est une bonne réaction des copains de Pontoise. Si tous les cheminots se déclarent d’accord pour terminer la grève, alors, il nous faudra tous aider pour que les métallos ne manquent de rien, ni leurs familles, ni leurs gosses. »

« Oui, c’est ça. Et maintenir l’unité. Car la lutte continue. Et il y a autre chose à gagner maintenant. De Gaulle et son pouvoir à battre aux élections. C’est cela qu’il faut. »

 

Pas du tout gênés par la solidarité financière, les commandos gaullistes continuent leur guerre de harcèlement. Chez Peugeot, ils lancent des grenades offensives en direction des piquets de grève contre les grilles de l’usine.

« Le personnel municipal d’Orly exige la dissolution du Comité d’Action Civique. »

 

L’Humanité du 6 Juin qui consacre trois pages à la préparation des législatives et qui, dans le cadre de cette préparation publie une lettre d’un militant PCF à Étienne Fajon :

« Il convient selon moi -et notre journal pourrait l’écrire- que, dans nos cortèges, la Marseillaise soit davantage associée à l’Internationale, que les drapeaux tricolores se mêlent, plus nombreux, aux drapeaux rouges. »

Aveu que, jusqu’à ce jour, les militants PCF eux mêmes, avaient tendance à faire du « Gauchisme »

L’Internationale est le chant de l’attaque.

La Marseillaise, celui de la retraite.

 

7 Juin.

Communiqué de la CGT. :

« Les éléments les plus réactionnaires du patronat obligent à la prolongation des grèves ...et agissent en véritables provocateurs.

L’intervention brutale de la police à Flins indique une volonté de vengeance insupportable contre ceux qui ont donné le signal de la grève générale. Le Bureau Confédéral en appelle à l’opinion publique toute entière. »

La Fédération des métaux :

« Elève la plus véhémente protestation. Elle félicite les militants qui, par leur sang froid, n’ont pas répondu à cette scandaleuse provocation. Elle exige le retrait immédiat des forces policières. Elle appelle tous ses militants à exprimer leur indignation. »

L’Humanité du 7 Juin relate :

« Provocation organisée à Flins par la direction Renault. Elle a fait investir l’usine. C’est seulement grâce au sang froid des responsables des piquets de grève que l’affrontement put être évité. Très dignement, les travailleurs sont sortis de l’usine. »

Nous venons de lire les mots « insupportable », « véhémente protestation », « exige »,

« retrait immédiat ». Nous croyons connaître le sens des termes. Continuons la lecture.

« La fédération des métaux CGT a été sollicitée par la fédération CFDT pour organiser des manifestations, d’une part devant le siège de la fédération patronale de l’automobile, d’autre part, devant le siège de l’union des industries métallurgiques et minières.

Dans les circonstances présentes, elle ne peut être d’accord avec de telles propositions qui, décidées pour le moins précipitamment, font preuve d’une certaine fébrilité et laissent libre champ à toute provocation. » Humanité du 7 Juin.

 

Plusieurs milliers de métallos soutenus par des étudiants manifestent cependant, rue de Presbourg. Quelques heurts se produisent avec un groupe de parachutistes gaullistes. Ce jour, le gros titre de l’Humanité en page 1 :

« Forts de leur victoire, des millions de travailleurs ont repris le travail. »

Et René Andrieu note :

« Le chef de l’État a intérêt à ce que la reprise s’effectue dans le désordre. »

En fait, le chef de l’État a intérêt à une capitulation ouvrière. Dans ce but, il est prêt à aller jusqu’à un certain « désordre » sachant que c’est celui qui a peur du « désordre », qui sera finalement battu.

 

8 Juin.

Des milliers d’étudiants marchent sur Flins.

« Sous le prétexte mensonger - d’aider les ouvriers -, des commandos dirigés par Alain Geismar ont ouvertement provoqué des heurts, fournissant ainsi à la police gaulliste l’occasion d’une intervention. » L’Humanité, page1.

Notons :

a) Que ce sont les commandos de Geismar qui ont attaqué la police.

b) Le fait que cette même police ait, la veille, chassé les piquets de grève, ne constituait pas une « intervention. »

 

« Ces aventuriers donnent au gouvernement de nouveaux moyens de chantage à la guerre civile, à la veille de la consultation électorale. La classe ouvrière, les étudiants, tous les démocrates ne peuvent tolérer les agissements de ces provocateurs. »

« L’Union CGT de la Région parisienne appelle les travailleurs à intervenir vigoureusement contre toute tentative de dévoyer le mouvement ouvrier. » page 1.

 

Jusqu’à ce jour, il était habituel d’accuser les « gauchistes » de faire le jeu de la police. Une nouveauté surgit. La police est accusée de faire le jeu des « gauchistes » ; De là, à penser qu’elle n’est pas sincère !

Page 8 : « L’USTM-CGT s’élève avec force contre l’envoi des forces de police aux portes des usines...Leur présence offre à des éléments incontrôlés, des prétextes pour tenter de détourner les travailleurs de leur objectif réel qui est la satisfaction des revendications. »

« Depuis le matin, les groupes Geismar ont rallié Flins, contournant ou franchissant les barrages que la police dit avoir mis en place sur certaines routes.

Le représentant de Geismar qui s’est imposé à la tribune (d’un meeting de 3000 travailleurs) prétend vouloir aider les ouvriers à « reprendre l’usine ». Les ouvriers ne lui ont rien demandé et des protestations fusent dans l’assistance. »

« Imposé à la tribune » Quand on connaît le profond respect des bureaucrates syndicaux pour la liberté de parole, c’est assez étrange.

 

Voici un extrait de l’appel des « commandos de Geismar » :

« Etudiants, enseignants, travailleurs, formons une large union populaire derrière les ouvriers de Flins.

Contactez le comité d’action de votre quartier. Toutes les voitures, cars et camionnettes sont nécessaires.

Mettez-les à la disposition de tous. Tous devant l’usine à partir de 4 h 30 du matin. »

Comité de coordination des comités d’action.

 

Extrait de « Tribune du 22 Mars » 7 Juin :

« Flins. 1 h 30 du matin :

L’autoroute après le tunnel : Une centaine de camarades sont arrêtés par les flics. 5h du matin. Lorsque nous sommes arrivés, il n’y avait là que 30 jeunes ouvriers appartenant à la CGT mais agissant de leur propre initiative pour empêcher la reprise du travail.

Les grévistes et les étudiants ont expliqué aux ouvriers dans les cars qu’il n’y avait pas à se laisser intoxiquer par la radio. Flins ne reprendra pas si les travailleurs de Flins ne reprennent pas.

…Les ouvriers sont presque tous descendus des cars pour se joindre aux grévistes et aux étudiants. Ainsi, grâce aux grévistes et aux camarades étudiants, l’opération du gouvernement a échoué.

Pour tous ceux qui étaient sur place, il est clair que ce ne sont pas les organisations syndicales qui sont responsables de cette victoire, mais les jeunes ouvriers et les étudiants. »

 

« 8 h du matin. Le meeting organisé par la CGT et la CFDT place des Mureaux, en diversion, n’a réuni que 50 permanents. Pour les ouvriers, le lieu du combat se trouve devant l’usine et non à 6 km. Les permanents ont donc été obligés de ramener le meeting près de l’usine, place de l’Étoile à Elisabethville. 2 à 3000 participants. Discours des représentants syndicaux : Ne pas tomber dans la provocation. Il faut que nous nous rencontrions cette après-midi pour discuter éventuellement d’une manifestation unitaire dans la journée de lundi. Ne pas céder aux provocations… Les ouvriers réclament avec insistance que les étudiants parlent au meeting. Un responsable syndical reprend le micro : « Le meeting est fini. Dispersez vous ! »

Cris : « Geismar ! Laissez parler Geismar ! Démocratie ! »

 

Geismar prend le micro : « Nous ne venons pas vous donner des leçons. Nous sommes avec vous pour la solidarité concrète. Vous luttez comme une partie des étudiants pour renverser le régime capitaliste. Nous, étudiants, avons montré qu’on pouvait faire reculer les CRS. Nous sommes avec vous jusqu’à ce que vous réoccupiez vos usines par des grèves de solidarité »

 

Un jeune travailleur de Flins propose d’organiser l’occupation devant l’usine, avec ravitaillement, dortoirs, etc, pour obliger les CRS à dégager l’usine. Il entraîne un groupe de camarades. C’est ce groupe qui est attaqué par la police à coups de grenades offensives à forte cadence. Grenadage quasi-interrompu de 10h30 à 11h.

Des responsables CGT interviennent : « Camarades, nous allons envoyer une délégation. Pas de violences ! » « A une provocation, on répond par une manifestation pacifique ! ». Charges et grenadages. Les responsables se sauvent.

On exhibe un homme, en complet, avec rosette de la Légion d’honneur. C’est le maire des Mureaux. Il va essayer d’intervenir. Charge. Il fuit avec les autres.

 

Zone de Texte: 31Les ouvriers crient maintenant : « CRS, SS ». Toute la journée bagarres. Nombreux jeunes ouvriers et étudiants le visage en sang. Le travail n’a pas repris.

Ce seul jour, ou plutôt cette seule nuit, sur l’autoroute de l’Ouest, près de 400 jeunes qui marchaient sur Flins ont été matraqués et arrêtés par la police. »

 

Reprenons l’Humanité du 8 Juin.

« Des premiers heurts se produisent entre le groupe de ceux qui se disent étudiants et la police. Petit à petit les grévistes rentrent chez eux. Vers midi il en reste peut-être 1500 devant l’usine.

Les groupes Geismar, eux, sont assez nombreux. Ceux ci se font provocants. Ils cherchent le contact avec les CRS de plus en plus activement. »

 

Rapprochons tout de suite ces lignes d’un article de l’Humanité du 10 Juin répondant à Pompidou :

« Si les CRS sont venus à Flins, ont forcé les portes de l’usine, ont matraqué et lancé des grenades sur les travailleurs, la grève a continué. »

 

Toujours le 7 Juin à 18 h, 3000 étudiants et jeunes ouvriers désireux de soutenir les camarades de Flins, se rendent à la gare St Lazare et demandent aux organisations syndicales, des trains pour se rendre à Flins.

« Demande ahurissante et provocatrice. » Note l’Humanité du 8 Juin

.

Tandis que la fédération CGT des cheminots « met en garde contre les provocations ».

