Mai-Juin 1968 au jour le jour
Revue
de presse par André Calvès
Du
3 au 13 Mai 1968 :
Quand
cette période se sera écoulée, il y aura du nouveau en France.
Pour
la première fois depuis plus de dix ans, des manifestants auront
contre-attaqué, et des centaines de policiers soignent leurs plaies. Souvenons
nous qu’à Charonne, 9 paisibles manifestants furent tués sans qu’un seul
policier soit blessé... ou inculpé. Une bonne partie de la gauche officielle
avait juré qu’ils seraient vengés...
Pour
la première fois depuis plus de dix ans, des centaines de milliers d’ouvriers
débrayent sans donner de préavis aux patrons.
Pour
la première fois depuis 24 ans, des centaines de milliers d’hommes vont s’intéresser
de très près à la politique et réfléchir sur une quantité de problèmes anciens
et nouveaux.
Comment
cela démarre-t-il ?
Des
étudiants de Nanterre veulent tenir un meeting sur divers problèmes (dont celui
du Viêt-nam). Ils demandent une salle. Le recteur refuse. Les étudiants
occupent la salle. Le recteur appelle la police et fait fermer Nanterre.
Les
étudiants viennent à la Sorbonne. Les fascistes « d’Occident »
annoncent qu’ils perturberont la réunion. Précédemment ces fascistes avaient provoqué
un commencement d’incendie à la Sorbonne. Durant les années précédentes, ils
ont souvent attaqué des étudiants de gauche désarmés. Ils constituent un danger
d’autant plus grand qu’ils sont protégés par la police. Le PCF le sait fort
bien puisqu’il a demandé, sans obtenir satisfaction, au gouvernement la
dissolution d’Occident.
Les
étudiants prennent donc des précautions élémentaires. Ils constituent un
service d’ordre. Voila qui semble contrarier le recteur. Il n’a pas eu un mot
contre les multiples attaques d’Occident dans le passé. Mais si les victimes
veulent se défendre, ça ne va plus. Ça va faire une bagarre. Le recteur appelle
la police.
Cette
dernière laisse croire aux étudiants qu’ils peuvent sortir librement de la Sorbonne
(France-Soir du 5-6) et les embarque à plus de 500 dans des cars.
Plus
tard le ministre de l’Intérieur dira qu’il s’agissait de simples vérifications
d’identités... et qu’elles étaient plus aisées dans les commissariats que dans
la cour de la Sorbonne !
Notons
qu’au cours de cette opération, les étudiants ne résistent pas. Aucune bagarre.
Ils montent dans les cars. Le préfet de police, ravi, pense avoir décapité le
mouvement, paisiblement, en arrêtant tous les meneurs.
C’est
vrai. Il a les meneurs. Mais il se trompe pourtant lourdement. Voyant passer
les cars qui emmènent leurs camarades « meneurs », voyant la Sorbonne
occupée, les étudiants réagissent. Les manifestations spontanées commencent.
A
partir de cet instant, plus un coup ne sera reçu sans réplique. Pour cent
blessés la veille, il y aura mille nouveaux manifestants le lendemain.
Tous
ceux qui ne croyaient plus aux pétitions, aux « dispersez vous dans le
calme », tous ceux là sortent dans la rue.
Tout
commence parce que mille jeunes manifestent sans attendre d’un préfet de police
une autorisation ou une interdiction, devant laquelle s’inclinent ceux qui s’intitulent
« la Direction du Prolétariat français. ».
Et,
à cause de ces jeunes effrontés, des hommes sages, très sages et très
hypocrites, vont faire des découvertes ahurissantes :
« La rénovation de l’Université
; le gouvernement et moi-même n’avons cessé de la proclamer indispensable. »
Georges Pompidou, 11 Mai.
« Je considère que le
gouvernement actuel a accumulé une série d’erreurs et qu’il est à l’origine des
troubles que la France a connus. » René Capitant.
« Quand une pareille explosion
se produit, il faut bien se dire que c’est probablement parce que le couvercle
de la marmite a été tenu bien serré pendant longtemps et que les soupapes, ou
bien manquaient, ou bien fonctionnaient mal. » Jacques Chaban-Delmas.
« Il est parfaitement
tolérable et admissible que des étudiants manifestent pour exprimer leurs
revendications, leurs idées politiqués, ce sont les violences qui ne peuvent
être tolérées. »M. Grimaud, Préfet de police.
(Notons
que jusqu’à ce jour, les manifestations étaient interdites comme gênant la
circulation)
« Jamais, sans les
manifestations et, hélas, les barricades, la réforme, la refonte de l’Université
ne se seraient imposées avec cette évidence et cette urgence aux gouvernants et
aux enseignants eux-mêmes. » Le Monde 19-20 Mai.
« La juste cause des étudiants,
celle de l’Université va-t-elle l’emporter ? » L’Humanité, 9 Mai.
Mais,
revenons en arrière afin de voir comment ceux qui saluent les vainqueurs de la
première étape, les encourageaient au départ de la course.
Le
journal fasciste « Minute » va donner le ton... à De Gaulle... et à
Marchais.
« Dans le tumulte actuel, ce
Cohn-Bendit doit être pris par la peau du cou et reconduit à la frontière sans
autre forme de procès. Nous n’abandonnerons pas la rue à la chienlit des
enragés. »
Dans
l’Humanité du 4 Mai, l’U.E.C. déclare :
« Les responsables gauchistes
prennent prétexte des carences gouvernementales (…)pour empêcher la masse des
élèves de travailler et de passer leurs examens.
Par leurs mots d’ordre aventuristes,
par leur conception de l’action violente de petits groupes, ils freinent la
mobilisation massive des étudiants qui, seule, peut faire reculer le pouvoir. »
Pour
Le Figaro du 4 Mai.
« Étudiants ces jeunes ? Ils
relèvent de la correctionnelle plutôt que de l’Université. »
D’accord
sur un point avec l’UEC, le réactionnaire président du conseil de Paris,
stigmatise :
« L’action inadmissible d’une
poignée d’agitateur. »
Pour
sa part, la municipalité PCF de Nanterre définit socialement ces
agitateurs :
« Certains groupuscules (…)
composés, en général, de fils de grands bourgeois... vis(e)nt à empêcher le
fonctionnement normal de la faculté. » L’Humanité du 4 Mai. L’Humanité du
4 Mai page4
Dans
ce même journal Georges Bouvard prophétise :
« Déjà la grande masse des
étudiants... peut mesurer les conséquences graves auxquelles, inévitablement,
conduit l’aventurisme politique. »
Pour
sa part, Guy Mollet, orfèvre en la matière :
« Met en garde contre les faux
révolutionnaires. »
Nous
venons de voir quelques impressions sur le début et la fin de cette étape.
Voici maintenant des points de vue au fil des jours :
« A la Sorbonne, le service d’ordre
(gauchiste) gardait les entrées, sous prétexte de faire
face à une attaque des fascistes d’Occident. » L’Humanité du 4 Mai page 4.
« Le festival de la jeunesse
se prépare. A la Bourse du travail, Marius Bertou met en garde contre les
gauchistes... Toutes les dispositions sont déjà prises pour que le festival se
déroule normalement. » L’Humanité du 4 Mai page 5.
A
part ça, tout est calme, selon les normes capitalistes, dans le monde du
travail. 6 mineurs sont tués par un coup de grisou à Roche la Molière.
« Vendredi vers 16h15, le
service d’ordre bloque les issues de la faculté. A 16 h 45, sur la demande du
recteur, une importante colonne de policiers casqués et munis de boucliers et
de matraques en caoutchouc, suivis par les gendarmes mobiles, pénètrent dans la
faculté où ils encerclent les manifestants. » Le Monde 5 Mai
Il
faut comprendre le recteur. Toute la presse, toute, clame que seuls des
groupuscules sèment la pagaïe. Arrêtons les groupuscules et tout ira bien. Or...
« Très vite les choses s’enveniment...
Lors des charges, les policiers matraquent souvent au hasard et parfois même s’acharnent
sur un manifestant isolé. La violence atteint ici son paroxysme. Les policiers
sur lesquels les manifestants lancent des projectiles de toutes sortes, les
renvoient à leur tour et s’en prennent même aux automobilistes qui tentent de
passer. » Le Monde du 5Mai.
« Plus de 600 interpellations
au cours des violences du Quartier Latin. 27 arrestations maintenues. »
L’organisation
fasciste d’Occident déclare :
« Il faut opérer un nécessaire
nettoyage de l’université parisienne. »
L’UEC
affirme :
« Les faux révolutionnaires se
comportent en alliés du pouvoir gaulliste et de sa politique. »
Le
Figaro :
« Il est navrant de constater
qu’un millier de jeunes en révolte puissent bloquer la machine universitaire. »
Le
recteur de l’académie de Paris :
« Suffit-il d’une poignée de
trublions pour obliger à suspendre tout enseignement dans deux
facultés ? »
Quoi
qu’il en soit, trublions ou poignée d’agents du pouvoir, ils sont en prison ou
soignent leurs plaies. Tout devrait donc pouvoir revenir dans « l’ordre ».
Mais,
le Bureau National de l’Union des Étudiants de France (U.N.E.F.) appelle à la
grève. L’Humanité du 6 Mai page 5, publie rapidement une liste des villes qui
ne s’associent pas à la grève.
Cependant,
comme il faut tenir compte des étudiants sensibilisés par le mouvement, une tactique
(subtile ?) est adoptée discrètement par la direction du PCF.
L’Humanité
du 6 Mai, page 5 nous apprend que les étudiants de Nancy, tout en refusant de
se solidariser avec les gauchistes :
« Décident d’organiser une
campagne de protestation contre l’agression des forces de police qui a frappé
pour l’essentiel, des étudiants qui n’apportaient pas leur soutien au mouvement
du 22 Mars. »
Nous
verrons bientôt des gauchistes lancer des pavés et se retirer pour que les « étudiants
honnêtes » reçoivent les grenades. Nous verrons ces gauchistes « fils
de grands bourgeois », désapprouvés par les « étudiants honnêtes »,
construire des barricades, derrière lesquelles viendront bêtement se placer les
honnêtes pour attendre l’assaut policier.
Pendant
ce temps, la vie sociale est calme... du point de vue bourgeois. Un jeune
ouvrier est écrasé aux Forges de Gueugnon par une bobine d’acier de 5 tonnes.
Dimanche
5 Mai
Les
juges pleins de courage condamnent à deux mois de prison ferme quatre jeunes
pour « violences à agents ». Huit autres sont condamnés avec sursis.
Bien
entendu, des dizaines de jeunes ont déjà été tabassés dans les commissariats,
ainsi qu’il est d’usage dans les républiques 3, 4 ou 5.
Il
faut noter ici une tactique de la police. Dans une manifestation, il faut
nécessairement arrêter un certain nombre d’étrangers. C’est du meilleur effet
sur l’ancien combattant ou l’épicier de province. Mais s’il n’y en a pas ?
On va en arrêter dans le premier café venu, et pour prouver qu’ils manifestaient,
on les assomme.
Le
Monde note à propos de la rafle du café « Le Rond point » :
« L’explication de troubles
dramatiques comme ceux du Quartier Latin par l’action de « meneurs »
constitue le refuge habituel de l’aveuglement volontaire... Les insinuations
xénophobes ajoutent l’odieux à l’absurde. »
Lundi
6 Mai
L’organisation
étudiante de droite, la FNEF déclare, comme l’UEC :
« Le gouvernement a favorisé
les menées des extrémistes. »
Le
SGEN (CFDT) dit pour sa part :
« Pas de solidarité avec des
groupes à l’action incohérente. »
Ce
qui évite de parler de solidarité avec les emprisonnés.
Mais
le syndicat de l’Enseignement supérieur réclame :
« La démission du recteur
Roche, l’arrêt des poursuites judiciaires, le retrait des forces de police du Quartier
Latin. »
Et
toute la journée, des milliers de jeunes manifestent au Châtelet et luttent
contre les flics, rue St Jacques et Place Maubert.