Il est évident que si les CRS ont besoin d’un train pour aller assommer les ouvriers dans n’importe quelle région de France, il n’y a là, aucune provocation.

A 22 h, 2000 étudiants et jeunes ouvriers se dirigent vers le dépôt de la RATP de la porte St Cloud pour prendre des bus et se diriger vers Flins. La police barre la route du dépôt en force. Jusqu’à 23h30, accrochages et tirs de grenades lacrymogènes.

 

9-10 Juin.

Les accrochages continuent autour de Flins. Ratonnades dans les rues. Attaque des CRS contre le local CFDT. Les flics crèvent à coups de baïonnettes tous les pneus des voitures immatriculées 75 et cassent les pare-brises. Les hélicoptères repèrent les voitures « suspectes » et avertissent les CRS qui « contrôlent » mitraillette au poing.

« Dès qu’on quitte Élisabethville, on s’aperçoit que toute la région est quadrillée. Gendarmes tous les dix mètres, fusil au poing. Voitures radio. En un quart d’heure, sur l’autoroute de l’Ouest, montent vers Flins, six convois d’une douzaine de camions, chargés de CRS.

La chasse à l’étudiant est permanente. La manoeuvre de la police est de séparer les étudiants des ouvriers, d’en faire les uniques fauteurs de troubles. Les étudiants sont arrêtés en masse. Contre la terreur qui tend à s’instaurer, la population ouvrière réagit et tend à organiser sa propre protection et celle des étudiants rescapés : jumelles aux fenêtres, rondes à bicyclette. » Mouvement du 22 mars.

 

Tout ce que l’Humanité trouve à dire, en page 6, sur l’état de siège et les matraquages dans la région de Flins, est résumé dans les lignes suivantes :

« Quelques dizaines de jeunes gens et jeunes filles conduits à Flins par Geismar sont toujours dans le secteur et ne paraissent pas avoir abandonné l’idée de provocation. » L’Humanité du 11 Juin.

Mais, en première page, René Andrieu écrit :

« Certains groupes gauchistes qui appellent à la relance de la grève générale, jouent à la révolution comme Marie-Antoinette jouait à la bergère dans les jardins du petit Trianon. »

 

A l’heure où paraît cette infamie, écrite dans un bureau aussi paisible que le petit Trianon, des dizaines de jeunes baignent dans leur sang à Flins, et un étudiant de 18 ans, Gilles Tautin est en train de mourir, précipité à l’eau par les matraqueurs.

 

Extrait du témoignage de René Brousse, prêtre vicaire à St Germain de Charonne :

« A 15h30, je passais en vélomoteur sur la route longeant la place Juillet à Meulan. Une douzaine de jeunes gens, assis en rond sur l’herbe, discutaient. Arrive une voiture de police d’où descendent une dizaine de policiers tenant leur fusil la crosse en avant qui chargent aussitôt le groupe.

Je me suis transporté par la route sur le pont de Meulan. J’ai vu ces jeunes gens nageant tout habillés et un policier de la route, perché sur la rampe du pont tirant son pistolet et menaçant les nageurs en criant « Arrêtez ou je tire ! » J’ai emmené successivement deux nageurs sur ma mobylette avec l’appui de la population qui s’est opposée à ce que les gendarmes les emmènent.

Quand je suis revenu, un homme grenouille sortait un des jeunes qui avait coulé...

Vers 16h35, le pouls avait cesse de battre. Les efforts de réanimation ont cessé. Le jeune homme (à mon avis, âgé de moins de 20 ans) a été porté à l’hôpital de Meulan.

A ma connaissance, l’autre jeune homme qui avait coulé n’est pas sorti de l’eau. Plusieurs témoins avaient repéré un policier poussant dans le dos un des jeunes. Ils ont exigé que son nom soit connu. »

Je suis prêt à témoigner devant toute autorité… etc. » René Brousse.

 

Le bureau confédéral CGT communique :

« La radio a fait état d’un prétendu « Comité national provisoire de grève » composé d’éléments irresponsables issus de milieux de l’enseignement, n’engageant en rien le mouvement syndical et se fixant pour but de relancer la grève générale illimitée.

Tout appel à la reprise de la grève générale qui n’a, dans les circonstances présentes, aucune justification, doit être considérée comme une provocation dangereuse ne pouvant servir que les ennemis de la classe ouvrière et de la démocratie. »

« Aucune justification » ? Le prix du pain vient d’augmenter et il n’est toujours pas question d’échelle mobile des salaires.

 

Il est vrai que :

« La fédération de l’alimentation CGT dénonce, avec force, la hausse du prix du pain. »

 

Toujours dans ce même n° du 10 Juin :

« Des millions d’ouvriers et d’employés appartenant aux secteurs public et privé, ont repris le travail dans l’ordre et l’unité, à l’appel de la CGT, après avoir obtenu des résultats particulièrement importants. Du même coup, ils ont déjoué les calculs du gouvernement qui cherchait un prétexte pour briser le mouvement ouvrier et instaurer une dictature militaire. »

Page 5 : Un titre

« Un immense mouvement d’aide aux travailleurs contraints à la grève. »

Henri Krasucki :

« De quoi ont besoin les métallos ? Du soutien de l’opinion… et d’un soutien matériel. Mais les métallos n’ont pas besoin, comme certains l’insinuent, d’une reprise des grèves. Un tel mot d’ordre serait inopportun et ne ferait que favoriser des desseins politiques auxquels le gouvernement n’a pas totalement renoncé. »

« Le syndicat CGT Citroën appelle les travailleurs à la plus grande vigilance contre les provocations que le gouvernement et la direction s’efforcent d’exploiter pour briser le mouvement de grève, du fait des agissements de Geismar et de son groupe qui se sont déjà manifestés devant les portes des usines Citroën. »

 

Notons, qu’en dehors du SNES Sup, de l’UNEF, du PSU, il y a plusieurs organisations d’extrême gauche totalement autonomes les unes par rapport aux autres. Mais comme la direction du PCF a employé l’expression « groupes Geismar », la formule est reprise, en toute indépendance, par de nombreux dirigeants CGT.

 

Page 8, gros titre :

« Journée importante pour la remise en route de l’Education Nationale. »

« Chez les instituteurs, la reprise très largement acquise vendredi ne peut que se généraliser totalement. Un mécontentement réel demeure certes, et la lutte va se poursuivre. »

...Comme disait Bazaine en rentrant de Sedan.

 

« Les résultats acquis sont loin de répondre à toutes les aspirations des enseignants et des élèves. Mais si on tient compte de la nature du pouvoir et du rapport actuel de forces, ces résultats constituent un appréciable succès. »

Il est certain qu’en poussant partout à la reprise, le rapport actuel des forces devient de plus en plus défavorable à ceux qui luttent encore. En reprenant le travail, les instituteurs vont encore modifier le rapport des forces au détriment des métallos. C’est pourquoi, des milliers d’instituteurs protestent violemment.

 

« Le siège du SNI occupé par un commande gauchiste. Déjà l’Ecole Emancipée avait publié un tract où elle appelait à continuer la lutte jusqu’à la destruction du système capitaliste. Le caractère provocateur de cette tentative est évident. »

Les occupants du siège du SNI découvrirent nombre de télégrammes édifiants qui, bien sûr, n’auraient jamais été rendus publics. Exemple : « Instituteurs Crépy en Valois, trahis, exigent démission du secrétaire général du SNI. »

Et ce genre d’instructions données par les dirigeants SNI : « Suivant réaction, conseiller de ne pas se laisser ligoter par l’obligation d’un retour à la base. »

 

Mais si les étudiants n’ont pas le droit d’entrer dans les usines, par contre les ouvriers de la CGT (en fait, le service d’ordre permanent) est qualifié pour entrer chez les enseignants.

« Soutenus par les responsables du syndicat CGT des fonctionnaires et par des ouvriers CGT de la région parisienne, les dirigeants du SNI ont repris possession de leurs locaux dans l’après midi du dimanche. »

« Le syndicat CGT des collèges techniques invite les personnels à décider le matin, la reprise du travail.

Le conseil syndical a apprécié les importants succès remportés dans la lutte, mais aussi le mécontentement profond qui est suscité dans les C.E.T, comme en témoigne la consultation des personnels. »

Page 7 :

« La Fédération CGT des employés souligne qu’en ce qui concerne « Le Printemps», le Comité de grève irresponsable... s’oppose à la consultation. »

« Les provocations nombreuses... tout autour des grands magasins ne peuvent qu’aider le pouvoir actuel et lui permettre, en accord avec le patronat, de remettre en cause les avantages concédés et même justifier la répression. »

Ainsi, pour les vieux syndicats mencheviks sclérosés, les soviets qui élisaient une direction bolchevique, devenaient des « soviets irresponsables. »

 

Il est un secteur où, pour ne pas donner, au sens figuré, des armes au pouvoir gaulliste, on va les lui donner au sens concret du terme :

« Aux ateliers des chars d’assaut AMX à Satory, le travail a repris. Certains voulaient continuer la grève et cela partait d’un bon sentiment. Leur argument principal ? Des copains restent en lutte, ceux de chez Renault et de Citroën notamment. « On ne les abandonne pas » précise un délégué, on va maintenant les aider de toutes nos forces, et en premier lieu, en versant une journée de salaire. »

Vie Ouvrière, n° 1241.Héliogravure. 12 Juin.

 

Notons que dans tous ces « comptes rendus », on ne lit jamais qu’un seul ouvrier a rappelé des 40 heures, l’échelle mobile des salaires ou l’abrogation des ordonnances.

Pendant ce temps, la préparation de la campagne électorale se poursuit activement :

La Jeunesse Communiste déclare :

« Le Gouvernement nous refuse le droit de vote à 18 ans. Relevons le défi en faisant voter pour les candidats du PCF. »

Quant à Roger Ballanger, président du groupe parlementaire communiste, il oublie subitement que le gouvernement gaulliste désire la guerre civile et non les élections, et lui demande ingénument :

« Allez vous enfin prendre des mesures contre la fraude électorale dans les départements d’outre mer ? » L’Humanité du 10 Juin, page 2.

 

Ce même 10 Juin, à 20 h30, le PCF organise un meeting au Palais des Sports pour démarrer la campagne électorale.

L’Humanité du 12 soulignera que Le Figaro du 11 a noté : « Discipline civique parfaite ! » et que « Toute la presse a remarqué que drapeaux rouges et drapeaux tricolores étaient étroitement mêlés. »

Waldeck Rochet :

« Nous ne confondons absolument pas les groupes gauchistes avec la masse des étudiants. Ceux ci d’ailleurs les rejettent de plus en plus, prenant conscience qu’on voudrait les mener dans l’impasse.