Le
soir, il y a 20 000 personnes à Denfert-Rochereau. On entend pour la première
fois : « Nous sommes tous un groupuscule », « Une dizaine d’enragés ».
Ce slogan que tout Paris entendra, ni le Populaire, ni l’Humanité ne l’entendront
jamais.
La
police charge un peu partout : 422 arrestations.
Le
préfet de police admet : « Il s’agit de manifestations largement
spontanées. »
Mardi
7 Mai
Séguy
secrétaire général de la CGT, parlant de la solidarité entre travailleurs et
étudiants, déclare :
« C’est une tradition qui nous
incite justement à n’avoir aucune complaisance envers les éléments troubles et
provocateurs qui dénigrent la classe ouvrière, l’accusant d’être embourgeoisée,
et ont l’outrancière prétention de venir lui inculquer la théorie
révolutionnaire et diriger son combat. » L’Humanité 7 Mai page6.
Séguy
ne confond pas les étudiants et les gauchistes, mais tient absolument à ce qu’on
le confonde, lui, avec la classe ouvrière. Il ne veut pas non plus qu’on
critique sa propre théorie « révolutionnaire » qui consiste à faire
crier depuis dix ans : « Charlot, des sous !».
De
son côté, le bureau confédéral de F.O :
« Déclare réprouver les excès
de meneurs irresponsables et les violences qui en résultent. »
C’est
à peu près ainsi qu’il caractérisa les grèves de la CGT en 1949.
De
Gaulle, pour sa part, affirme :
« Il n’est pas possible de
tolérer la violence dans la rue. »
L’UNEF
et le syndicat de l’enseignement supérieur sont donc les seules organisations
syndicales à mener le combat.
Seules,
mais avec 50 000 jeunes qui, partant de Denfert-Rochereau, vont défiler pendant
cinq heures jusqu’aux Champs-Élysées derrière une banderole : « Vive
la Commune ! »
Précisément,
depuis la Commune de Paris, jamais une manifestation d’extrême gauche n’avait
été, drapeaux rouges et noirs en tête jusqu’à l’arc de triomphe.
La
Préfecture de Police et l’Humanité chiffrent à 15 000 le nombre des
manifestants.
Après
le retour vers le Quartier Latin, profitant d’un nombre plus faible de
manifestants la police charge.
« Boulevard Raspail, quelques
groupes dressent deux barricades ; le gros des manifestants ne prennent
aucune part à l’affaire.» note l’Humanité du 8 Mai, page 4.
Mercredi
8 Mai.
Il
fallait qu’il y ait eu la veille plus de 15 000 dans la rue pour que la CFDT et
la CGT décident de se solidariser avec les étudiants !
Bien
entendu :
« Les cadres CGT de chez Bull
ont envoyé un télégramme de solidarité à l’UNEF et au SNES Sup. dans lequel ils
réprouvent la répression policière encouragée par les actions de certains
éléments irresponsables »
Tandis
que
« La section communiste
Renault fait signer une pétition demandant la réouverture des facultés et la
libération des emprisonnés ». L’Humanité 9 Mai page4.
A
l’Assemblée Nationale, Peyrefitte déclare :
« Si l’ordre est rétabli, tout
est possible. S’il ne l’est pas, rien n’est possible. »
Il
semble que l’UNEF ait fait quelque crédit aux propos de ce monsieur car, après
un meeting à la Halle aux Vins et un défilé de 20 000 personnes, Odéon
Luxembourg, l’ordre de dislocation est donné, en dépit des critiques de plusieurs
organisations révolutionnaires dont la J.C.R. qui soulignent que la Sorbonne
est toujours occupée par les flics et que les camarades restent emprisonnés.
L’UNEF
recherche la possibilité de manifestation commune avec la CGT et la CFDT :
Sauvageot déclare :
« Nous maintenons l’ordre de
grève tant que nos trois points ne seront pas satisfaits. »
Plusieurs
milliers de jeunes assis sur la chaussée du Boulevard St Michel tiennent un meeting :
« Faut-il attendre un
hypothétique appui des grandes centrales syndicales ouvrières ? Faut-il
durcir le mouvement dans le Quartier Latin ? Faut-il aller en banlieue ouvrière
en cortège ? » Divergences entre JCR, Prochinois et F.E.R.
Certes,
il y a un début d’éveil dans les grandes centrales. L’Humanité du 10 Mai, pages
1 et 4, écrira :
« La CGT, la CFDT et l’UNEF
étudient les conditions d’une action commune. Ce n’est pas en faisant charger
des policiers déchaînés sur des manifestants, en blessant par centaines les
étudiants que l’on freinera le légitime mouvement des étudiants. »
« Louis Aragon a été invité à
prendre la parole devant les étudiants réunis. »
En
vérité, il est accueilli par des huées et il ne pourra avoir le micro que sur
la demande de Cohn-Bendit :
« Même les traîtres doivent
pouvoir s’exprimer !»
Donc,
en cette fin de journée, les étudiants deviennent méfiants.
L’Humanité
manifeste quelque sollicitude pour l’UNEF et « le mouvement de
protestation. » Elle note le 10 Mai que :
« Les groupes se réclamant du
trotskysme et de l’anarchisme se livrent à des manoeuvres de division et
reprochent à l’UNEF d’avoir fait une manifestation trop raisonnable la veille. »
page 4
Avec
l’espoir que le mouvement va rentrer dans le lit de la légalité bourgeoise, M.
Peyrefitte déclare à 20 heures :
« Le calme n’est pas revenu. »
En
fait, tout est calme ce soir, mais le ministre croit pouvoir se raidir. Quant
au recteur Roche, il en rajoute en déclarant à 24 heures :
« Le conseil disciplinaire de
l’Université ne siégera pas. »
Ce
même soir, un meeting de la J.C.R. rassemble plusieurs milliers de jeunes à la
Mutualité. A l’extérieur, un très puissant service d’ordre comprend des jeunes
de toutes les tendances. A l’intérieur, après exposé des leaders J.C.R, tous
les courants du mouvement sont invités à s’exprimer. Tous parlent dans le sens
d’un durcissement de la lutte.
Vendredi
10 Mai.
Manifestation
à Denfert-Rochereau à 18h30. 5 000 jeunes des Comités d’Action Lycéens se
joignent au mouvement. Débat sur la direction de la manifestation. La police
interdit l’accès de certaines rues. La manifestation se dirige vers le
Luxembourg. Les slogans sont : « Libérez
nos camarades », « Nous sommes tous un groupuscule », « Libérez
la Sorbonne ».
A
21 heures, au Luxembourg, la foule est face à la police.
Geismar
(secrétaire du SNES Sup), Sauvageot (secrétaire de l’UNEF), Cohn-Bendit
(délégué du mouvement du 22 mars) tentent de négocier les 3 points avec le
ministre par l’intermédiaire du recteur Roche. Le ministre fait traîner les
choses en longueur.
Dans
l’Humanité Dimanche du 12 Mai (c’est à dire, lorsque l’émotion et la
mobilisation des jeunes battent leur plein) Martine Monod écrit :
« Après différentes
tractations, aucun accord n’intervient. Mais les forces de police se sont servies
de ce temps pour recevoir des renforts et, finalement, cerner complètement le
périmètre où se trouvent concentrés les étudiants. Ceux ci sentent le danger. Finalement,
c’est une soixantaine de barricades qui formeront leur dispositif. » (Page
8)
Avouons
que Martine Monod comprend, si elle ne l’approuve, l’action des « gauchistes ».
Mais
revenons à l’Humanité du 11 Mai qui, imprimée dans la nuit, ne pouvait, bien
sûr, pas imaginer l’ampleur du combat qui allait se dérouler et qui, en
conséquence, continuait sur... sa lancée.
« Les deux caractéristiques de
la manifestation d’hier ont été la participation importante des lycéens et la
désapprobation par un grand nombre d’étudiants du comportement, au terme du
défilé, de quelques groupes trotskystes et anarchistes qui persistent à faire
de la violence un but… » page 4
« Alors que plusieurs milliers
d’étudiants étaient encore bloqués dans le boulevard St Michel, certains se
mettaient à arracher des panneaux, à dégager des pavés pour « la riposte ».
De très nombreux étudiants parvenant ensuite à leur hauteur et découvrant ce
spectacle devaient le désavouer. » article de Charles Sylvestre
Dans
le n° spécial de l’Humanité qui parait à midi et qui relate le même épisode, la
dernière phrase a disparu !
Par
contre il y a maintenant une déclaration de Séguy :
« Le gouvernement vient de
publier un communiqué qui tend à faire porter aux étudiants la responsabilité
des violences de cette nuit... La CGT proteste avec véhémence et indignation
contre l’attitude du gouvernement. S’il veut réellement éviter que la situation
s’aggrave, il doit retirer immédiatement ses forces de police du Quartier
Latin. » page 1.
Quant
au Bureau Politique du PCF, il affirme :
« Le pouvoir gaulliste a,
cette nuit, lancé avec une violence inouïe, ses forces de répression policière
contre les étudiants et les professeurs parisiens. Le bilan est déjà lourd. »
page 1.
Notons
que le gouvernement a toujours pris soin de distinguer entre « la masse
des étudiants » et « les émeutiers. » Il peut dire, sans mentir
qu’il a puisé sa documentation dans l’Humanité, et ajouter, au besoin que ce
sont les trotskystes qui ont attaqué les premiers les policiers puisqu’ils « font
de la violence un but. »
A
Paris, les événements de la nuit ont déclenché une immense émotion. L’expression
« CRS SS » est dans toutes
les bouches.
Pourtant
le début de la nuit était assez calme. Derrière leurs barricades beaucoup d’étudiants
étaient convaincus que Pompidou libérerait la Sorbonne et les prisonniers.
Quand, après un meeting, un cortège de 1500 membres de la FER (Lambertistes)
avec leur comité central en tête, se présenta devant la première barricade, il
fut acclamé par les étudiants qui croyaient à des renforts. Mais si ça n’était
pas Blücher, ce ne fut pas non plus Grouchy. Les lambertistes scandèrent leur
slogan : « 500 000 ouvriers au Quartier
Latin ! », puis ils firent demi tour sous les huées. La thèse
lambertiste était que le mouvement étudiant offrait peu d’intérêt, les
barricades, une foutaise et que seul le mouvement ouvrier avait une grande
importance. L’histoire prouva que c’est la lutte étudiante et les barricades
qui émurent le mouvement ouvrier et contribuèrent faire venir au Quartier Latin
beaucoup plus de 500 000 travailleurs peu après.
Les
CRS et la police attaquèrent à deux heures du matin. La guerre fut menée, en
fait, contre toute la population d’un quartier. Les flics grenadaient les
fenêtres, brisaient les portes, assommaient tout ce qui bougeait, manifestants
ou infirmiers, jeunes ou vieux. Au matin, le bistrotier le plus placide était
plein de haine contre les bandes armées du régime.
Pour
donner une idée de l’ampleur des barricades, il suffit de noter que pour la
construction d’une seule, à l’angle de la rue St Jacques et de la rue Gay
Lussac, deux colonnes de cent jeunes se passaient les pavés à une allure
stupéfiante. Les ouvriers venus le lendemain pour le nettoyage, avec leurs
engins, ne cachaient pas leur admiration sur le plan technique. Il leur fallut
deux jours pour charger tous les pavés dans des camions.
Lorsqu’ils
repavaient au milieu de milliers de curieux, ils entendaient : « Ne les posez pas trop serrés. »
Et ils acquiesçaient avec le sourire.
Reprenons
le reportage de Martine Monod publié dans l’Humanité Dimanche. Nous y verrons,
bien que discrète, une allusion aux responsables des incendies de
voitures :
« Tous les types de grenades
composant l’arsenal des forces de police sont actionnées par un bouchon
allumeur dont la flamme peut être incendiaire. »
L’Humanité
du 15 Mai reviendra :
« Les explosions se
succédaient : Grenades offensives et réservoirs d’essence des voitures. »
Ce
qui n’empêchera pas René Andrieu de mettre, après les élections, les incendies
de voitures au compte exclusif des manifestants.
Mais
en ce qui concerne le résultat de cette nuit ?
On
lira beaucoup plus tard qu’il a consacré le succès électoral gaulliste. Or,
dans l’Humanité du 12 Mai, Martine Monod écrit :
« Le pouvoir a voulu
terroriser. Il suffit de lire les pages voisines de ce journal pour voir qu’il
n’a pas réussi. »
En
effet, sans barricades, sans combativité (songeons qu’à deux heures du matin, à
la surprise des chefs de police, les étudiants étaient par milliers à leur
poste de combat) la manifestation eut été balayée en une heure. Il y aurait
sûrement eu beaucoup de morts comme à Charonne. L’expérience prouve que la
foule qui fuit éprouve plus de pertes que celle qui fait face. Le policier se
sent une âme de héros devant une tête tournée. Martine Monod a raison.
Les
syndicats CGT, CFDT, FEN, FO, appellent à une grève générale de 24 heures.
JAMAIS
jusqu’à ce matin du 11 Mai, ils n’avaient pu ou voulu se réunir pour une telle
action. Jamais le classique préavis de grève n’avait été traité avec un tel
dédain.
Pompidou
s’empresse de déclarer :
« La Sorbonne sera librement
rouverte à partir de lundi. »
Tout
en continuant les ridicules calomnies classiques dont il n’a pas, hélas, le
monopole :
« Je demande aux responsables
des organisations représentatives de l’Université de rejeter les provocations
de quelques agitateurs professionnels. »
Les
étudiants de Science Po refusent de passer leur examen. 4 à 500 d’entre eux se
rendent à l’hôpital de la Salpetrière afin de donner leur sang aux blessés des
barricades.
L’annexe
de Censier est occupée. Des milliers de gens apportent des médicaments.
Des
commerçants (de la rue Mouffetard en particulier) apportent des cageots de
fruits.
Le
préfet de police cherchant à atténuer l’émotion populaire, soutient qu’il y
a :
« 108 blessés parmi les
étudiants, 251 policiers et 14 non étudiants. »
Cet
homme ment comme il respire. Il sait fort bien que des centaines de blessés
sont soignés chez des particuliers. Trop de gens ignorent encore que dans la
démocratie française, se déclarer blessé dans une manifestation, c’est risquer
d’être inculpé.
Une
commission de médecins accuse la police d’avoir utilisé les mêmes gaz toxiques
que les américains au Viêt-nam.
Rue
Gay Lussac, un centre d’information donne tous les détails sur la nature de ce
gaz. Des milliers de tracts informent la population.
Sur
la route du centre d’internement de Beaujon, les matraquages ont continué et
nombre de jeunes filles arrêtées ont été pelotées avec le droit à une gifle et
des injures quand elles protestaient. L’une notait : « Les satyres du
métro sont tout de même plus polis. »
On
apprend que De Gaulle, qui a passé une nuit blanche, a convoqué à 6h30 un
conseil interministériel. Peut-être songe t-il à la belle phrase qu’il prononça
en 1958 :
« Je vous promet, dans dix
ans, une belle arrivée ! »
Les
juges d’instruction décident de travailler un dimanche après midi et mettent en
liberté provisoire les emprisonnés de mardi.
Lundi
13 Mai :
Grève
générale.
Le
BP du PCF déclare :
« Ouvriers et étudiants
éprouvent ensemble les contradictions du régime qui engendre l’exigence
révolutionnaire. »
Qui
eut imaginé ce ton, huit jours avant, quand les « gauchistes »
empêchaient le déroulement « normal » des cours à Nanterre ?
« Cette unité de la classe
ouvrière et des étudiants met en cause le régime même. »
« La révolte des étudiants, à
elle seule, condamne sans appel le régime. »
Et
cette déclaration capitale :
« L’élément qui a contribué à « souder »
entre eux étudiants et professeurs a été la réaction contre les brutalités
policières. » L’Humanité du 13 Mai.
Dans
une table ronde organisée par l’Humanité, le tournant est encore plus souligné.
Jean Bruhat :
« Je crois que notre parti a
formulé sur tous les problèmes, un programme tout à fait juste, mais qu’il n’a
pas pénétré pour autant, dés lors, dans les masses étudiantes et enseignantes.
S’il y a eu un retard, ce n’est pas dans la formulation de notre programme mais
dans sa pénétration. Quand je discute avec les étudiants, moi j’admire leur
combativité. » page 6
Cette
dernière phrase est, au fond, plus importante que tout le reste car elle
souligne que le PCF n’a pas su montrer l’essentiel : les modes d’action.
La
grande manifestation du 13 Mai.
On
en a beaucoup parlé. On a dit : Un million de participants. On a noté que
la place Denfert-Rochereau était pleine alors que les derniers manifestants n’avaient
pas encore quitté la République. On a signalé que la quasi totalité du public
sympathisait avec les manifestants.
Quelques
autres points méritent d’être soulignés.
Pour
la première fois en France :
1) Une immense manifestation unit ouvriers et
étudiants et unit aussi tous les courants politiques du mouvement ouvrier. En tête,
les leaders syndicaux CGT, CFDT, UNEF et, aussi Cohn-Bendit sur le même rang
que Séguy (qui dira plus tard : Cohn-Bendit ? Connais pas !)
Voici
une colonne CGT, puis un fort groupe de JCR. Encore un groupe PCF, puis les
anars avec leurs drapeaux noirs. Et la FER et des colonnes de prochinois.
Les
services d’ordre d’extrême gauche portent le casque, mais aussi des groupes qui
sont visiblement des J.C. de banlieue.
Fortes
colonnes de militants CGT et CFDT. Notons ici que contrairement à certains
usages lamentables du passé, on ne voit aucun groupe de « gros bras CGT »
pour tenter de séparer les bons manifestants des vilains gauchistes. C’eut été
impensable dans cette gigantesque manifestation.
2) Cette manifestation unique par son dynamisme,
traverse l’Ile de la Cité, le royaume des flics et des juges bourgeois. La cour
du Palais de justice est vide. Au fond, derrière les vitres, un groupe de
quelconques employés semble bien pâle d’allure. Ils ne bronchent pas quand deux
jeunes installent des drapeaux rouges sur les grilles de leur royaume. Jamais
depuis la Commune, une manifestation ouvrière n’avait effectué ce trajet.
Notons, d’ailleurs que l’UNEF dut presque l’imposer aux grandes centrales
syndicales.
3) Pour la première fois depuis 1935, il n’y avait pas
un seul drapeau tricolore dans le cortège. Cela va de soit pour les
organisations d’extrême gauche, mais il est significatif de constater que de très
nombreux groupes PCF et CGT avaient spontanément apporté uniquement leurs
drapeaux rouges. J’ai personnellement vu un groupe qui avait apporté un drapeau
tricolore et le laissa roulé sur sa hampe, en ne déployant que le rouge. Aucune
pression n’était exercée sauf celle qui était dans l’atmosphère de cette
manifestation.
On
ne peut s’empêcher de songer à toutes les arguties du passé : « Le
drapeau tricolore est celui de toute la nation. Une manifestation associant d’autres
couches sociales aux ouvriers ne peut se faire qu’avec le drapeau tricolore. »
Etc, etc. Voila le vulgaire « bon sens » pris en défaut. Jamais
manifestation ne fut plus unitaire, plus imposante, plus combative, et cela
sous des drapeaux rouges et noirs.
4) Pour ceux qui ont connu les ternes défilés : « Pompidou
navigue sur nos sous ! » et « attention camarades, pas d’insultes
violentes à De Gaulle », « Pas de provocation », ce fut comme
une révélation.
Si
une authentique révolution se caractérise par la spontanéité de l’imagination
populaire, on assistait là au début d’une révolution.
Qui
oubliera : « Salauds, salauds, salauds... CRS répondit l’écho. »
Et la longue complainte « Grimaud salaud ». Et les affiches des Beaux
Arts contrastant heureusement avec les lamentables images d’Epinal vues pendant
tant d’années.
Un
groupe de manifestants portait, pendu à une potence, un mannequin grandeur
nature revêtu d’un uniforme de policier... Et le mannequin fit tout le voyage,
de la République à Denfert-Rochereau.
Il
est intéressant de noter que J.C.R, F.E.R, etc n’étaient pas seuls à scander :
« Nous sommes un groupuscule » ou à lever les deux mains en
clamant : « Une dizaine d’enragés. » Plusieurs groupes de
militants communistes scandaient les mêmes slogans comme si les droits d’auteur
revenaient à Pompidou et non à Marchais.
5)
On ne peut conclure sans souligner que jamais une manifestation ne comprit un
si grand nombre de travailleurs antillais. Un groupe de plusieurs centaines
défila en scandant : « Deux siècles... ça suffit ! »
Nombreux aussi les travailleurs de toutes nationalités, et particulièrement les
Portugais scandant : « De Gaulle, Franco, Salazar... assassins ! »
Ces camarades très photographiés, trop photographiés sans doute, manifestaient
un grand courage car une longue expérience leur faisait savoir qu’ils seraient
les premières victimes de la répression en cas de reflux du mouvement. Il va de
soi, en tout cas, qu’ils n’étaient chez eux que sous le drapeau du prolétariat
mondial.
A
Denfert, en dépit des mots d’ordre de dislocation, plus de 10 000 manifestants
continuèrent jusqu’au Champ de Mars, tandis que la Sorbonne et diverses
facultés étaient occupées par les étudiants.
Dans
l’Humanité du 15 Mai, Wladimir Pozner pouvait écrire à propos de cette
manifestation :
« L’ordre régnait ce jour là
puisque les forces de désordre se cachaient prudemment. » page 5.
On
ne peut mieux souligner que les «forces de désordre» sont celles de l’appareil
policier
Dans
toute la France les manifestations eurent une ampleur considérable. La presse
mentionne :
« Toulouse : jamais vu ça
depuis 20 ans ! »
« Nancy : sans précédent
depuis 1936 ! »
« Brest : deux cortèges
dans la même journée ! »
« Bordeaux : un cortège long
de près de deux km ! »
« Marseille : 6 cortèges ont
envahi la Canebière ! » etc, etc.
Lorsqu’en
1789, des milliers de parisiens marchent sur Versailles, ils réclament « du
pain ! »
Chaque
homme a dans sa tête des souvenirs de brimades, d’arrogance des nobles et du
haut clergé, des souvenirs de supplices infligés, toujours aux pauvres. Mais
tous ces souvenirs sont écrasés sous une dalle de résignation dans la tête de l’homme
seul. Soudain il se trouve dans une foule. Il continue à crier « du
pain ! », mais il veut déjà dire un tas d’autres choses.
Et
cela commence à inquiéter beaucoup de libéraux, « amis du peuple »
certes, mais peu soucieux de voir les manants approcher du pouvoir. Et ces
libéraux s’emploient à répéter : « Votre
mouvement est purement revendicatif. Du pain, un point c’est tout. Laissez vos
amis s’occuper de la grande politique. »
Ainsi,
plus le manant voudra aller de l’avant, plus les libéraux feront marche arrière
...pour arriver souvent, comme Dumouriez, dans les rangs de l’armée prussienne.
En
1871, nombre « d’amis du peuple » se cabrèrent devant la grossièreté
et les prétentions du plébéien parisien. Ils se retrouvèrent, comme Georges
Sand, derrière l’armée de Versailles. Certes, ils se disaient toujours pour une
France plus juste... mais pas dirigée par des « irresponsables. »
En
1936, le mouvement ouvrier connut une ampleur extraordinaire. Des usines où il
n’y avait pas dix syndicalistes, entrèrent en lutte à 100%.
Les
revendications étaient-elles définies à l’avance ? Non.