Nous appelons les étudiants à poursuivre la lutte aux côtés de la classe ouvrière.

Les gauchistes ont essayé de saboter la reprise du travail dans des entreprises où les revendications étaient satisfaites. »

Roger Ballanger :

« Il faut battre le gaullisme sur le plan électoral comme il est déjà battu par la France qui travaille. »

 

Et voici Aragon dans un exposé qui ne risque pas de figurer dans ses oeuvres choisies :

« Il (De Gaulle) attend des élections ce miracle, que d’avoir fait battre, blesser, aveugler les étudiants, de dire aux ouvriers avec un assez beau cynisme, leur ayant pas plus tôt cédé sur quelques points, qu’on va leur reprendre ce qu’ils ont obtenu, ait pour effet de lui procurer dans le peuple français une majorité totalitaire… »

... « Le mieux serait que vous (De Gaulle) dissolviez cette chambre, principal obstacle à la satisfaction des désirs populaires, et que par des élections vous ayez l’imprudence d’en faire élire une autre, laquelle ne pourrait être que meilleure. »

« Nous pensons que la consultation est le seul chemin profitable à la France. L’amorce de cette voie pacifique où nous voulons nous engager. Et le moyen, en tous cas, de compléter par des lois votées les satisfactions insuffisantes arrachées par la grève. »

« Il faudrait, M. le Président de la République, très profondément réformer l’université avant qu’elle puisse former les pythonisses dont les prédictions vous éclaireraient. Car il ne semble pas que vous sachiez voir à distance même de quelques semaines. » L’Humanité du 11 Juin, page 4.

 

A la Sorbonne, les camarades de Gilles Tautin, militant UJC-ML, racontent les circonstances de sa mort :

« Nous nous trouvions près du pont de Meulan, au bord de la Seine. Les flics ont chargé, la matraque levée, en criant : « A la baille ! » C’était le choix entre l’assommage et le plongeon. Nous avons sauté. Gilles y est resté. C’était le photographe du groupe. Il avait un appareil d’une certaine valeur. Il n’aurait pas sauté s’il s’était agi d’une simple vérification d’identité. Mais depuis plusieurs jours il n’était question que de passages à tabac dans le secteur. »

Des centaines de jeunes ont entendu ce compte rendu des témoins. Des membres de l’UEC aussi. Les chefs des matraqueurs persisteront, bien sûr, à soutenir qu’il n’était question que d’une vérification d’identité. Mais l’Humanité reprendra, à plusieurs reprises, la version des assommeurs :

« Dans la journée, les policiers ont continué à opérer des contrôles. Fuyant une de ces rafles, une dizaine de jeunes qui se trouvaient près du pont de Meulan se sont jetés dans la Seine. L’un d’eux, un lycéen de Paris s’est noyé.

Si l’opportunité de la présence de ces jeunes est très contestée, si l’on se pose des questions sur les intentions de ceux qui les ont conduits ici, l’inhumanité des policiers a provoqué l’indignation. »

L’Humanité 11 Juin, page 8.

Légère évolution par rapport aux injures du 8 Juin. Maintenant, « l’opportunité est contestée.

« Malgré ce drame, les travailleurs conservent leur sang froid et ne se laissent pas détourner de la lutte revendicative. »

Pas question, bien sûr, d’une manifestation, bien au contraire.

« L’UNEF appelle à manifester aujourd’hui. Rappelons que la CGT a appelé, avant hier les travailleurs à ne suivre que les mots d’ordre émanant de ses organisations »

D’ailleurs, sans attendre le moindre appel, des milliers d’étudiants, dès l’annonce du crime, avaient manifesté boulevard St Michel et quai des Grands Augustins , en conspuant la police et en scandant : « De Gaulle assassin ! »

 

La mort de Gilles Tautin aurait-elle ému René Andrieu ? Rompant une seconde avec ses thèmes classiques, oubliant le petit Trianon, il écrit :

« Il a fallu que vienne ce mois de Mai pour qu’il (De Gaulle) s’aperçoive que les français s’étaient levés, qu’ils voulaient être des citoyens et non des sujets. » L’Humanité page 6.

Aveu intéressant. De Gaulle ne s’était aperçu de rien pendant les dix années où les manifestations syndicales clamaient « Charlot, des sous… Charlot des sous ».

 

10 Juin.

Appel du CMIP de Censier :

« 20 blessés graves parmi les manifestants. De très nombreuses arrestations. Après la lecture de l’Humanité, la trahison du PCF et de la CGT ne fait plus aucun doute. Non seulement le PCF et la CGT n’apportent aucun soutien aux ouvriers et étudiants en lutte, mais ils ne cessent de les condamner, ce qui fait le jeu du gouvernement.

Camarades, il faut réagir devant tout cela. Ne laissons pas nos camarades se faire massacrer à Flins, car demain la répression s’abattra sur nous. La tactique du régime est de frapper en différents endroits successivement pour affaiblir notre mouvement car il n’a pas la force de s’opposer à notre lutte partout en même temps. »

 

.L’Humanité du 11 Juin, page 9

« Plus d’un millier d’instituteurs... pour la plupart des jeunes, ont tenu en fin d’après midi d’hier un meeting à la Bourse du Travail de Paris. »

« Cette réunion avait été convoquée par le prétendu « comité provisoire de grève » auteur du coup de force contre le siège du SNI »

« Le Monde » indique 3 000 manifestants. Les deux journaux reconnaissent que les « jeunes » sont « gauchistes ».

 

Reprise chez Dassault Saint Cloud vue par l’Humanité, page 9 :

« Ballargeat secrétaire du syndicat CGT déclare avec force, en appelant à la reprise du travail :

-Ce n’est pas une ou deux semaines de grève de plus qui feront avancer nos revendications, mais un véritable changement de politique. »

René Eyrier, au nom du PCF :

« Les communistes ne prennent pas leurs rêves pour des réalités. L’acquis de la grève ne satisfait pas tous les rêves, mais il est incontestablement positif »

Et voila comment l’échelle mobile et les 40 heures deviennent des rêves.

 

A Grenelle, les vieux travailleurs étaient la cinquième roue de la charrette. Il n’y eut pas une miette pour eux. Ils étaient totalement désarmés. Ils ne pouvaient faire grève. Mais ce sont des électeurs... et du moment que la grande grève est en voie de liquidation, on peut montrer de l’audace verbale.

« Le PCF exige du gouvernement que des mesures pour l’augmentation des retraites et pensions des personnes âgées soient prises sans délai. » L’Humanité, 11 Juin, page 6.

 

12 Juin.

Un ouvrier est assassiné par la police à Sochaux.

« C’est vers 3 h du matin que les forces de police sont intervenues. Le but de l’opération était de faire évacuer les locaux sous prétexte d’assurer la liberté du travail. Les accrochages ont alors commencé. Les travailleurs ripostent aux charges par des jets de pierres et de boulons. Les premières équipes, celles des doubleurs qui sont arrivées à 4h00 se sont jointes aux piquets de grève. Or, c’est, soi-disant, pour assurer la protection de ces équipes que la Direction de Peugeot a fait appel aux forces de répression. D’heure en heure les charges policières et les ripostes ouvrières se sont faites plus violentes. Les grévistes ont établi des barrages jusqu’à l’entrée même de Montbéliard. » L’Humanité.

 

La vérité est un peu différente. Pourquoi des équipes seraient-elles venues à 4h du matin ? Bien évidemment, parce qu’un certain nombre d’ouvriers pensaient reprendre le travail, et la lecture quotidienne de l’Humanité ne pouvait pas faire penser autre chose. Mais, heureusement, les piquets de grève n’avaient pas cédé devant les CRS. La conscience de classe des « doubleurs » les a fait entrer en lutte aussitôt avec leurs camarades contre les flics.

Pourquoi les piquets de grève ont-ils lutté ? Parce que la lutte des étudiants et des jeunes ouvriers de Flins est devenue un exemple.

Si les Gars de Peugeot s’étaient laissés expulser, l’Humanité aurait écrit comme au premiers jour de Flins : « Très dignement, les travailleurs sont sortis de l’usine. » Et la Fédération des métaux les auraient félicités pour « n’avoir pas répondu à cette scandaleuse provocation ». Mais ils se sont battus, ils ont même contre-attaqué et bloqué les issues de Montbéliard. Ils n’ont pas droit à des félicitations, mais il est difficile de les calomnier, il est difficile de trouver la main de Geismar dans l’affaire. L’Humanité prend donc le ton objectif du reportage neutre.

 

Pour sa part, la direction de la CGT appelle à « réagir vigoureusement ». Pas par une manifestation mais par un arrêt de travail d’une heure. Arrêt qui fera d’autant moins d’effet aux métallos qu’ils sont toujours en grève !

Et la direction de la CGT intervient auprès du 1er ministre. Quand elle attaque les étudiants, les « gauchistes », elle est catégorique, elle les pourfend comme agents de Pompidou qui veut la guerre civile. Mais quand elle s’adresse à Pompidou en personne, elle « se demande », elle « attend ». Elle donne des garanties de sagesse. On croirait entendre Molotov disant, quatre heures après le début de l’attaque nazie, à l’ambassadeur du 3ème Reich : « Nous n’avions pas mérité cela. »

 

L’Humanité du 12 Juin, page 1 :

« Après les graves incidents de Flins...l’assassinat par balles d’un ouvrier fait peser sur le gouvernement une lourde culpabilité. L’opinion publique est en droit de se demander où le pouvoir veut en venir. »

« Le bureau confédéral rappelle que partout où les travailleurs ont obtenu satisfaction, ils ont repris le travail, ainsi que la CGT le leur a recommandé.

...Les travailleurs et l’opinion publique attendent de votre gouvernement qu’il prenne d’urgence ses responsabilités autrement que par des mesures répressives. »

 

Appel de la Jeunesse communiste :

« La police gaulliste a tué un jeune ouvrier chez Peugeot, à Sochaux, un lycéen est mort à Meulan. Ces actes du pouvoir soulèvent l’indignation de la jeunesse française. »

Les flics évacuent l’usine de Flins. Les courageux jeunes ouvriers et étudiants n’ont jamais capitulé.