Il
y a aussi quantité de souvenirs dans les têtes des ouvriers. Plus le mouvement
grandit, plus ces souvenirs prennent du relief. Telle usine, seule, réclamait
un franc de l’heure d’augmentation. Tous ensemble arracheront bien autre chose.
Benoît
Frachon raconte :
« Les patrons : Avez vous
jamais vu de telles revendications ? »
« Frachon : Avez vous
jamais vu un tel mouvement ? »
Les
petites employées des grands magasins ne s’occupaient pas de politique. Elles
auraient traité de folle celle qui aurait réclamé 25 % d’augmentation. Mais
elles avaient aussi un tas de souvenirs écrasés dans la tête. Quand le
mouvement ouvrier prit de l’ampleur, elles entrèrent dans la lutte et arrachèrent
souvent 100 % d’augmentation.
Bien
entendu, tous ceux qui voulaient freiner le mouvement répétaient : « Il
est purement « revendicatif. » Et ils disaient cela pour des raisons
très bassement politiques.
En
1968, après la journée du 13 Mai, les timides revendications du début sur la
réforme de l’Université passent à l’arrière plan. Une bonne partie de l’extrême
gauche n’a jamais caché son programme et elle connaît bien son histoire de
France... et du monde aussi. Et dans l’immense foule qui manifeste et qui
constate sa force, il y a aussi beaucoup de souvenirs comprimés qui jaillissent
maintenant.
Réciproquement,
bien des « amis du peuple » commencent à s’inquiéter. Ils connaissent
aussi l’histoire de France. Il ne suffit même plus de répéter : « Votre mouvement est purement
revendicatif. » Il faut avoir quelques propos révolutionnaires, mais
surtout creuser un fossé de haine entre les masses qui s’éveillent à la vie
politique et l’avant garde qui a contribué à lancer le mouvement.
Ces
« irresponsables » qui sont
des « agents payés par le pouvoir »
et qui n’ont d’ailleurs pas besoin d’argent puisque ce sont des « fils de grands bourgeois », que
veulent-ils ? Ils veulent entrer dans les usines « pour tout casser !» Ils veulent casser ce qui fait la
fortune de leurs pères. Ce qui prouve bien qu’ils sont irresponsables !
J’ai,
pour ma part, entendu une honorable femme, très socialiste, disant avec
horreur : « Si on les écoutait,
ce serait la Révolution !»
La
Révolution ! Qu’est-ce donc que cette abomination ? Voici une minuscule
histoire qui peut aider à l’expliquer :
En Juin 1968, dans une localité des Côtes du Nord, des
paysans apportent des vivres aux cheminots en grève. Si on vous
demandait : « Où sont les
révolutionnaires ? » Vous répondriez : « Plutôt chez les cheminots que chez les paysans ». D’accord,
d’accord. Notez pourtant que les paysans sympathisent avec les cheminots.
Un
paysan dit à un syndicaliste :
« Vous avez raison, mais nous
allons perdre toute notre récolte. Est-ce que ça ne serait pas possible de
faire marcher un train et transporter nos produits dans les grandes villes pour
les vendre directement aux ouvriers ? »
Le
cheminot répond que ça n’est pas possible. Le paysan insiste :
« Mais vous pourriez conduire
ce train ! »
Le
cheminot rétorque :
« Arrêter les trains, c’est la
grève. Mais les faire marcher à notre compte, c’est la révolution. C’est ça que
tu veux ? »
Le
paysan conclut :
« Tu veux me faire peur avec
des mots, mais toi, tu as peur de la chose. »
Les
paysans du secteur perdirent une part de leurs produits. Et si ça se trouve,
ils ont voté pour De Gaulle aux élections qui suivirent.
Au
lendemain du 13 Mai, la bourgeoisie est fort inquiète. Ses spécialistes de la
politique se disputent et s’accusent d’avoir très mal manoeuvré. Ils ont tous
la hantise d’une liaison entre les ouvriers et les étudiants.
Certes,
ils savent fort bien que les centrales syndicales et la gauche « officielle »
se garderont de pousser à la grève générale illimitée. Pompidou, De Gaulle,
Malraux et Cie connaissent assez bien l’histoire de la social-démocratie et du
PCF. Ils n’ont pas oublié le désarmement des FTP. Mais ils réalisent aussi que
quelque chose a changé. Ils sont craintifs parce qu’ils voient que la confiance
absolue des travailleurs à l’égard des directions traditionnelles n’existe
plus.
Pour
que des J.C. viennent casqués et avec drapeaux rouges à une manifestation. Pour
que Waldeck Rochet réclame la libération de « provocateurs gauchistes »
emprisonnés, pour que Force Ouvrière accepte, pour la première fois dans son
existence, de défiler à coté de la CGT, il faut qu’il y ait une énorme pression
à la base. Il y a danger de débrayages spontanés.
C’est
pourquoi, en convoquant ses juges un dimanche et en libérant la Sorbonne, M.
Pompidou, à peine revenu d’Iran, tente d’ouvrir rapidement les soupapes de
sûreté bloquées par ce qu’il doit appeler dans le privé, l’imbécillité des
Peyrefitte, Fouché et Cie. Il faut vraiment que Pompidou soit pris à la gorge
pour désavouer dans les faits sa police et s’attirer ensuite, de sa part, des
reproches amers :
« Nous étions en droit de
penser, au moment où le premier ministre rentrant de voyage, donnait
satisfaction aux étudiants, que c’était reconnaître que leurs mots d’ordre
étaient valables. On comprend très mal alors, que les forces de police aient eu
à intervenir. » (Le secrétaire de la Fédération Syndicale de la Préfecture
de Police à « Radio Luxembourg »)
Pompidou
s’empressa de désamorcer le mécontentement policier, en lâchant de substantiels
avantages financiers... selon une échelle hiérarchisée, bien sûr. Des étudiants
à l’esprit politique vif, ne manqueront pas de faire remarquer aux flics dans
le Quartier Latin :
« C’est vous qui tapez, c’est
vous qui recevez les pavés, et ce sont vos supérieurs qui ont toute la
rallonge. Est-ce juste ? »
Bien
entendu, Pompidou soucieux d’inquiéter une part de la petite bourgeoisie de
province ne manquera pas de reprendre la rengaine :
« L’origine immédiate de ces
événements se trouve dans la situation créée depuis plusieurs mois à la faculté
de Nanterre par un groupe peu nombreux mais très agissant, d’étudiants
arrogants, érigeant en doctrine l’action directe et la violence. Certains
individus déterminés, munis de moyens financiers importants et d’un matériel
adapté au combat de rue, dépendant à l’évidence d’une organisation
internationale, ont pris part aux événements »
Pompidou
se croit fin en reprenant mot à mot les phrases de l’Humanité. Mais s’il pense
obtenir des risettes en échange, il se trompe. Après la manifestation du 13, et
un tel gauchisme potentiel, la direction PCF galope vers les commandes de la
locomotive et, dans l’Edito de l’Humanité du 15 Mai, c’est René Andrieu qui
réplique vertement :
« Si cette manifestation s’est
déroulée dans le calme, c’est précisément parce qu’il n’y avait pas de forces
de police sur le parcours... » page 8.
Un
« gauchiste » n’aurait pas dit mieux !
Pendant
ce temps l’effervescence monte dans toutes les usines de France.
Pompidou
a débloqué les soupapes trop tard. Partout les ouvriers, surtout les jeunes,
disent que les étudiants montrent la voie. Dans un certain nombre de boîtes, le
noyau agissant se trouve être en dehors du syndicat.
Sud-Aviation
à Nantes débraye spontanément le 14 Mai. Le comité de grève boucle la direction
et ses acolytes dans leur bureau.
Le
premier débrayage, en France, est annoncé dans l’Humanité du 15 Juin, en 8
lignes, page9. Pas une allusion à la séquestration du taulier !
Le
16 Mai
Séguy
note cette pensée profonde :
« Les jeunes en ont assez. Ils
veulent que ça change. »
On
apprend enfin que :
« Le directeur régional de Sud
Aviation a passé la nuit dans son bureau avec plusieurs membres de la direction
locale. »
Sous
l’influence de jeunes ouvriers révolutionnaires, Renault Cléon est occupé le 15
par les métallos. Cet acte décisif aura droit à 14 lignes en page 6 de l’Humanité
du 16 Mai pour laquelle l’événement important demeure :
« Plus de 100 000 signatures
pour l’abrogation des ordonnances contre la sécurité sociale. » Deux
colonnes, 90 lignes.
La
lutte en papier contre le tigre qui n’est pas en papier continue.
Petit
problème : Si demain, 10 millions d’hommes en grève ne peuvent arracher l’abrogation
des ordonnances, combien aurait-il fallu de milliards de signatures pour un
résultat plus favorable ?
Dans
la Sorbonne occupée, les diverses commissions -ouvriers, enseignants,
étudiants- siègent en permanence. Certains n’y verront que le désordre et c’est
sans doute la seule chose qu’ils auraient retenue de 1789 à 1917. Mais les
étudiants doivent tout improviser. Pour un ancien militant « gauchiste »
qui n’y voit pas forcément bien clair, il y a cent jeunes, nouveau-nés aux
questions politiques et qui se débrouillent souvent très bien.
La
Sorbonne est internationaliste. Elle abrite des commissions ouvrières de plus
de vingt pays. Cela est évidemment normal à une époque où la bourgeoisie européenne
possède une sorte de comité central permanent qui siège à Bruxelles.
C’est
normal et pourtant nouveau, car on attend toujours une puissante assemblée
syndicale qui réunirait les délégués de Renault, Fiat, Mercédès etc, en vue d’étudier
les problèmes d’horaires, de salaire, et pour envisager des actions communes.
Il
est vrai que pour en arriver là, il faudrait d’abord bannir le nationalisme du
mouvement syndical. On voit très mal une assemblée ouvrière européenne avec
comme slogans : « Achetez français », « Achetez allemand »,
etc.
Dans
la grande cour de la Sorbonne, il y a des stands de toutes les organisations de
jeunes. De l’UEC à la JCR. De Voix Ouvrière aux groupes prochinois. La
coexistence est à peu près pacifique, à ce détail près que l’UEC se fait
engueuler à longueur de journée. Les UEC courageux doivent regarder avec
inquiétude l’Humanité du matin avant de prendre place derrière leur stand. Ils
sont assez souvent relayés. Les éclats vont de l’injure à la discussion animée.
A ma connaissance il n’y a pas eu de coups, et c’est un tour de force, car,
souvent, arrivaient des jeunes « gauchistes » qui avaient été
attaqués par des gars du PCF alors qu’ils distribuaient des tracts devant une
usine.
Donc,
si les discussions tournent autour de l’attitude de la direction du PCF
(pourquoi parler de la SFIO ou de la FGDS inexistantes dans les événements)
elles se bornent souvent à : « Toujours là les sociaux-traîtres ! »,
« Salut les contre-révolutionnaires ! »
La
chose remarquable c’est que le stand de l’UEC sera toléré jusqu’au bout, alors
que dans une certaine mesure les UEC agissent comme des diviseurs avérés,
appelant à ne pas participer aux manifestations de l’UNEF.
Dans
l’immédiat, tout ce qu’il y a de meilleur chez les étudiants tourne les yeux vers
les usines et vers les écoles d’Enseignement Technique.
Toutes
les usines Renault viennent de débrayer.
Le
16 Mai
Chez
Renault, des groupes d’ouvriers ont cessé spontanément le travail. A 17h30 un
tract CFDT appelle à la lutte avec Cléon, Le Mans et Flins. A 16h, les forges,
la fonderie et la presque totalité des départements débrayent. Il était juste
temps que les directions syndicales s’y mettent. Les jeunes ouvriers de Cléon
et Flins arrivaient en cars.
La
direction du PCF et de la CGT n’agissent pas comme Jean le Bon : « Père, gardez-vous à droite. Père
gardez vous à gauche ». Elles ne se gardent qu’à gauche.
Pas
un mot pour inviter les autres salariés à agir comme Renault, mais, après un
salut au fait accompli :
« La CGT salue les
travailleurs, et particulièrement ceux de la Régie Nationale Renault qui,
répondant à son appel, ont décidé la grève avec l’occupation des usines. »
« Son
appel » ? L’historien cherche en vain cet appel dans toutes les « Humanité »
précédentes ou dans toutes les « Vie Ouvrière ».
« Le BP du PCF met les
travailleurs et les étudiants en garde contre tout mot d’ordre d’aventure. »
On
imagine le général qui, pour exalter l’enthousiasme de ses troupes n’aurait que
ce genre de phrase tout au long de l’offensive ! Mais on s’explique ces
propos quand on se souvient que la direction du PCF est de la même famille que
les leaders d’Allemagne de l’Est. Dans les années 50, quand les ouvriers du
bâtiment de Berlin-Est avaient fait grève, ils avaient eu droit aux chars
soviétiques... et aux remontrances des leaders staliniens. Ils avaient « déçu »
les inamovibles camarades gouvernants. A l’époque, Bertolt Brecht qui était un
communiste d’une toute autre sorte que Marchais, avait cloué les bureaucrates
au pilori en écrivant :
« …Le peuple,… a par sa faute,
perdu la confiance du gouvernement.…. Ne serait-il pas plus simple alors pour
le gouvernement de dissoudre le peuple et d’en élire un autre ? » (La
solution)
René
Andrieu retournant l’histoire à sa façon écrit :
« Il est indispensable que le
mouvement étudiant... rejoigne le grand combat de la classe ouvrière contre le
régime gaulliste. » L’Humanité du 17 Juin
Mais
les étudiants qui veulent «rejoindre» apprennent dans le même du journal :
« Hier soir, vers 23 heures,
quelques centaines d’étudiants sont venus du Quartier Latin en déclarant
vouloir prêter « main forte » aux ouvriers de la Régie. Ceux-ci leur
ont fait savoir qu’il n’était pas question qu’ils entrent dans l’usine ! »
Pour
impressionner les ouvriers, les arguments les plus ignobles et les plus
ridicules sont utilisés. Un petit bureaucrate besogneux n’hésitera pas à
écrire :
« Certains aventuriers se sont
présentés en disant : « Laissez nous entrer dans l’usine. Nous allons
vous aider à tout casser. » L’Humanité du 18 Mai.
On
précise, bien sûr, qu’on ne confond pas ces aventuriers avec les étudiants,
mais le mal est fait.
Déjà,
dés le début du mouvement, l’Humanité n’avait pas hésité à utiliser le racisme
en écrivant sur « Le juif allemand Cohn-Bendit ». Comme des militants
communistes avaient tout de même réagi, l’Humanité du 11 Mai, page 6, s’embrouillait
les stylos :
« Le mot
« allemand » n’a pas été employé en vue d’éclairer le rôle de
Cohn-Bendit. On peut toutefois admettre qu’il a pu prêter à confusion. Nous n’avons
pas de leçon à recevoir en matière d’internationalisme. »
En
fait, les bureaucrates staliniens, peu soucieux « d’internationalisme »
n’ont jamais reculé devant une insinuation raciste ou même une action. Leur « internationalisme »
est très spécial.
Ainsi,
le journal central en Allemagne de l’Est écrivait sur : « Le juif
Cohn-Bendit » ; Tandis que celui de Varsovie, tenant compte de sa
clientèle, stigmatisait : «Le condottiere germano sémite Cohn-Bendit. »
Les
jeunes des collèges d’enseignement technique bougent aussi. Quand le 16 Mai, la
CGT les convie à une réunion, Bourse du travail, il s’avère que plusieurs
collèges sont déjà en grève et que des contacts ont été pris avec la Sorbonne.
Au
cours d’une assemblée très démocratique présidée par Charles Ravaux secrétaire
du syndicat CGT de l’enseignement technique, les questions fusent :
« Pourquoi la CGT a telle
stoppé à Denfert-Rochereau et n’a-t-elle pas été avec les étudiants au champ de
Mars ? »
Dans
quatre interventions, des jeunes déplorent « de ne pas avoir autant de
culture générale que dans les lycées ». Voila une génération qui n’est pas
prête à se satisfaire des slogans du genre : « Charlot, des sous ! »
Comme
des jeunes ont parlé d’une organisation nécessaire pour les CET, Marius Bertou,
secrétaire de l’Union des syndicats, rappelle que « la grande CGT existe ». En réponse, des cris fusent dans l’assemblée :
« Nous voulons un syndicat à
nous !».
La
grève avec occupation d’usines s’étend d’heure en heure. SNCF : Trafic
stoppé, Berliet, Rhodiacéta, Rhône Poulenc, Schneider sont à leur tour
occupés :
« Le mécontentement accumulé
par les principales couches de la population depuis tant d’années contre le
pouvoir gaulliste s’exprime avec une force sans précédent, pour ne pas dire,
explose. » L’Humanité du 18 Mai, page 6.
Retenons
le mot « explose » et voyons la suite.
Le
journal du même jour fait état, page 5, d’une conférence de presse de Georges
Séguy :
« On pouvait attendre de nous
un ordre de grève générale. Ceux là seront déçus.
Nous préférons de beaucoup la prise
de responsabilité des travailleurs eux-mêmes, qui décident des propositions qui
leur sont faites par les syndicats. »
Mais
il y a, au moins un cas où la direction nationale CGT ne s’en remet pas à la
responsabilité des travailleurs :
« La CGT n’approuve pas la
séquestration des directeurs d’usines.
Le CCN de la CGT exige :
- L’abrogation immédiate des ordonnances
sur la Sécurité sociale.
- L’augmentation des salaires.
- La réduction de la durée du
travail et la diminution de l’âge de la retraite.
- Une véritable politique de l’emploi
garantissant le travail et les ressources.
- Le libre exercice de l’activité
syndicale. »
Pas
question de l’Échelle mobile. Pas de précisions sur le retour aux 40 heures.
Par contre :
« Le CCN met en garde les
militants et organisations de la CGT contre toute tentative d’immixtion dans la
conduite des luttes ouvrières. » L’Humanité du 18 Juin.
Il
est un secteur où « l’immixtion » pourrait être particulièrement
grande en dépit du fait que Marius Bertou, dans l’Humanité du 4 Mai,
garantissait un « déroulement normal » :
« La conférence de la jeunesse
est reportée à une date ultérieure. »L’Humanité du 18 Mai, page5.
« Le syndicat CGT Renault s’est
adressé aux étudiants qui envisageaient une nouvelle marche vers Billancourt.
Il déconseille cette manifestation car elle pourrait faciliter une provocation
amenant une diversion gouvernementale. »
Cependant
plusieurs milliers d’étudiants se rendent à pieds du Quartier Latin à
Billancourt et discutent avec les ouvriers dans les environs de l’usine. Pour
fermer les portes, tous les arguments sont bons.
« La
Vie Ouvrière » N° 1239 du 29 Juin raconte une visite organisée chez
Renault :
« N’allez pas de ce coté là,
camarades. Ici on fabrique des outillages nouveaux. Ils comportent des secrets
de fabrication. Même la V.O. n’a pas le droit de les connaître... Tu comprends,
Renault, c’est nationalisé. Il ne faut pas faire tort à la nationalisation. »
Est-il
besoin de souligner que la direction de Renault communique les fameux secrets,
au premier signe de De Gaulle, à tout le monde, y compris aux USA.
Le BP du PCF :
« Réaffirme sa solidarité
totale avec les travailleurs... Considère qu’il est urgent d’aboutir à un
accord sur un programme social avancé entre les partis de gauche... Des réformes
profondes doivent tendre à soustraire l’État à l’emprise des monopoles
capitalistes. » L’Humanité du 18 Juin.
Deux
petites remarques s’imposent. La direction PCF ne veut aucun accord avec les
organisations qui animent un grand mouvement, mais en souhaite un avec les
partis qui n’ont aucun crédit, ni chez les ouvriers ni chez les étudiants.
La
deuxième remarque concerne le très très curieux marxisme de gens qui veulent « soustraire » l’État, grâce à
des « réformes profondes ».
Il y a un demi siècle, Zinoviev ironisait déjà sur ces socialistes en peau de
lapin et écrivait.
« Ils se disent d’accord pour
cuire le mouton, mais ils veulent le faire à petit feu pour que le mouton ne s’en
aperçoive pas ! »
19
Mai.
Le
général De Gaulle abrége un très satisfaisant voyage en Roumanie.
Dans
la très conservatrice Irlande, les souverains belges Baudouin et Fabiola
viennent de se faire huer et de s’entendre rappeler les crimes colonialistes au
Congo. Mais dans la « République
populaire » de Roumanie, pas une voix ne pourra s’élever contre De
Gaulle, à l’heure ou les hôpitaux parisiens sont pleins des victimes de la
répression.
Il
y a maintenant des millions de grévistes et le mouvement s’étend toujours.
L’Humanité
du 20 Mai rappelle les revendications de la CGT. Toujours rien sur les 40 h, ni
sur l’Échelle mobile des salaires.
Le
président de la CFDT, André Jeanson prenant la parole à Annecy déclare :
« La CGT et la CFDT, même si
elles diffèrent parfois dans l’analyse de la situation, ne divergent absolument
pas quant à l’action. »
L’Humanité
du 20 Mai publie une page (p6) sur les questions posées par des auditeurs et
les réponses de Séguy à Europe n°1.
Un
auditeur demande pourquoi les directions syndicales, loin d’être des
directions, ont pris le train en marche. Il est évident que l’auditeur fait
allusion aux premières usines où les jeunes ont déclenché la grève sans
attendre des consignes des leaders syndicaux. Un responsable sérieux aurait
répondu sur le fond du problème.
Séguy
escamote le sujet et sort une réponse digne d’un comique troupier :
« Il me semble qu’il est assez
difficile pour le moment de prendre un train en marche dans la mesure où tous
sont arrêtés. »
Séguy
est si content de sa phrase qu’il la répétera vingt fois par la suite. Jaurès
aurait fondu en larmes.
Question :
« Pourquoi n’appelez vous pas
à la création d’un Comité de grève national ? »
Séguy :
« Je crois que les
confédérations peuvent prendre elles mêmes en charge les tâches qui leur
incombent. Elles existent, elles sont structurées, elles ont leurs
responsables. »
Question :
« Êtes vous toujours pour la
disparition du patronat et du salariat ? »
Séguy :
« Il est vrai que cet objectif
figure dans l’article 1 des statuts de la CGT...Le mouvement actuel peut-il
atteindre cet objectif ? S’il s’avérait que oui, nous serions prêts à
prendre nos responsabilités. »
« Il est vrai ! » On devine l’agacement de Séguy devant ces questions « gauchistes. »
Imaginez l’énervement de Torquemada devant l’énergumène qui lui aurait demandé
en public si l’Église est toujours d’accord avec les propos du Christ : « Tu ne tueras point. » Je
suis prêt à jurer que Torquemada aurait répondu : « Il est vrai que... »
Notons
que la suprême astuce consiste à empêcher que d’autre (Un comité national de
grève représentant syndiqués et non syndiqués) puisse prendre les
responsabilités. La seule « responsabilité » que prennent les
responsables de fédérations, c’est d’empêcher la coordination des
revendications, leur popularisation, leur extension.
A
une autre question, Séguy répond :
« Si, demain, le gouvernement
déclare qu’il accepte de prendre en considération, de fond en comble,
les revendications que nous formulons, nous retournerons devant les
travailleurs que nous avons appelés à entrer en lutte et que nous
avons consultés démocratiquement avant de prendre cette responsabilité, en
leur disant : -Le gouvernement accepte vos revendications. Que comptez
vous faire maintenant ? Est ce que vous estimez que le moment est venu de
reprendre le travail ? »
Un
leader aurait une opinion sur la question. C’est une curieuse conception de la « démocratie »
que de feindre n’être qu’un interprète entre patronat et salariat. Le comité de
grève de Sud Aviation permet au directeur toujours séquestré de téléphoner à
Séguy.