 

L’Humanité du 12 Juin, en page 4, mentionne le fait :

« L’usine de Flins était aux premières lignes. La direction, le gouvernement avaient porté sur elle tous leurs efforts pour faire craquer le mouvement. Pour l’essentiel, les métallos de Flins ont fait face.

Dans l’après midi, des rondes ont été effectuées pour convaincre les travailleurs qui avaient repris, de rentrer chez eux et d’attendre le résultat des discussions.

Ceux qui venaient de faire trois semaines de grève avec leurs camarades se sont généralement laissés facilement convaincre, même si quelques horions auraient pu être évités, force est de constater qu’entre travailleurs tout s’est réglé dans le calme. Ceci témoigne une fois de plus que c’est la police qui est à l’origine des incidents. »

 

Même si nous n’avions pas de témoins oculaires, nous commençons à savoir lire entre les lignes. La partie la moins consciente des ouvriers avait repris le boulot. Si, en face de la pression de l’État policier, il n’y avait pas eu la pression des jeunes ouvriers et étudiants, nous aurions assisté à une capitulation terriblement démoralisante pour les travailleurs.

 

L’Humanité, page 6 :

« Electronique. Victoire dans la région du Mans. Rentrée victorieuse chez Rhône-Poulenc à St Fons. »

Guy Dubreuil secrétaire CGT déclare :

« Les patrons veulent provoquer des brèches dans le front des travailleurs… Tous ceux qui poursuivent la grève contre l’obstination patronale ont besoin du soutien de l’opinion, de notre soutien matériel, pas de manifestation aventuriste. »

Quitter le front de lutte...pour ne pas « provoquer des brèches ». On aura tout vu !

 

Nous avons cité des extraits des réponses d’Etienne Fajon aux questions d’auditeurs d’Europe n°1. Voici une réponse concernant le PSU :

« Le PSU après avoir été récemment abandonné par une partir importante de ses dirigeants et de ses cadres, par tous ceux qui avaient un sens quelconque des responsabilités, a joué le rôle d’une sorte d’officine qui a soutenu... toutes les aventures gauchistes. »

Dans l’équipe qui quitta le PSU, pas un seul qui n’ait jadis été insulté par la direction du PCF. Le « renégat » Poperen en particulier, a du apprécier les câlineries d’Etienne Fajon.

 

Ne quittons pas la page 4 de l’Humanité du 12 Juin sans citer ce passage :

« Toujours à propos de la Sorbonne, en lit l’écho suivant, dans l’Aurore, qui donne à penser :

-Le bruit court toujours que des armes et des explosifs seraient stockés dans la Sorbonne, voire à la faculté de Droit. Et ce n’est un secret pour personne, au Quartier Latin, que dans divers locaux on occupe les soirées à fabriquer jovialement des cocktails Molotov. »

Ainsi, cet écho de la très réactionnaire Aurore « donne à penser. »

Mais pourquoi l’Humanité ne prend elle pas ses responsabilités ?

Il y a, tous les jours, des militants PCF dans la Sorbonne. Et puis, « ce n’est un secret pour personne au Quartier Latin ! »

Bientôt l’Humanité va verser des larmes de crocodile sur l’occupation policière de la Sorbonne. Mais les flics auront dans leurs dossiers les calomnies de ce journal même si c’est par « Aurore » interposée.

 

Contre les assassinats de Flins et de Sochaux, seuls l’UNEF et l’extrême gauche manifestent à Paris. Le rassemblement est décidé le 11 Juin à 19h, gare de l’Est.

Sauvageot déclare :

« Je ne donnerai pas de consigne de dispersion. Nous ne voulons pas de violences, mais si on nous gène, nous agirons en conséquence. »

 

Le Figaro du 14 Juin dira que « Mr Sauvageot a pris une lourde responsabilité. »

 

L’Humanité du 12 Juin parle de « Déclarations provocatrices. ». La police aussi !

 

Longtemps avant 19 h, la police utilise une nouvelle tactique. Elle ratisse systématiquement et arrête en masse les passants et les éventuels manifestants. Plus de 1500 personnes sont ainsi conduites à Vincennes. Dès qu’un groupe se forme, la police et les CRS chargent à coups de matraques et de grenades lacrymogènes. Les jeunes répliquent en faisant des barrages et des embryons de barricades. Dans plusieurs quartiers de Paris, les cris retentissent : « CRS, SS ! De Gaulle assassin ! ».

 

L’Humanité du 12 Juin cite des bagarres autour de la Gare de l’Est, le boulevard Sébastopol et la rue de Réaumur, les boulevards St Michel et St Germain, la rue Gay Lussac et la rue St Jacques, la rue de l’Ancienne Comédie, la rue Dauphine, le carrefour de l’Odéon, le quartier des Halles.

« A minuit, les incidents se poursuivaient un peu partout dans le centre de Paris. »

Tout ceci sous le titre :

« Médiocrement suivie, la manifestation de l’UNEF et du PSU a donné lieu à des heurts sérieux avec la police. »

 

Notons qu’une fois de plus, des permanents de la CGT se conduisent comme des concierges fascistes et veulent fermer les portes de la gare du Nord devant le nez de manifestants poursuivis par la police.

Voici comment l’Humanité du 12 Juin présente les choses :

« Les cheminots de service voulurent faire entrer les passagers puis fermer les portes afin d’éviter toute détérioration. Les manifestants s’y opposèrent, soulevant la désapprobation des personnes et des passants qui assistaient à la scène. »

 

Mais, en 24 heures, l’Humanité ne va pas s’améliorer

Le 12 Juin, elle disait :

« Un peu partout, c’était une succession de charges rapides et brutales et de brèves contre attaques. »

Le 13 Juin, elle révise l’histoire et soulage les flics :

« Les charges ont été relativement rares. »

 

Voici donc les CRS moins méchants qu’on ne l’a dit. Quant aux manifestants, ils empirent au fil des heures.

« La grande majorité, pour ne pas dire la totalité des bandes qui sillonnaient Paris à 2h00 du matin -mentionne l’AFP- n’était pas composée d’étudiants, ou de lycéens, ou même, semble t-il, de jeunes travailleurs. »

Des fantômes peut-être ?

Et la revue de presse cite complaisamment les points de vue réactionnaires :

Le Figaro : « Visiblement, des éléments entraînés à la guérilla urbaine, des groupes spécialisés dans l’agitation révolutionnaire encadraient en de nombreux points les émeutiers. »

France-soir : « Un inquiétant ballet ; celui des infirmiers bardés de la croix rouge, celui aussi des groupes de choc armés de matraques et de bâtons, munis de boucliers. »

Même un journal aussi étranger à la cause du socialisme que « Les échos » est amené à écrire : « La subversion n’est pas du coté des communistes et des cégétistes… Les communistes dénoncent d’ailleurs les groupes « ultra gauchistes » et la CGT prescrit à ses adhérents de s’opposer à toute entreprise de débordement.» L’Humanité du 13 Juin, page 4.

 

Pour le candide lecteur de l’Humanité, la politique doit être horriblement compliquée. La police du pouvoir matraque sans pitié les gauchistes agents du pouvoir, tandis que la presse du pouvoir bave sur ces maudits gauchistes et complimente le PCF. Pour s’y retrouver dans les imbroglios, le vieux leader de la 2éme Internationale, Bebel, avait coutume de dire : « Quand un ennemi me félicite, je me demande quelle bêtise j’ai fait !»

 

Bilan de la nuit :

                   - 1500 personnes emprisonnées à Vincennes.

                   - 194 personnes conduites dans les hôpitaux.

                   - 72 blessés dans la police.

                   - 5 commissariats endommagés.

                   - 72 barricades enlevées dans la nuit.

Quel titre mettriez vous devant ce bilan ? Mettriez vous l’accent sur les blessés qui affluaient dans les hôpitaux ? Ou sur les centaines de jeunes brutalisés ?

L’Humanité du 13 Juin titre en gros caractères :

« 75 voitures détruites au cours des émeutes de la nuit. »

 

A l’ORTF, Waldeck Rochet déclare :

« Des groupes ultragauchistes nous attaquent et nous insultent parce que nous avons désavoué, dès le début, leur recours à la provocation et aux violences aveugles susceptibles de nuire au mouvement populaire et de faire le jeu du pouvoir gaulliste. »

 

Un tout petit détail cloche. « Dés le début », il y avait des « violences aveugles » mais pas encore de « mouvement populaire ».

 

Le conseil des ministres décide la dissolution des J.C.R, de Voix ouvrière, de la F.E.R, du Mouvement du 22 Mars, de l’UJCML, etc. Des protestations s’élèvent. Même Guy Mollet. On remarque que les C.D.R. qui, depuis quelque temps ont la gâchette facile, ne sont pas dissous. « Le Monde » note que le gouvernement se garde bien d’interdire le mouvement fasciste « Occident » Le PSU proclame sa solidarité avec les organisations dissoutes. La direction PCF trouve comme seul commentaire aux mesures scélérates de De Gaulle :

« Tous ces groupes ont pris une part active aux provocations organisées notamment au Quartier Latin. »

Très concrètement « quelles provocations » ? De telles phrases sont pain béni pour la police.

 

Dans son éditorial du 13 Juin, René Andrieu, toujours soucieux d’abaisser l’intelligence politique du lecteur, écrit :

« M. Pompidou ment grossièrement quand il nous accuse de vouloir « sortir de la légalité » et il est particulièrement peu qualifié pour nous faire ce reproche, alors que le régime gaulliste est né d’un putsch militaire. »

M. Pompidou ment, bien entendu. Mais la légalité ne vient pas du ciel. Celui qui a le pouvoir fabrique sa légalité, c’est à dire un ensemble de lois défendues par les gendarmes. En invitant à respecter la légalité d’un gouvernement qui ne prit le pouvoir qu’en violant la précédente légalité, René Andrieu se moque des travailleurs.

 

14 Juin.

 

PCF et FGDS présenteront leurs candidats à part. La grande masse des électeurs constate le désaccord sans savoir sur quoi il porte. Dans la lutte gréviste pour de meilleures conditions de vie et pour la liberté, il n’y avait pas de divergences profondes entre les travailleurs. Par contre, dans le « combat » électoral, tout devient plus obscur. Les divisions des états-majors ne sont pas comprises par la majorité des salariés. Renoncer au clair terrain de la lutte gréviste pour le sombre tunnel de la « lutte électorale » ne peut apporter que des déboires.