Séguy
a une opinion sur ce point précis !
« Nous sommes en train de
prendre des mesures pour que de telles choses ne se renouvellent pas. »
Encadré en milieu de page.
Mais
« les trains sont arrêtés » dirait Séguy.
Qu’à
cela ne tienne; un représentant des cadres CGT, nommé Desaigne, se rend à
Nantes en avion pour obtenir la libération du directeur. Dans certains cas, les
responsabilités sont vite prises !
Comme
Desaigne se fera vertement engueuler par le comité de grève de Sud Aviation, il
prétendra ensuite qu’il est venu de sa propre initiative !
Pour
en revenir à Europe n°1, seul le responsable CFDT donnera une leçon de dignité.
Il répondra aux lamentations du directeur nantais en lui disant qu’il réserve
sa compassion pour les ouvriers que ce même directeur exploita ou licencia
jusqu’à ce jour.
A
une question sur le mouvement étudiant, Séguy :
« Il est de l’intérêt de tous
que le mouvement syndical étudiant retrouve son équilibre au plus vite. »
Retenons :
« L’intérêt de tous ».
« Il ne faut pas s’exciter
outre mesure sur l’importance du mouvement du « 22 Mars » et des
personnages qui l’animent. Il me semble que tout cela est en train de s’étioler. »
Noue
verrons plus tard que, comme il ne s’étiole pas assez vite, De Gaulle le
dissoudra.
L’Humanité
du 20 Mai a jugé nécessaire de censurer certains propos de Séguy, et on cherche
en vain : « Cohn-Bendit ?
Connais pas ! »
De
Gaulle rentre de Roumanie et prononce sa célèbre formule empruntée aux
fascistes de « Minute » : « La
réforme, oui ; la chienlit, non ! »
Les
étudiants des Beaux Arts répliquent aussitôt par l’affiche qui sera populaire
dans toute la France : « La chienlit, c’est lui ». Tirée à
quelques centaines d’exemplaires, elle est reproduite par des ouvriers et
étudiants de toutes tendances qui attendent en vain une seule affiche vivante
émanant de la « gauche officielle ».
Le
mouvement s’étend toujours.
Le
Monde du 21 Juin note :
« L’opposition réclame
unanimement la démission du gouvernement. Les communistes proposent à la
Fédération de la Gauche la mise sur pieds, en commun, d’un programme social
avancé. M. Mendès-France demande que « le pouvoir » se retire. M.
Mitterrand exige des élections générales et M. Lecanuet fait de même mais en se
plaçant dans le cadre du régime. M. Giscard d’Estaing, enfin se montre très prudent
tout en insistant sur la gravité de la situation tandis que le sort de la crise
se joue dans les usines et les entreprises. »
« L’Union des syndicats de
police signale qu’un climat d’extrême tension règne au sein du personnel. »
De
nouveaux millions de grévistes. Mais, aux PTT, les forces de police font
évacuer certains bureaux sans réaction des centrales syndicales. Il est vrai
que si l’on croit « La Vie Ouvrière » numéro 1239 du 29 Juin, à
propos des PTT, boulevard Brune :
« Il faut dire d’ailleurs que
l’expulsion s’est faite très mollement et que les policiers parisiens chargés
de l’opération ne mettaient pas tellement de coeur à l’ouvrage. »
Quand
on vous expulse durement ; s’opposer serait une provocation.
Quand
on vous expulse mollement ; s’opposer, ça ne serait pas gentil.
21
Mai
« Le PCF appelle à multiplier
les comités d’action pour un gouvernement populaire et d’action démocratique. »
Georges
Séguy déclare chez Renault :
« Pas de salaire inférieur à
600 f ; 1000 f à la Régie. Il va sans dire que si le gouvernement actuel
venait à disparaître avant le règlement de ces revendications précises, nous
les présenterions tout aussi fermement à son successeur quel qu’il puisse
être…Nous ne nous contenterons pas de promesses. » L’Humanité 21 Mai
L’Humanité
du 21 Mai. Gros titre :
« De nouveaux millions de
travailleurs ont rejoint la grève hier. »
« Enseignement; demain arrêt
total. »
« Citroën occupé. »
Pas de récit relatant les circonstances de l’occupation.
Voici
un récit d’un témoin militant de « Voix Ouvrière » chez
Citroën :
« Au moment où j’arrive avec 4
camarades pour aider deux copines qui diffusent des tracts devant Javel, il y a
un groupe d’une vingtaine d’ouvriers qui appellent à ne pas rentrer. Les flics
de la boîte entraînent quasiment à l’intérieur les travailleurs qui s’amènent
et qui hésitent.
Juste comme on arrive, quelques
staliniens engueulent les copines et arrachent leurs tracts. On va leur rentrer
dedans.
A ce moment, les flics Citroën qui
sont plus de 30, font une sortie contre le petit paquet de grévistes.
Naturellement, plus question d’engueulade. On fait bloc contre les flics.
La situation n’est pas brillante vu
le rapport des forces et l’hésitation des ouvriers qui arrivent.
Coup de chance, un paquet d’étudiants
s’amènent, de Censier, je crois. Comme ils ont du être souvent échaudés par le
PCF, ils restent un moment de l’autre coté du trottoir. On veut les appeler. Un
petit bonzaillon CGT dit que ça ne regarde pas les étudiants.
Pendant ce temps, les flics Citrons
nous refoulent toujours. Alors d’autres gars de la CGT et des ouvriers
étrangers demandent au bonzaillon s’il est cinglé. Ce n’est pas le moment de
faire des singeries. On appelle la vingtaine d’étudiants qui foncent
joyeusement avec nous pour refouler les flics. On fait un bon barrage devant la
taule. Un quart d’heure après, nous sommes au moins 200, surtout des jeunes.
Alors, on change de tactique. On rentre en force dans la boîte et on vire les
poulets Citroën avec pertes et fracas. Voila l’histoire toute simple. »
Ce
récit vivant contraste avec les propos sur « le syndicat, force tranquille ».
Il
permet de comprendre la tension qui existait dans cette usine policière et
pourquoi les ouvriers seront, en Juin, les derniers à reprendre le travail.
Déclaration
de la CFDT :
« Abrogation des ordonnances
anti-sociales. »
« Pas de salaire inférieur à
700 f. par mois. »
« Retour progressif à
la semaine de 40 heures. »
Pas
question de l’Échelle mobile des salaires.
22
Mai
Cohn-Bendit
parti pour un meeting en Hollande fait l’objet d’une mesure d’interdiction en
France.
10
000 jeunes manifestent à Denfert, Montparnasse et Raspail en criant :
« Cohn-Bendit à Paris ! »,
« Nous sommes tous des juifs allemands ! »
Face
aux mesures de l’État bourgeois qui frappe un des leaders étudiants, l’Humanité
du 22 Mai en page 7, demande :
« M. Missoffe n’a t-il pas
convié Cohn-Bendit à sa table ? »
Le
procédé est classique. Que le ministre dise oui ou non, ou qu’il ne réponde
pas, l’effet est assuré sur les âmes simples.
« La
Vie Ouvrière » n° 1239 du 29 Juin va plus loin :
« Enfin, au moment même où les
mots d’ordre d’aventure de Cohn-Bendit ont éloigné de lui la masse des
étudiants et plus encore, de l’opinion, une mesure gouvernementale d’interdiction
tend à redorer son blason terni. »
Extension
continue des grèves.
Waldeck
Rochet déclare à l’Assemblée nationale :
« Rien ne pourra arrêter cet
immense mouvement. Le pouvoir gaulliste a fait son temps, il ne répond pas aux
exigences du moment. Il doit s’en aller et la parole doit être donnée au peuple »
L’Humanité du 22 juin page 6.
Dans
son édito, René Andrieu affirme :
« Voila le général De Gaulle
au pied du mur. Il est peu probable qu’il s’en tire cette fois avec des astuces
de procédure.
Ce n’est pas un replâtrage du
cabinet, un remaniement ministériel, la démission du gouvernement Pompidou ou
même la promesse d’un référendum sur le principe de la participation qui
pourrait suffire à régler le contentieux.
Les travailleurs demandent des
comptes et ils n’accepteront pas l’escamotage de leurs revendications
essentielles. »
Cette
même Humanité du 22 Mai publie, page 1 et 4, sous le titre : « La
CGT, une grande force tranquille » une interview de Séguy qui mérite mieux
que l’oubli :
« L’opinion publique a été
très favorablement impressionnée par la façon dont nous avons, avec fermeté,
stoppé les provocations et les mots d’ordre aventuriers. Nous seuls avons voué
à l’échec le projet de manifestation devant l’ORTF. Nous seuls avons ramené à
la raison les étudiants prêts à envahir Renault. »
Donc,
aucun doute. L’opinion publique sait que les directions PCF et CGT sont le
meilleur rempart contre les gauchistes. Pourquoi l’oublierait-elle le jour des
élections ?
Mais
Séguy continue :
« Cela n’aurait pas été
possible si nos militants responsables, conformément à nos recommandations,
n’avaient pas occupé, dés les premières heures les lieux, ce qui leur permet en
outre d’assurer la sécurité et l’entretien de tout ce qui est névralgique. Le
gouvernement sait à quoi s’en tenir. » page 4.
On
ne peut mieux dire qu’on a fait un contre-feu devant un incendie irrésistible.
Quant à la dernière phrase, elle sent l’infâme délit d’intelligence avec l’ennemi.
Ces
propos de Séguy sont peu différents de ceux que Blum tint en 1942 devant les
juges pétainistes de la Cour de Riom :
« Vous m’accusez d’avoir voulu
faire la révolution. Au contraire, sans moi, il y aurait eu la révolution. Le
mouvement était si puissant qu’on ne pouvait l’affronter de face. Il fallait
faire la part du feu. »
Notons
qu’à la différence de Blum, Séguy n’hésite pas à se justifier devant la
bourgeoisie en plein cours du mouvement.
Pour
mémoire, rappelons qu’un membre du Comité Central du PCF osa, en 1936,
critiquer la ligne de Thorez : « Il faut savoir terminer une grève ».
Cet homme se nommait Ferrat. Il fut traité de provocateur, d’aventurier
gauchiste, etc, dans un long article de l’Humanité. Le signataire de l’article
était Marcel Gitton. On sut en 1939 que le très orthodoxe Gitton était un flic
infiltré à la direction du PCF !
Séguy
conclut ses aveux volontaires :
« L’heure n’est pas à des
bavardages sur les transformations profondes de la société où chacun met ce qu’il
veut. Elle est aux prises de responsabilité sérieuses. » page 4.
Au
sujet de l’autogestion, Séguy insiste sur
« L’imprécision de cette
notion... Nous nous refusons à cautionner une formule vague. »
Séguy
refuse de « cautionner »
(modeste militant !) le pouvoir aux conseils ouvriers. C’est trop vague selon
lui. Mais il nous proposera demain la lutte pour un « Gouvernement d’union démocratique » où « chacun met ce qu’il veut. »
23
Mai.
Tous
les grands hôtels parisiens sont en grève. Cela ne s’était pas vu depuis des
décennies.
Dans
une déclaration commune du 22 Juin les syndicats CGT et CFDT se déclarent
prêts :
« A prendre part à de
véritables négociations. »
F.E.N.
et F.O. sont d’accord. Waldeck Rochet dit que :
« Le gouvernement doit s’en
aller. »
D’autre
part, les directions syndicales se disent prêtes à négocier avec le dit
gouvernement qui, en conséquence, n’est pas du tout pressé de s’en aller !
Repoussant
une réunion prévue avec l’UNEF, la direction de la CGT déclare :
« Organisation sérieuse et
responsable, la CGT ne saurait discuter qu’avec des interlocuteurs également
sérieux et responsables. » page 5.