 

G.Séguy rapporte sur la période écoulée au C.N de la CGT :

« L’explosion de mécontentement... éclata en réaction contre les brutalités policières dont furent victimes les étudiants dans la nuit du 10 au 11 mai. »

Et voila toujours une « provocation gauchiste » qui s’envole.

 

« Pour organiser le déclenchement de la grève et la conduire à la victoire, nous nous sommes inspirés d’une conception avec laquelle les militants de la CGT sont familiarisés…

Consulter les travailleurs sur les revendications et les mots d’ordre d’action…

Placer le mouvement sous leur vigilance et leur contrôle par l’élection des comités de grève directement responsables devant les grévistes.

C’est ainsi que la grève générale avec occupation des usines s’est produite avec une force irrésistible, et dans un calme impressionnant sans qu’il fut nécessaire d’en lancer le mot d’ordre d’en haut. »

Une phase ; un mensonge !

- « Déclenchement de la grève. » Il n’a pas organisé, il a assisté.

- « Conduire à la victoire »... sans commentaires !

- « Consulter les travailleurs sur les revendications. » Quand donc les travailleurs ont-ils réclamé un retour progressif aux 40 heures ? En réalité, tout a été fait pour accrocher les travailleurs sur des revendications particulières.

- « Les mots d’ordre d’action. » Quand les travailleurs ont-ils été consultés sur la nécessité d’un comité central de grève ?

- « L’élection des comités de grève. » Contrairement à toutes les traditions ouvrières, Séguy fit l’impossible pour empêcher de véritables comités de grève élus par les assemblées de grévistes. Il présenta les bureaux syndicaux ou intersyndicaux comme de véritables comités de grève.

- « Force irrésistible. ». C’est l’aveu qu’il y eut trahison. Il suffit d’aligner après ces deux mots, les résultats obtenus !

 

« L’opinion publique bouleversée par les troubles et les violences, angoissée par l’absence d’autorité de l’État et par sa carence, a vu en la CGT la grande force tranquille qui est venue rétablir l’ordre en organisant l’arrêt général du travail et l’occupation des entreprises. »

Monument de jésuitisme. Il n’y a plus de classes sociales. Il y a l’opinion publique. Tout démarre là. Une classe laborieuse serait révoltée par la sauvagerie policière de l’État bourgeois. Mais l’opinion publique n’a pas d’opinion. Elle est bouleversée par des violences indéterminées... et par l’absence d’autorité de l’État !

Y a t-il trop de flics ? N’y en a t-il pas assez ? Mystère !

Il y a aussi la carence de l’Etat. Que peut être la carence d’un Etat avec une direction gaulliste ?

 

« L’opinion publique » dit peut-être : « L’Etat est carrent sinon il emploierait tout de suite des mitrailleuses contre ces jeunes exaltés. »

Mais, « l’opinion publique » voit soudain dans la CCT une « grande force tranquille »… « Tranquille ! » jolie formule signée Séguy. De Spartacus à la Commune de Paris, personne n’avait songé à cela avant lui. On imagine la prise de la Bastille, les trois glorieuses et même le 9 février 1934 avec une grande force tranquille.

Mais « l’opinion publique » ne comprend plus comment on peut « rétablir l’ordre » en « organisant l’arrêt général du travail et l’occupation des entreprises ».

« L’opinion publique » pense qu’il y a de l’ordre quand tout le monde est au travail et la bouche cousue. Que veut donc dire Séguy ?

 

Attention, lisez bien. Séguy ne dit pas que la CGT a décidé l’arrêt général du travail. Il veut simplement dire que, puisque ça allait arriver, il fallait bien que la direction la de la CGT s’en occupe pour éviter le désordre et, en particulier l’élection de comités de grève aussi irresponsables que les soviets de 1917.

« Les élections offrent à notre lutte de toujours pour la démocratie une proche et concrète perspective. Il était de l’intérêt des travailleurs de conduire le mouvement à son issue victorieuse sur le plan revendicatif et que les élections puissent se dérouler normalement afin que les travailleurs puissent prolonger et compléter leur action. »

 

L’impératif étant les élections, il devait y avoir bien vite une issue sur le plan revendicatif. Par définition, cette issue devait être « victorieuse ».

Pour aller plus vite, on laissait en route les revendications fondamentales... mais l’issue demeurait aussi victorieuse qu’un angle qui resterait droit tout en perdant ses degrés sur le chemin.

 

« Dans cet esprit, le Bureau Confédéral intégrait dans sa déclaration du 5 Juin, un paragraphe de la plus haute importance estimant que, partout où les revendications essentielles ont été satisfaites, l’intérêt des salariés est de se prononcer en masse pour la reprise du travail dans l’unité. »

L’ennui c’est qu’une augmentation de salaires sans l’échelle mobile peut, très vite, ressembler à une pièce d’un franc coupée en deux. (Séguy connaît le morceau qui est essentiel !)

 

« Non, les dix millions de travailleurs en grève ne revendiquaient pas le pouvoir pour la classe ouvrière mais de meilleures conditions de vie et de travail. »

Et c’est un membre du BP du PCF qui parle ainsi ! C’est l’avant-garde qui s’aligne sur l’arrière garde. Sait-il seulement ce que revendiquaient les dix millions de grévistes ? Sait-il seulement que le peuple de Paris, en 1789, marchait sur Versailles en réclamant simplement de meilleures conditions de vie. Du pain seulement

Ce fut toujours le rôle de l’avant garde que d’expliquer au peuple en colère que ses revendications les plus modestes ne pouvaient être satisfaites sans renversement du pouvoir de la classe exploiteuse.

Séguy explique l’inverse. L’amélioration des conditions de vie des travailleurs est compatible avec le grand capital, la bombe atomique et un État policier.

 

« Nous nous serions isolés nous mêmes en entraînant, sans doute, la partie la plus consciente de la classe ouvrière, mais sans pouvoir résister à un impitoyable écrasement. »

Toujours le procédé du docteur Coué : « Nous aurions été écrasés », « Nous aurions été écrasés. » 10 millions de grévistes ne font pas le poids devant 200 000 flics et militaires de carrière. Par contre, les bulletins de vote… »

 

Notons que « Nous aurions entraîné la partie la plus consciente de la classe ouvrière. ». Tiens, tiens : Si Séguy était devenu gauchiste, il aurait « entraîné ». Mais comme il ne l’est pas devenu, « la partie la plus consciente » devient de

« Pseudos révolutionnaires, renégats du mouvement ouvrier » qui voudront bien nous excuser de les avoir privés du plaisir d’assister à notre enterrement. »

En attendant, c’est le « révolutionnaire » Séguy qui a assisté, de loin d’ailleurs, à l’enterrement de Gilles Tautin et des jeunes ouvriers de Sochaux.

 

Enfin, cette magnifique conclusion :

« Nous devons nous féliciter de l’évolution positive de nos rapports avec les camarades F.O. »

Cela va de soi, et inutile de chercher bien longtemps qui a évolué vers qui.

 

15 Juin.

La majeure partie des salariés a repris le travail.

La CGT adresse un appel aux travailleurs de France :

« Le bilan de ces luttes, pour aussi riche qu’il soit, laisse entières deux questions de première importance.

Il s’agit :

-D’une part, de la garantie du pouvoir d’achat de vos salaires, traitements et pensions.

-D’autre part, de l’abrogation des ordonnances portant atteinte à la sécurité sociale. »

Le mot d’ordre d’Échelle mobile ne va pas tarder à reparaître. Mais pour le moment il est inutile car

« L’occasion vous est donnée de prolonger et de compléter en tant que citoyens l’action que vous avez engagée en tant que salariés. »

 

Et pour prouver que les élections, c’est une victoire populaire assurée, l’Humanité du 15 Juin affirme

« La droite anxieuse à l’heure du jugement. »

Pas anxieuse au point de croire que les violences lui feront perdre des électeurs.

« A Villeparisis, les commandos gaullistes tirent sur des militants communistes : 1 blessé. »

La réplique vient cinglante :

« La section de notre parti exige l’arrestation des coupables ! »

 

Obsèques de Gilles Tautin en présence d’une foule de plusieurs milliers d’élèves des comités d’action, de délégations d’étudiants et d’ouvriers. 8 lignes en page 13 de l’Humanité dimanche.

 

16 Juin.

 Interview de Waldeck Rochet :

« Le Parti Communiste est apparu comme un parti d’ordre et de sagesse politique. »

…Il faut arracher l’État à l’emprise des monopoles.

…Comme l’avait annoncé le « Manifeste Communiste » les travailleurs aspirent à devenir eux-mêmes la nation. »

Quand on aspire à l’être, c’est qu’on ne l’est pas encore. Et pour le devenir il importe de ne pas confondre l’intérêt des exploités avec celui des exploiteurs sous le vocable trompeur « d’intérêt national. »

 

L’Humanité Dimanche caractérise ainsi le PSU en page 15 :

« Le PSU, cette écume à la surface des eaux remuées par le grand naufrage des idéologies pseudo révolutionnaires. »

C’est aller vite en besogne que de parler de naufrage parce que De Gaulle a interdit les organisations d’extrême gauche.

Mais, même si c’était le cas, il faudrait se demander comment de si petits bateaux ont pu faire un si grand naufrage.

 

19 Juin.

A la Rochelle, des nervis gaullistes tirent sur les habitants d’un immeuble. Une femme est atteinte d’une balle à la tête.

Des militants ouvriers agressés dans le Val d’Oise.

À Fontenay sous bois, des gaullistes attaquent le siège de la section communiste.

A La Garenne, une vingtaine de gaullistes arrivés en fourgon attaquent des militants communistes à coups de barres de fer.

A Issy-les-Moulineaux, des individus lancent une grenade devant la C.G.T Radiologie où se tenait un piquet de grève.

Si les violences ne paient pas, les gaullistes devraient se faire écraser aux élections.

 

L’Humanité du 19 Juin a cette remarquable pensée :

« A Bordeaux, après avoir organisé provocations et désordres avec l’aide des pseudos révolutionnaires, le pouvoir gaulliste est en train de les organiser lui même avec l’appui des groupes fascistes. »

 

Mais, est-ce la proximité des élections et le souci de recueillir quelques voix au Quartier Latin entre autres, l’Humanité nuance son jugement sur « la pègre ». Elle n’est plus coupable que de « fâcheuses façons ! »

André Wurmser écrit :

« Les manifestations qui n’étaient pas tellement des provocations que de fâcheuses façons de se précipiter tête baissée dans les provocations du gouvernement et de sa police. »

Et, à propos de la Sorbonne, quelles sont donc ces canailles qui affolaient « l’opinion », tout récemment en parlant de stocks d’armes ? Justement indignée, l’Humanité titre en page 3.

« Leur souci d’entretenir la peur. »

« Hier, par exemple, le Parisien Libéré titrait sur toute la longueur de sa première page (et souligné en rouge s’il vous plait) -Un stock d’explosifs découvert dans une annexe de la Sorbonne-

France soir consacrait la quasi totalité de sa première page à des photos évoquant l’occupation policière du Quartier Latin, faisant d’un incident mineur l’essentiel de sa titraille. »

 

« Les communistes s’élèvent contre l’occupation policière de la Sorbonne. »

Subtilités de la langue française : « s’élèvent» est le contraire de « se lèvent ».

 

En page 8 de l’Humanité du 19 Juin, on trouve un débat entre responsables communistes ; débat ayant pour but de montrer que le PCF fut constamment présent et apprécié dans le milieu étudiant :

« Notre audience est allée croissant dans les facultés... Au début, nous avons été incompris de certains.

« Vous des communistes, des révolutionnaires, pourquoi ne lancez vous pas des pavés sur les CRS ? » nous demandait-on parfois. »

Toutefois :

« Des épisodes ont appris à beaucoup de camarades et de sympathisants qu’il faut savoir parfois accepter de se faire injurier. »

Ceci dit :

« Chiffres en main, il y a, à l’heure actuelle, plus d’étudiants communistes qu’il n’y en a jamais eu. »

Communistes, oui. PCF, c’est très très douteux.

Et enfin, cette révélation sensationnelle :

« Le 11 Mai, derrière l’UEC, plus de 5000 étudiants ont reconquis, ce jour là, le Boul Mich. »

« Derrière l’UEC ! » Exploit d’autant plus remarquable qu’il s’est produit à l’insu des étudiants, des flics... et de l’Humanité du lendemain !

 

20 Juin.

Le secrétaire CGT de la métallurgie du Rhône déclare :

« Les travailleurs de Citroën sont encore en grève. Ils ont le même patron que vous. Nous vous demandons de veiller sur le déroulement de cette lutte, de façon à vous trouver, s’il le faut, aux côtés de vos camarades. »

Peugeot :

« La Direction cède sur les 3 points restant en litige :

1er progrès : l’horaire de 45 heures deviendrait effectif au 31 décembre 68 au lieu du 1er octobre 1969.

2ème progrès : Les heures de grève de Mai seraient indemnisées à 80%, celles de Juin à 25%.

3ème progrès : Les victimes de la répression policière du 11 Juin seraient assimilées au régime des accidents du travail. »

Sur ces trois points, notons qu’il y a « seraient » et non « seront ».

La logique aussi voulu que le titre s’écrive : La Direction « céderait ».

 

A part Citroën, l’armée ouvrière est démobilisée. Il est, à nouveau possible de lancer des mots d’ordre hardis. Roland Leroy déclare dans une allocution télévisée :

« Le PCF agit avec les travailleurs pour consolider, élargir encore ces succès, s’opposer aux hausses de prix, imposer l’échelle mobile des salaires, abroger les ordonnances démantelant la Sécurité sociale. »

 

En page 1 de l’Humanité du 20 Juin, Georges Marchais oubliant toujours la tricherie dans les départements d’outre-mer et le fait que des millions de jeunes ne peuvent voter, réaffirme :

« Les gaullistes craignent les élections car c’est contre leur politique rétrograde et antidémocratique que les forces vives de la nation viennent de se dresser avec succès. »

 

Hélas, dans ce pays où les morts votent parfois, les forces vives ne sont pas déterminantes dans le scrutin.

Dans une page 8 entièrement consacrée à l’université, Pierre Juquin, s’exprime dans un langage assez différent des pourfendeurs de Geismar et de ses bandes :

« Notre parti a estimé de son devoir de combattre politiquement les groupes anarchistes, trotskystes ou autres qui ont pris une certaine influence sur une partie des masses étudiantes. Nous appelons amicalement mais de façon pressante la masse des étudiants à tenir compte de la situation réelle de la société française... En nous refusant absolument à confondre le mouvement étudiant et ces groupes politiques, nous voulons éviter ce qui peut nuire à la cause commune. »

 

Le 21 Juin

À Radio Luxembourg, François Mitterrand déclare :

« Le PCF, dans cette grave crise, n’a accompli aucun acte de caractère insurrectionnel, et il n’a pas mérité les invectives de M. Pompidou qui tente de le présenter comme une organisation subversive.

Si le PCF, la CGT, et la CFDT l’avaient voulu, l’État ayant disparu, cela eut été possible. Mais les représentants de la classe ouvrière ont pensé que tel n’était pas l’intérêt du pays et ils ont respecté la loi. »

 

22 Juin.

De toutes les grandes usines, Citroën reste seul en lutte.

Compte tenu de « l’ambiance Citroën », compte tenu des conditions dans lesquelles la grève avait démarré, il est évident que même les ouvriers qui avaient le plus hésité pour débrayer, n’étaient pas prêts à reprendre le travail sans garanties très sérieuses. Certes, ils réalisaient qu’ils étaient, à présent, isolés et ne pouvaient arracher tout ce qui avait été annoncé au début du mouvement, mais ils s’accrochaient à la question du pouvoir d’achat et à la garantie du respect de la classe ouvrière dans l’entreprise.

Or, deux jours avant que le personnel se prononce, l’Humanité du 22 Juin titre en page 1 :

« Dernier bastion. Citroën cède. »

 

Ce même 22 Juin. Waldeck Rochet déclare à la télévision :

« Le problème est maintenant de savoir si les avantages et les droits acquis par les travailleurs seront garantis, ou si, au contraire, le grand capital et le pouvoir personnel parviendront à les reprendre et à les annuler. »

Le ton n’est plus celui de la « rentrée triomphale ».

 

Page 1, Humanité du 22 Juin :

« 600 personnes à Villeneuve le Roi avec G.Marchais.

Quelques individus appartenant à un groupe gauchiste ont essayé de perturber le bon déroulement du meeting par des propos anticommunistes. Ils ont été violemment pris à partie par l’assistance. »

Ces gauchistes avaient eu l’audace de dire que les élections sont faussées en régime capitaliste. Ils ont appris, à leurs dépends, que l’attitude « calme et digne » n’est de mise que face aux policiers.

 

Page 4 :

« Défense aux candidats communistes de s’adresser aux militaires :

A Rochefort, des militants PCF qui distribuaient du matériel électoral aux sous-officiers et officiers mariniers ont été appréhendés…Par contre, c’est à l’intérieur même de la base que le candidat UNR fait distribuer tracts et journaux. »

 

Le Monde note, sous la signature de Vianson Ponté :

« A Rouen, à Orléans, à la Rochelle surtout, ces comités d’Action Civique disposant d’armes à feu (à la différence des groupuscules dissous) se sont employés, parfois avec un tragique succès, à maintenir la tension et à rechercher la violence. Est cela qu’a voulu le chef de l’État ? »

 

Nous voici à la veille des élections.

Deux opinions en présence à gauche :

1ère) L’Extrême gauche estime que les élections seront perdues car :

Plus de 3 millions de gars (jeunes et émigrés) qui sont très actifs dans la lutte sociale, n’ont pas le droit de vote.

Le système électoral est tel qu’il faut trois fois plus de voix pour un député de gauche que pour un député de droite.

Beaucoup de salariés réalisent ces faits, et, écoeurés de voir qu’on a bradé leurs revendications essentielles pour ce jeu de tricheurs, n’iront pas voter.

 

2ème) Le PCF estime que la droite a peur car elle est sûre de perdre les élections. Elle les perdra car la brutalité de son État a violemment choqué « l’opinion publique ».

L’écrasante masse des salariés votera à gauche car c’est le meilleur moyen de garantir les avantages arrachés par la grève.

 

Réflexion : Jusqu’à ce à ce jour, l’hypothèse d’un échec électoral dû aux « excès gauchistes » n’a pas été évoqué. Comment d’ailleurs aurait-elle pu l’être quand pour chaque pavé lancé, les commandos gaullistes ont tiré une rafale de mitraillette.

 

24 Juin.

Après le premier tour des élections, gros titre dans l’Humanité :

« Après le chantage à la peur favorisé par les éléments gauchistes, nette poussée à droite. »

En page 4, il est prouvé que la violence gaulliste n’a pas effrayé les électeurs :

« Jusqu’au dernier moment : série d’agressions gaullistes contre des militants d’organisations démocratiques. »

Plus de dix localités sont citées. Matraques, coups de feu, engins explosifs.

 

Les mêmes procédés que lors de la montée de Mussolini, mais pour René Andrieu, les coupables furent ceux qui ripostaient par des pavés aux grenades des CRS et aux mitraillettes des nervis :

 « Il serait sans doute intéressant pour l’histoire de savoir exactement qui a pris l’initiative des « barricades » de la rue Gay Lussac, même si des étudiants de bonne foi se sont laissé prendre dans la nasse policière... Chaque barricade, chaque voiture incendiée apportait des dizaines de milliers de voix au parti gaulliste. Voila la vérité. » page1.

 

Il serait également intéressant pour l’histoire de savoir qui prit l’initiative d’attaquer la Bastille, de s’opposer aux troupes de Thiers qui venaient récupérer les canons parisiens, d’appeler à la révolte les marins de la mer Noire, etc... Les marxistes ont déjà répondu à la question. Les non marxistes ont vu la main de la Prusse, puis celle de Moscou, de Pékin etc. René Andrieu fait partie de la deuxième catégorie. Au comble de sa colère, il met des guillemets à barricades. Noble vengeance. Si on l’agace davantage, il n’hésitera pas à mettre des guillemets aux blessés des barricades eux-mêmes.

Martine Monod est priée de s’étouffer avec ses histoires de grenades explosives et de bouchons de réservoirs d’essence. A partir de ce jour, les policiers n’ont incendié aucune voiture.

Reste à savoir pourquoi chaque balle des nervis gaullistes n’a pas apporté dix milliers de voix au PCF ?

 

Mais si l’éventuel succès électoral de la gauche permettait d’appeler à la reprise du travail, l’échec n’empêche pas de continuer sur la même voie.

L’Humanité 24 Juin, page 4.

« Citroën. Le personnel se prononce ce matin.

Réduction d’horaire : 1/2 heure au mois d’octobre 1968 ; 1 heure en octobre 1969.