En
1922 Lénine écrivit :
« Un des plus grands mérites
des bolcheviks fut de discuter toujours sérieusement, même avec ceux qui ne l’étaient
pas. »
Déclaration
du Parti Communiste Internationaliste
« Le 22 Mai, une assemblée
nationale qui ne représente pas le pays, a maintenu un gouvernement qui suscite
le mépris général.
Ce même jour, Séguy se déclare prêt
à négocier avec ce gouvernement fantoche.
Ce même jour, il choisit de
calomnier l’UNEF et rompt avec l’organisation qui a été la porte parole
courageuse de la lutte des étudiants.
Les deux décisions de Séguy se
complètent :
Il veut arrêter l’immense mouvement
de la classe ouvrière... et tend à donner le feu vert au gouvernement pour la
répression de l’avant-garde étudiante.
Les travailleurs rejetteront les
décisions de Séguy. Ils renforceront l’unité d’action entre les travailleurs et
les étudiants et exigeront la reprise des contacts entre CGT et UNEF.
En avant contre le régime
gaulliste, pour un gouvernement des travailleurs. »
Au
Parlement, Pompidou déclare :
« J’ai dit qu’il y avait
quelques meneurs, quelques enragés guidés de l’étranger. »
Pierre
Cot :
« Vous avez accusé un pays
étranger. Lequel est-ce ? »
Pompidou :
« Je n’ai parlé d’aucun pays
en particulier. En tous cas, je n’ai pas fait allusion au pays auquel le groupe
communiste est si sensible. » L’Humanité du 23 Mai.
Dans
ce même numéro, René Andrieu note :
« Pour retenir ses troupes en
débandade, Pompidou les a adjurées de refuser le désordre aujourd’hui et l’aventure
demain. »
Boutade
à la Sorbonne :
« Pourquoi le gouvernement
soviétique est-il si discret à propos des événements de France ? Pour deux
raisons :
1) Le gouvernement de Moscou n’a
pas pour habitude de s’immiscer dans les affaires d’un pays étranger.
2) Il est trop occupé à surveiller
la Tchécoslovaquie. »
24
Mai.
Pour
les revendications ; contre l’interdiction de séjour de Cohn-Bendit, le
mouvement du 22 Mars soutenu par l’UNEF, le PSU, la JCR, le PCI, la fédération
CFDT, etc, appellent à une manifestation gare de Lyon.
« Les manifestations en faveur
de Cohn-Bendit ne peuvent être que division, diversion, provocation. » L’Humanité
du 24 Mai page 5.
Voila
les flics avertis. Ils peuvent taper. Les braves gens les comprendront.
Précisément :
« Les syndicats de police
souhaitent que les pouvoirs publics n’opposent pas systématiquement les
policiers aux luttes revendicatives. Faute de quoi, ils seraient en droit de
considérer certaines missions comme autant de cas de conscience. »
Pompidou
les entendra. La police ne va pas intervenir contre les défilés de la CGT qui
sont « revendicatifs ». Par contre ...l’UNEF... !
Déclaration
de Séguy à l’agence France-Presse :
« Non, la CGT n’a pas rompu
avec les étudiants, elle a seulement eu soin de ne pas les confondre dans leur
masse avec des éléments troubles excités ou irresponsables dont les actes ont
provoqué spontanément la méfiance des travailleurs. »
Les
dirigeants gaullistes reprendront cette phrase, presque mot à mot, pour dire qu’ils
ne confondent pas la classe ouvrière avec les éléments qui provoquent des
débrayages.
Le
BP du PCF salue la création de nombreux comités d’action pour un gouvernement
populaire et d’action démocratique.
Dans
L’Humanité du 24 Mai, 44 lignes sur l’arrestation d’un groupe de 6 jeunes sur
lesquels, un seul est d’un CET, les autres, sans travail, que la police a
arrêté en Côte d’or :
« Ils ont également déclaré
que d’autres groupes qui avaient, à un certain moment, occupé la Sorbonne,
détenaient également des armes ainsi qu’un poste émetteur-récepteur. »
page 5.
Tandis
que la CGT organise deux défilés de part et d’autre de la Seine, la
manifestation d’extrême gauche rassemble une foule importante tout autour de la
gare de Lyon, (100 000 selon les organisateurs. 20 000 selon l’Humanité et la
préfecture de police !). Les manifestants scandent : « Nous sommes tous des juifs allemands. Ce n’est qu’un début.
Continuons le combat. »
Dans
chaque groupe, des transistors transmettent le discours de De Gaulle qui, en
sept minutes annonce sont projet de référendum et son éventuel départ.
La
foule scande : « Son discours,
on s’en fout. »
A
la fin du laïus de De Gaulle, des milliers de mouchoirs s’élèvent : « Adieu De Gaulle, adieu De Gaulle. »
La
manifestation avance vers la Bastille où vient de passer un cortège de la CGT.
Mais, à présent, les CRS bloquent la place et expédient sans préavis quelques
grenades lacrymogènes en direction des premiers rangs du cortège.
La
direction de la manifestation, prévoyant une charge brutale, demande aux divers
services d’ordre UNEF, JCR, Anars, etc, de venir prendre position devant le
cortège. 2 000 jeunes casqués quittent leurs groupes et vont se placer devant
la Bastille. Le tir de grenades devient intensif.
Les
jeunes dressent une barricade pour stopper la charge des CRS, tandis qu’à la
demande de l’UNEF, les manifestants se scindent en colonnes de 2 à 3 000
personnes qui vont tenter de se rendre à la Bourse en contournant la Bastille. Mais,
déjà, la police, pour faire diversion, grenade les jeunes et les passants qui
sont demeurés boulevard Saint Michel.
« Le pouvoir a choisi la
répression. Ne pouvant prétexter de désordres au Quartier Latin, il a amassé
ses flics en travers du pont et la place St Michel.
Pourquoi, alors qu’aucune
manifestation n’était prévue ? » Comité d’action.
Toute
la soirée, à l’Opéra, à la Bourse, puis au Quartier Latin, des milliers de
jeunes, étudiants et ouvriers se battent contre la police.
L’Humanité
du 25 Mai écrit :
« Les vitres de la Bourse
volent en éclats malgré les protestations de jeunes étudiants qui parlent de
provocation.
« Les conditions dans
lesquelles cette manifestation s’est déroulée, conduisaient de nombreux
journaux à parler, hier, de véritable provocation. »
Ces
« nombreux journaux » sont,
bien sûr, ceux de la bourgeoisie.
Pour
sa part, André Wurmser écrira dans l’Humanité du 27 Mai, page1, qu’on n’abat
pas le capitalisme en brûlant la Bourse. De même que la prise de la Bastille ne
pouvait suffire à détruire la monarchie et qu’on n’abattait pas le militarisme
en détruisant la colonne Vendôme, etc…
En
tous cas, ce qui est sur les lèvres de dizaines de milliers de jeunes, c’est
que la police de Pompidou a laissé passer le cortège de Séguy, puis s’est
déchaîné contre celui de l’UNEF.
Un
jeune homme, Philippe Materion, 26 ans, est tué sur les barricades. Les
autorités déclarent qu’il a reçu deux coups de couteau. Ce serait donc un
règlement de comptes entre manifestants. Toute la presse reprend le thème du
couteau. Le pouvoir ment. Ce jeune a été assassiné par les policiers. (Éclat de
grenade offensive). Très vite, les docteurs ont vu des traces de poudre sur les
bords de la plaie. Ils ont été obligés de garder le silence, c’est à dire de
mentir. Cela sera avoué dans la presse... en septembre 1968 !
Et
voici une information qui en dit long sur la « maîtrise » de la police
tant vantée par Pompidou. Au cours des bagarres, des militants JCR interceptent
des appels de policiers :
« - Chef, chef, les
manifestants nous lancent des grenades.
- Impossible. Vérifiez, vérifiez.
-Chef, chef, nous recevons des
grenades lacrymogènes. Les manifestants en ont.
- Brigadier, arrêtez, arrêtez. Vous
vous canardez mutuellement ! »
Le
tout, avec un accent qui n’était pas des faubourgs
L’Humanité
du 25 Mai. René Andrieu note :
« Pas le moindre incident à
signaler dans les multiple manifestations organisées à Paris et en Banlieue à l’appel
de la CGT et soutenues par le PCF. »
Voila
le genre de propos qui spéculent sur la bêtise humaine. On sait pourtant que si
la police veut provoquer, elle n’a même pas besoin d’agents en civil dans la
foule. Elle lance une première grenade et, le lendemain, toute la grande presse
écrit que ce fut un pavé qui vola le premier. Il est donc bien évident que la
police gaulliste ne voulait pas gêner les cortèges de Séguy-Rochet.
Waldeck
Rochet à l’ORTF :
« Je souligne que les
communistes ne proposent pas des réformes de structure, dans le but d’enterrer
sous des phrases de gauche les revendications essentielles des travailleurs. »
Interview
de grévistes dans plusieurs boites. Tous réclament les 40 h. Pas une allusion
un « retour progressif »,
formule qui fut élaborée dans on ne sait quel mystérieux congrès syndical.
Bilan
de la nuit : 450 blessés conduits dans les hôpitaux. 795 personnes
interpellées.
L’Humanité
Dimanche du 26 Mai écrit :
« Toute la nuit, dans les divers
quartiers de Paris où se transportera l’émeute, on retrouvera ces voyous
douteux, cette pègre organisée dont la présence salit ceux qui l’acceptent et,
plus encore, ceux qui la sollicitent. Ce sont eux, ce sont aussi les
anarchistes chers à Cohn-Bendit qui donneront aux événements leur teinte de
violence systématique. »
« Ce
sont eux », « Ce sont eux », car il n’y a pas de voyous douteux
dans les CRS; il n’y a pas de flics sadiques à Paris.
Ravi,
le flic en chef Fouchet, ministre de l’intérieur, n’a plus besoin de se
fatiguer pour écrire ses allocutions. Il n’a qu’à copier :
« C’est contre la pègre que se
battent les agents... La pègre qui sort des bas-fonds des pavés de Paris et qui
viennent là avec une espèce de folie qui peut-être une folie meurtrière. Et
puis, les anarchistes avec tout ce que cela recouvre. »
Dans
« Les Misérables » Victor Hugo écrivait :
« Deux mots français viennent
du latin Pigritia. Ce sont les mots Pègre et Misère. Où il y a de la misère, il
y a de la pègre. »
L’Humanité
du 27Mai, page 6, notera :
« Ce sont ces groupes
(Anarchistes, Trotskystes, Maoïstes) que l’on a trouvé toute la nuit aux points
les plus chauds, disposant de scies mécaniques et de haches pour abattre les
arbres... et partant ensuite pour un autre théâtre « d’opérations »
pendant que les étudiants pris dans les gaz lacrymogènes subissaient les
assauts de la police et y ripostaient au prix de nombreux blessés. »
La
Fédération PCF de la Gironde bat tous les records en écrivant à propos des
batailles de Bordeaux :
« Tout le monde (sic) a pu
reconnaître parmi les arracheurs de pavés et les constructeurs de barrages
baptisés « barricades », la lie de Bordeaux : souteneurs, voleurs,
etc. »
Dimanche
26 Mai.
Négociations
avec le gouvernement.
G.Séguy :
« La CGT vient de faire en séance plénière la déclaration suivante ».
« Elle recommande aux
travailleurs de rester vigilants contre toute tentative de provocations et de
ne répondre qu’à des mots d’ordre de manifestations où la CGT serait partie
prenante. »
On
s’interroge sur l’intérêt d’une telle déclaration devant Pompidou.
« Le C.A. à donné mandat ferme
à sa délégation pour...
Obtenir l’indemnisation des jours
de grève.
Pour que le gouvernement et le
patronat acceptent une clause d’échelle mobile des salaires liée à l’évolution
du coût de la vie.