Salaire : 11 à 13 %.

Jours de grève : 50% du salaire entre le 20 Mai et le 21 Juin (récupérables en principe).

On peut toujours, comme tente de le faire la CFDT, se singulariser en faisant la fine bouche.

Le syndicat CGT décide d’appeler les travailleurs à se prononcer massivement pour la reprise du travail sur la base des résultats obtenus. »

 

25 Juin

« Citroën, les métallos victorieux ont voté la reprise du travail. »

Pas un seul point des revendications du début n’a été satisfait : ni les 40 heures, ni les 1000 francs mini mensuels, ni l’échelle mobile, ni l’abrogation des ordonnances. Il est maintenant impossible de parler d’une première manche qui sera consacrée par la victoire électorale.

 

Aussi, Krasucki déclare aux ouvriers de Citroën :

« Prétendre qu’il est possible maintenant, après cinq semaines d’obtenir un meilleur résultat en prolongeant la grève, c’est vous conduire à l’aventure, à l’isolement et à l’échec. » (L’Humanité du 25, page 12).

 

C’est assez juste, mais savoureux dans la bouche de celui qui a tout fait pour isoler Citroën, et affirmait que la solidarité financière suffirait à empêcher l’isolement des métallos.

Ce que le journal du PCF omet, c’est que Krasucki s’est fait huer par les grévistes et n’a pu se faire entendre qu’en invoquant « la liberté d’expression. » L’Humanité omet aussi sa dernière phrase :

« Vous ne ferez évidemment pas cette folie. »

 

La reprise est acquise par 13184 voix (71,1%) contre 5.251 (28,3%).

Ces pourcentages sont remarquables après cinq semaines de grève.

Dans les 13184 voix, il y a les jaunes traditionnels, les ouvriers influencés par le PCF et beaucoup de travailleurs qui ne voyaient plus d’issue.

Mais les 5251 voix contre la reprise, c’est une base très importante pour la renaissance d’un mouvement ouvrier réellement révolutionnaire.

Les dirigeants CGT ne s’y sont pas trompés et ont très vite invité la direction Citroën à licencier les militants d’extrême gauche, y compris ceux qui sont dans la CGT. Un tract dit que :

« Les gauchistes n’ont plus leur place, non seulement dans la CGT, mais dans l’usine même. Hors de l’usine les provocateurs. »

 

Dans une usine où le mouchardage est si bien organisé, un tel tract est une pure dénonciation et l’expression d’un front unique entre exploiteurs et bureaucrates contre les révolutionnaires.

La direction Citroën donnera bien vite satisfaction aux leaders de la CGT. Un peu plus tard, le syndicaliste le plus modéré aura, lui même, intérêt à s’écraser. Et la direction CGT se lamentera.

 

Sur les traces de l’Humanité, le Populaire de la SFIO note :

« Il faut apprendre à quelques jeunes que les barricades dans certaines circonstances ne servent qu’à faire libérer Salan et à faire élire des godillots. » (Claude Fuzier)

Ceux qui ont un peu de mémoire se souviennent pourtant que naguère, à Alger, quelques barricades et quelques tomates incitèrent les dirigeants SFIO à apprécier Salan.

 

Dans son édito de l’Humanité, en page 1, René Andrieu continue à passer en revue les causes de l’échec :

« Rien ne montre plus clairement l’injustice du mode de scrutin actuel que la répartition des sièges après le 1er tour. Avec 43% des suffrages, les gaullistes et leurs alliés obtiennent 142 députés. Avec 40 % les formations de gauche n’en obtiennent que 6. A la proportionnelle le PCF disposerait de 91 sièges dans la prochaine assemblée. »

Façon élégante de dire : Elections... piége à cons.

 

Préparation du 2ème tour des élections.

 

26 Juin.

Roger Ballanger (PCF) à la télévision :

« Une telle majorité (gaulliste) donnerait au pouvoir et au patronat les moyens de reprendre par la hausse des prix, les avantages substantiels obtenus par la lutte des travailleurs. »

« Elle conduirait à nouveau le pays au désordre et remettrait en cause les conquêtes sociales. »

« A nouveau... au désordre » .Voila comment sont caractérisés les deux mois que nous venons de vivre. C’est d’ailleurs ainsi que les voient tous les réactionnaires du pays, et ils en tirent la conclusion qu’il faut non une majorité de gauche, mais une augmentation du nombre des CRS.

Peugeot, Citroën et Renault augmentent de 3% le prix de leurs voitures.

Hausse des loyers et des tarifs publics.

 

Des nervis gaullistes attaquent des cheminots à la gare St Lazare. René Andrieu écrit à ce sujet :

« La réaction immédiate de leurs camarades -arrêt du trafic, hier, de midi à 18h-devrait suffire à rappeler aux gaullistes l’existence d’un seuil qu’il leur serait dangereux de franchir »

Il est bien agréable de savoir que si les gaullistes pouvaient « écraser impitoyablement » des millions de grévistes, il y a, après la démobilisation des travailleurs et la victoire électorale de la droite, un seuil qu’ils ne peuvent franchir sans danger !

 

Dans « Le Populaire » du 25 Juin, Guy Mollet écrit :

« Cent drapeaux noirs dans les rues de Paris ont plus fait pour le néo-gaullisme que 10 années de pouvoir. »

S’il y eut tant de drapeaux noirs, c’est peut-être parce qu’on ne voit plus les emblèmes de la SFIO à la tête des travailleurs en lutte. Et si on ne les voit plus, c’est (entre autres raisons) parce qu’un certain Guy Mollet alla naguère chercher De Gaulle à Colombey.

 

27 Juin

A la télévision, Guy Mollet s’étonne :

« Ce n’est pas le moindre paradoxe de ce premier tour que de voir certains Français choisir comme pompiers pour éteindre l’incendie, ceux là même qui par leurs fautes en sont responsables. »

Comment le petit peuple s’y retrouverait-il quand Mollet lui même ne sait pas très bien s’il est incendiaire ou pompier.

 

Le journal ultra réactionnaire Rivarol ne fait pas dans le détail et estime que toute la gauche est responsable du succès gaulliste :

« Les barricades et les grèves n’ont abouti qu’à rehausser le piédestal sur lequel est juché De Gaulle. »

 

Le deuxième tour des élections approche. L’Humanité rengaine, provisoirement, les injures contre les bandits gauchistes. Ils deviennent des « esprits légers ». Laurent Salini écrit l’éditorial :

« Le désordre est le thème majeur du gaullisme et quand les agents du pouvoir ne trouvent assez d’esprits légers pour leur offrir des prétextes, ils ne craignent pas de créer l’événement, de provoquer. ».

Il est bon de savoir que si De Gaulle n’avait pas souhaité les élections, mais écraser les millions de grévistes, il aurait su « créer l’événement ».

En modérant ses attaques anti-gauchistes, mais en se présentant en même temps comme le champion de l’ordre, Salini se retrouve assis entre deux chaises. Il ne gagnera pas sur sa droite ce qu’il perdra sur sa gauche.

 

28 Juin

« Après la Sorbonne, l’école des Beaux Arts occupée par la police. Aucune arme ni explosif n’ont pu être trouvés, de la même façon que le blessé de la Sorbonne est apparu ensuite comme un pur prétexte à l’intervention. » L’Humanité.

 

« Citroën : Débrayages pour des revendications particulières. »

« Berliet : 5000 métallos répliquent à une sanction prise contre un chef d’atelier. Le bureau confédéral de la CGT publie un communiqué :

« Il demande que soient prises toutes les mesures qui s’imposent pour garantir le pouvoir d’achat des travailleurs par l’application de l’Échelle mobile des salaires et d’assurer le plein emploi. »

Il y a deux sortes de mesures : Celles qu’on impose et celles qui s’imposent.

 

29 Juin

A la veille du deuxième tour, la direction PCF opte résolument pour la main tendue aux gens d’ordre. Plus la moindre risette aux gauchistes. Rappel en même temps aux salariés que leur « grand triomphe » ne vaudra pas grand chose s’ils votent mal.

 

Waldeck Rochet à la télévision :

« C’est en provoquant la peur que le parti gaulliste a remporté dimanche dernier une victoire. Comme il continue à jouer sur la confusion et le mensonge, je tiens à rappeler que le PCF n’a rien eu de commun avec les groupes soi-disant révolutionnaires dont il a dénoncé les méthodes dès le début. »

« Assurer le succès des candidats des partis de gauche, c’est la seule façon d’éviter que les avantages récemment acquis par les travailleurs manuels et intellectuels ne leur soient repris par le grand patronat. »

Il n’y a, donc, plus la moindre confusion car, page 4 :

« Je ne pense pas que le PCF ait cherché à prendre le pouvoir par l’insurrection. »

Qui dit cela ?

 « M. Robert Poujade lui même, secrétaire général de l’UD 5éme »

 

1er Juillet.

La victoire électorale gaulliste est complète...et ceci en dépit du fait que les nervis du régime aient assassiné à coups de revolver un jeune communiste, la veille des élections à Arras.

 

Dans l’Humanité du 2juillet, René Andrieu écrit un certain nombre de bonnes choses sur la voie parlementaire :

« Aujourd’hui, tout le monde officiellement a le droit de déposer un bulletin dans l’urne, mais par le miracle du scrutin majoritaire, la classe ouvrière qui est la classe la plus pauvre ne dispose pas de la représentation à laquelle elle a droit.

C’est ainsi que le PC qui devrait avoir 94 sièges à la proportionnelle, n’en a que 33. Pour élire un député communiste, il faut en moyenne 135 000 voix. Pour un député gaulliste, il suffit de 27 000 voix. »

 

René Andrieu n’est pas né d’hier. Il ne vient pas de faire une découverte. C’est cependant le même homme qui écrivait un mois plus tôt :

« Tout se passe comme si le pouvoir redoutant le verdict des électeurs... etc. »

Et cet honnête homme conclut son édito du 2 juillet par :

« Le PC a obtenu 4 millions et demi de suffrages dès le 1er tour, l’ensemble de la gauche, plus de 9 millions. Il y a là une force suffisante pour défendre les intérêts des travailleurs dans le respect de la légalité républicaine. »

Et dans tout ce numéro de l’Humanité, on feint de découvrir ingénument que ce pour quoi on a accéléré la reprise, c’était pour un jeu de tricheurs.

Page 4, un titre :

« Ne pas oublier le truquage. »

Le truquage, c’était justement d’oublier le truquage avant les élections.

Page 5 :

« Dans de nombreux départements, des centaines de milliers d’électeurs de gauche n’ont pas de représentation parlementaire. »

A noter aussi, le record d’abstentions au Quartier Latin : (35,6%) et l’on a décompté dimanche 26 973 bulletins blancs. (Dans le 5éme arrondissement, il y avait un candidat PCF au second tour.) Et pourtant la masse des étudiants ne vote pas. Et si quelqu’un a vu les barricades de près, c’est bien l’électeur du Quartier Latin.

Dés le lendemain des élections, la police occupe les facultés de Droit, Sciences Po et Langues Orientales :

« Le syndicat CGT de la recherche scientifique a élevé hier matin une énergique protestation. »

Aux élections professionnelles à Renault Cléon. 1er collège ouvriers : CGT : 53,84 % contre 64,4% l’an dernier ; CFDT : 39,61% contre 30 % l’an dernier.

Livio Mascarello secrétaire de la CGT déclare :

« Pour la classe ouvrière, il s’agit...d’imposer l’échelle mobile et toutes les mesures garantissant le pouvoir des travailleurs contre les hausses des prix. Exiger la garantie de l’emploi et donner du travail aux 500 000 chômeurs actuels. Poursuivre et intensifier (sic) la lutte pour l’abrogation des ordonnances antisociales. »

Et il termine par cette remarquable pensée :

« La droite a marqué des points, mais maintenant il va falloir qu’elle prenne ses responsabilités. » L’Humanité du 02 Juin, page 4.

 

A son tour, la Fédération CGT de la métallurgie déclare :

« L’action doit se poursuivre pour que les autres revendications non satisfaites le soient dans la prochaine période.

Il s’agit notamment de la discussion d’une nouvelle convention collective, de l’abrogation des ordonnances antisociales, de la garantie du pouvoir d’achat par l’échelle mobile des salaires. »

 

En somme, l’Echelle mobile a, presque toujours, figuré dans la panoplie des revendications syndicales... sauf dans la période où on pouvait l’imposer.

L’Échelle mobile fait un peu penser au fusil de chasse de Poil de Carotte.

 

Ce dernier s’en va chasser avec son cousin. Tout fier, c’est lui qui porte l’unique fusil. Un lapin passe à portée. Le cousin s’empare du fusil et tire. Le fusil revient dans les mains de Poil de Carotte... et en repart aussitôt qu’une perdrix attire l’oeil du cousin. C’est le retour à la maison. Le père les accueille sur le pas de la porte et avise Poil de Carotte trébuchant sous le poids du fusil : « Mais c’est toi qui a tout le temps eu le fusil ! »

« Presque » répond Poil de Carotte, philosophe.


 

ANNEXE 1

Tract distribué à 2 000 exemplaires, au lendemain des élections par le Comité d’Action du 5éme arrondissement occupant le théâtre de l’Épée de bois :

 

Qui a fait peur à qui ?

Devant le résultat des élections, chacun se pose la question : Pourquoi ?

Il y a trois réponses principales :

 

1ère réponse

« De Gaulle a fait peur » dit toute la gauche officielle. Oui, mais de quoi ? Il a parlé des barricades et de l’aboutissement qui serait le TOTALITARISME.

La gauche « officielle », PCF en tête, clame : « Ce sont les barricades qui ont fait peur. »

Notons tout de suite que, sans les barricades, les jeunes ouvriers et étudiants auraient toujours été balayés par la police en une heure. Souvenons nous que les « respectables » manifestations organisées jadis par la direction PCF coûtèrent 9 morts à Charonne, sans qu’un seul CRS soit sérieusement blessé. Belle tactique vraiment.

 

Notons que depuis dix ans, de l’aveu même de De Gaulle, ce sont les barricades qui l’ont obligé à parler de réformes, à passer des nuits blanches, puis à aller consulter à Baden-Baden ses budgétivores traîneurs de sabre.

 

Notons que sans les barricades, il n’y aurait pas eu le plus puissant mouvement ouvrier que la France ait jamais connu.

 

Notons que, de l’aveu de responsables CGT (Ravaux, secrétaire CGT de l’enseignement technique), « Les assassinats de Sochaux montrent assez que la police n’hésite pas à tirer sur les ouvriers, même s’ils ne dressent pas de barricades. »

 

Notons enfin que la violence ne semble pas toujours faire peur aux électeurs, puisque De Gaulle ne s’est pas gêné pour utiliser des gangsters notoires, armés, non de pavés, mais de pistolets et mitraillettes pour tirer sur des travailleurs parisiens.

 

Et souvenons nous, pour terminer sur ce point, que toutes les fêtes nationales française, anglaise, américaine, etc, célèbrent des actions directes de masses et non des élections.

 

Et pourtant, c’est vrai, quelque chose a fait peur.

Toute l’habileté de De Gaulle a été de faire croire que le mouvement des étudiants et des jeunes travailleurs ne pourrait conduire qu’à un certain « totalitarisme » que Waldeck Rochet a toujours exalté mais que le peuple vomit.

C’est vrai que des millions de salariés ne veulent pas un « socialisme » à la sauce de Moscou.

C’est vrai que, même à l’Est on a manifesté contre « la nouvelle bourgeoisie rouge ».

Pas besoin de suivre la politique pour savoir que le bureaucrate russe est aussi goinfre et aussi insolent que l’exploiteur français.

Pas besoin de suivre la politique pour savoir qu’un fonctionnaire prétentieux et ignare décide en URSS de ce qu’un écrivain aura le droit d’écrire.

Pas besoin de lire un journal pour constater qu’on voit chaque été, en France, des jeunes de nombreux pays, mais pas de l’URSS.

 

Ce n’est pas le mouvement de lutte des jeunes qui a fait tort à l’idéal socialiste, c’est la ligne de la direction du PCF.

 

De Gaulle a MENTI en faisant un ignoble amalgame. Le socialisme que nous voulons est aux antipodes de celui de Waldeck Rochet.

 

La preuve ? Qui attaqua le plus systématiquement le mouvement étudiant ? La direction du PCF.

Quelle presse fut la plus discrète sur les événements de Mai ? La presse de Moscou. Voila la vérité.

 

Nous luttons pour le socialisme. De Gaulle a menti en faisant croire que c’est pour le NKVD.

 

2ème réponse.

 

Jadis, la gauche savait dénoncer le caractère truqué des élections bourgeoises. Aujourd’hui encore, elle en parle timidement...à l’occasion d’un échec... et tout en laissant croire que le procédé est cependant assez valable. Mais la gauche « officielle » des croulants et des chauvins ne peut taper vigoureusement sur certains clous.

Or :

- Quand on ferme la bouche à 2 millions de jeunes grévistes, mais qu’on donne la parole à des religieuses cloîtrées et aux barbeaux de Pigalle ;

- Quand on ferme la bouche au maçon espagnol qui a fait en vingt ans plus de 500 maisons sur le territoire français, mais qui ne peut cependant obtenir sa naturalisation ; tandis que l’on consulte le légionnaire qui obtient le titre de français parce qu’en cinq ans il a détruit 500 maisons ;

- Quand on découpe le territoire de telle manière que la voix du chouan le plus « béni-oui-oui » vaille celle de dix ouvriers ;

Bref, quand on a affaire à un tel système de tricheur, le peuple laborieux ne peut pas gagner.

 

Parce que nous sommes vraiment démocrates, nous disons que la dernière consultation est une fumisterie. Et nous vous invitons à contester cette sale partie de belote, parce que ceux qui ont battu les cartes sont des tricheurs avérés.

 

3éme réponse.

Mais voici le plus grave.

Alors qu’il y eut 10 millions de grévistes, aucune tentative ne fut faite pour rechercher une plate forme revendicative commune avant les entretiens de Grenelle.

- La trahison commence quand, face à l’armée ennemie unie, l’action de notre armée n’est pas coordonnée.

- La trahison se poursuit quand on sort de Grenelle avec des mégots... et le sourire quitte à changer de visage quand la masse ouvrière crie « Scandale ! »

- La trahison continue quand, après le coup de poing de De Gaulle sur la table et son rassemblement (à grands coups d’autocars), on ne fait plus la moindre manifestation de masse et on pousse même le vice jusqu’à supplier les salariés de ne pas aller à celles de l’ UNEF.

- La trahison s’achève quand on se replie sur le corporatisme et qu’on invite chaque bataillon à se débrouiller séparément contre une armée ennemi qui fait bloc.

- La trahison pue quand on ment en disant « Reprenez ici, car les copains de là-bas ont déjà repris », et quand on a le triste culot d’expliquer aux gars de chez Citroën : « Vous restez isolés », alors qu’on a, justement tout fait pour aboutir à cette situation.

 

Avant même que les élections commencent, la gauche a été roulée, ficelée et vendue.

Or, réfléchissez bien :

Quelques millions de salariés avaient simplement suivi le mouvement. Ils n’étaient pas l’avant-garde. Ils étaient devenus sceptiques depuis tant d’années de petites gré-grèves bi mensuelles d’une heure.

Mais, une fois dans le coup, tous ces hommes auraient bien voulu qu’un tel effort ne soit pas vain. Cette masse relativement flottante a bien compris que la direction « officielle » du mouvement ouvrier ne voulait pas la victoire.

 

Napoléon soulignait déjà :

« Si l’armée recule, les saxons vont changer de camp. »

Bien des hommes se sont senti hélas (mais cela s’explique) une âme de saxon en voyant les grosses finesses de Séguy. Ce ne sont pas eux les coupables. On ne peut jeter la pierre à celui qui plonge en voyant que le capitaine conduit le bateau sur des récifs.

Pourtant nous devons dire à tous ces hommes. Votre réaction ne fut pas bonne. L’eau gaulliste est boueuse. Elle pue le mazout et le profit. Demain il faut changer de tactique. C’est le capitaine qu’il faudra balancer à l’eau pour sauver le navire.

Pour cela il faut, dés aujourd’hui, méditer, s’éduquer et s’organiser.

Car le seul cadeau gaulliste de l’année ne peut être qu’une augmentation du coût de la vie, de l’effectif des C.R.S. et du nombre des jeunes chômeurs.

Ce n’est qu’un début, continuons le combat !

En Avril, nous n’étions pas mille « enragés » dans tout Paris.

En Juin, il y en eut bien plus, rien que chez Citroën.

Comité d’Action. 5éme Arrondissement