Pour que soit déterminé un
calendrier précis de la réduction de la durée hebdomadaire du travail afin de
revenir à la semaine de 40 h dans les plus brefs délais et qu’il en soit de
même pour l’abaissement de l’âge et du départ en retraite. »
« Cette déclaration a été
accueillie par un silence complet de la part du patronat et du gouvernement. »
Notons
que Pompidou qui, bientôt, sera très préoccupé par le respect formel de la
démocratie (votes secrets pour la reprise du travail) l’est beaucoup moins en
ce moment. Il pourrait dire que le gouvernement se doit de discuter avec les
représentants élus des dix millions de grévistes (avec un comité national de
grève, en somme) et non avec des dirigeants syndicaux qui ne représentent pas un
gréviste sur 5. Le rusé Pompidou se garde bien de tenir de tels propos.
Notons
aussi que, d’emblée, les centrales syndicales annoncent qu’elles acceptent des
délais pour le retour aux 40 h, l’âge de la retraite, etc, etc.
Notons
enfin la réapparition soudaine du mot d’ordre capital de l’Échelle mobile des
salaires. Nous le verrons bientôt disparaître.
A
propos de ce mot d’ordre, Frachon déclare :
« Il a fallu que nous mettions
les pieds dans le plat pour ramener la discussion sur ce sujet. C’est un des
problèmes essentiels sur lesquels la classe ouvrière est très
sensibilisée. »L’Humanité du 27 Mai page4.
Frachon
ajoute :
« Nous nous trouvons aujourd’hui
en présence d’une mouvement de grèves et d’occupation des entreprises qui n’a
jamais connu d’égal dans notre pays, même en 1936 ! »
Note
importante dans ce même n° de l’Humanité.
« Dimanche 16h30. Conformément
à la règle observée, aucune déclaration n’est faite à l’issue de cette entrevue. »
D’autre
part, aucun compte rendu des discussions ne sera publié, même en juillet. Il
est bien évident que De Gaulle et le patronat sont au courant minute par
minute. Seul le prolétariat est victime de cette indigne diplomatie secrète. Il
y aura, parait-il, 25 heures de discussions. En voyant la souris qui sort de
cette montagne, on a du mal à imaginer ce qui a nécessité de si longues
palabres, et ce qui a bien pu se dire.
Et
qu’en résulte t-il ? Un accord ?
« La CGT, conformément à l’engagement
pris devant les travailleurs, a prévenu le gouvernement et le patronat qu’elle
réservait sa position sur chacune de leurs concessions jusqu’ à ce qu’elle ait
consulté l’ensemble des travailleurs en grève, tous solidaires les uns des
autres. » L’Humanité du 28 Mai.
Cette
Direction n’a pas d’opinion sur le retour en l’an X des quarante heures.
Elle « réserve sa position ! »
Pour
le gouvernement, il y a un « accord. »
« 7h40. C’est fini. Mr
Pompidou va faire une déclaration et lire le texte de « ce qui a été
convenu. »
C’est
l’Humanité qui met les guillemets, mais se garde de répliquer que rien n’a été
convenu. On a très nettement l’impression que l’État gaulliste ne désire pas
que les leaders syndicaux perdent la face. Séguy s’empresse de dire blanc puis
noir. Ce qui lui permettra, pour la postérité, de rappeler telle ou telle
phrase :
« La séance s’est pratiquement
terminée par un désaccord. » dit, en sortant, Séguy. L’Humanité du 28 Mai.
« Séguy : Il reste encore
beaucoup à faire et nos objectifs restent, mais les revendications qui ont été
retenues pour une grande part et ce qui a été décidé ne saurait être négligé. »
L’Humanité du 28 Mai.
« Descamps, CFDT : En 25
heures de discussion, nous avons obtenu des résultats que nous réclamions
depuis des années... Les avantages acquis sont importants. »
« Bergeron, F.O : Nous ne
pouvons que constater un certain nombre d’accords et de désaccords. »
« Tessier, CFTC : Les
avantages l’emportent de très loin sur les insuffisances. »
Qu’y
a t-il de vrai dans tout cela ?
D’abord,
il faut avoir toujours en mémoire qu’il s’agit du plus vaste mouvement de grève
que le monde ait vu. L’arrêt du travail est quasi total dans le pays. Ce fait
seul indique que le vrai problème posé est celui du pouvoir. Devant ce danger
mortel, la bourgeoisie lâcherait beaucoup, si d’emblée, il ne lui était que
très peu demandé.
Cette
bourgeoisie sait qu’elle n’est pas la seule à redouter la révolution
socialiste. Elle connaît les limites de ses partenaires syndicaux. Elle en
profite.
L’Etat
gaulliste lâche de substantielles augmentations aux salariés très mal payés des
entreprises marginales. Cela n’est pas pour gêner le grand capital qui verra
ainsi la concentration s’accroître. Plus tard, Gingembre, délégué général des
petites et moyennes entreprises, écrira dans « La Volonté » :
« Ces charges vont directement
entraîner une augmentation des prix qu’il est encore impossible de chiffrer,
qui variera d’ailleurs selon les secteurs, mais qui ne semble pas, en moyenne,
devoir être inférieur à 15 %. »
Pour
le reste, l’Etat gaulliste ne lâche pratiquement rien :
- Rien sur l’abrogation des
ordonnances.
- Rien sur les 40h, car il faut un
certain cynisme pour considérer comme un résultat le retour aux 44h ou aux 47h
l’an prochain.
- Rien sur les salaires, pensions et
retraites, car une augmentation hiérarchisée et, ensuite non garantie par l’échelle
mobile des salaires n’est qu’un nuage de fumée. C’est même un drame pour les
vieux travailleurs qui vont supporter les hausses de prix sans avoir rien
obtenu.
Le
droit syndical :
Là
aussi, l’Etat ne lâche que ce qui peut l’intéresser. Les patrons sont partagés
sur cette question, mais une bonne partie d’entre eux, à la lueur des
événements, considère qu’un syndicat est souvent une garantie contre les
explosions de colère incontrôlées.
Ceci
dit, l’Etat bourgeois est prêt à admettre le principe de tout ce qui est primes
particulières, avantages maison etc. Depuis longtemps il voit d’un bon oeil le
petit stock de charbon du mineur, le calendrier du facteur et le carnet de
voyages du cheminot. Tout ce qui divise concrètement les salariés lui convient.
Donc,
il sort, au moins, un accord tacite de Grenelle.
On
décide de ne plus se rencontrer, c’est à dire de ne pas revenir sur les grands
points essentiels qui nécessitent des accords nationaux :
- Les ordonnances.
- L’Échelle mobile et les 40 H.
Pour
les broutilles, pour tout ce qui peut graisser les rouages de la machine,
prière de s’adresser aux branches d’industrie.
Et
c’est pourquoi, entremêlé de viriles et creuses « Il faut exiger »,
le communiqué de la CGT conclut :
« Ce que le gouvernement et le
CNPF n’ont pas consenti à l’échelle nationale interprofessionnelle, il faut le
leur imposer aux autres niveaux dans le cadre des négociations qu’il faut
exiger immédiatement par branche d’industrie et secteurs professionnels et qui
se poursuivent dans les secteurs nationalisés et public. » L’Humanité du
28 mai.
Séguy
se rend à l’usine Renault :
« Il s’établit entre lui et l’assemblée
une sorte de dialogue. Celle ci applaudit ce qui la satisfait, proteste pour ce
qui est insuffisant.
Quand il est question de
possibilité de récupération selon les cas, cette prétention patronale soulève
de vigoureuses protestations. Séguy souriant en dépit de sa fatigue, calme la
tempête. Selon les cas a t-il été dit : Et bien, ici, ce n’est pas le cas !
On applaudit et on rit.
Comme nous n’avons jamais lancé
le mot d’ordre de grève, il ne saurait pour nous être question de nous
substituer aux travailleurs pour lancer un mot d’ordre de reprise. » L’Humanité
du 28 Mai page5.
Dans
ce même journal, en page 4, sous le titre : « Ce qui a été imposé » on peut lire :
« Les journées de travail
seront en principe récupérées. »
En
conclusion, non seulement la totalité des grévistes repousse ce que la CFDT
appellera « Le résultat des
négociations », mais « de
nouvelles entreprises entrent dans la lutte. » Humanité du 28 Mai.
Hélas,
cette immense armée va lutter bataillon par bataillon. On pourrait croire qu’il
existe des centrales syndicales pour empêcher seulement la centralisation des
luttes. Ces mêmes centrales qui refusent de coordonner, s’opposent férocement à
la constitution d’un comité central de grève.
Nous
allons voir que là ou les ouvriers sont très combatifs, les directions
syndicales joueront presque les « gauchistes » et donneront une leçon
de dignité aux palabreurs de Grenelle. Ainsi, dans l’éclairage :
« La CGT quitte la salle :
Nous reviendrons lorsque des propositions concrètes seront faites. »
Humanité 29 Mai.
A
la SNCF :
« Le ministre n’à pas de
pouvoirs suffisants pour nous répondre. »
Humanité du-29 Mai, page4.
Par
contre, là où la combativité est moins grande, les directions syndicales sont
prêtes à casser le front de grève en feignant d’avaler les promesses les plus
éhontées. Les arsenaux ne feront que 15 jours de grève et c’est en fin juillet
qu’on entendra les récriminations contre les autorités qui ne tiennent pas
leurs promesses. Pourtant, les centrales syndicales savent fort bien que la
reprise en un point pèse dangereusement sur ceux qui luttent en un autre point.
« Mineurs : Il est
certain que leur jugement sera influencé par l’état de la lutte dans les autres
secteurs de l’économie. » L’Humanité 29 Mai, page4.
Mais,
en ce lendemain de Grenelle, il n’est pas question de reprise et Le Figaro du
28 Mai s’interroge :
« Il semble difficile,
cependant, d’imaginer à court terme une CGT entièrement débordée.
Elle emballera s’il le faut sa
monture, comme dit le proverbe, afin de la maîtriser. »
Pompidou
s’empresse de réclamer des votes à bulletin secret dans chaque usine :
« C’est le seul moyen de
connaître la pensée véritable des ouvriers en grève. »
Quant
à leur pensée sur l’Échelle mobile et les 40 h, nous avons vu que Pompidou ne
se souciait pas de la connaître.
Voix
Ouvrière souligne :
« Le référendum avait pour but
de faire dévier sur le plan électoral la lutte qui se déroulait dans la rue ou
dans les usines. Il rate complètement.
Les grandes formations politiques
de la gauche : FGDS et PCF acceptent pourtant tout de suite que le combat
soit transféré sur ce terrain. Malgré leurs dénonciations indignées de la
manoeuvre gaulliste, aucune ne conclut à la nécessité de refuser le référendum,
de le boycotter. Dés la déclaration de De Gaulle, elles appellent à voter
« Non » et elles continueront jusqu’à ce que De Gaulle lui-même,
constatant le boycott de fait et l’échec de l’opération, décide de l’ajourner. »
Lundi
27 mai
La
CGT appelle à 12 manifestations dans Paris.
L’UNEF
décide un meeting à Charléty. Le gouvernement lance une campagne d’intoxication,
laissant entendre qu’il y aura des groupes armés qui se livreront à des
provocations. Visiblement, il prépare l’opinion à une éventuelle attaque
policière et veut dissuader le maximum de gens de manifester.
Le
cortège de l’UNEF démarre aux Gobelins. Cinquante mille personnes défilent en
bon ordre à travers Ivry jusqu’au stade de Charléty. Manifestation toujours
dynamique qui scande : « Ce n’est
qu’un début. Continuons le combat », et sur l’air de Pin Pon : « Séguy trahit, Séguy trahit ! »,
« Nous sommes tous des juifs allemands ! », « La pègre, c’est
nous ! »
La
grande masse des manifestants n’apprendra que tard la présence de Mendès-France
au stade. Ses partisans l’ont pressé de prendre la parole. Il s’y est refusé,
disant que c’était un meeting syndical. En fait, des militants politiques ont
parlé. La vraie raison de Mendès-France est ailleurs. Il avance prudemment ses
pions. Il spécule sur le discrédit croissant du PCF, mais en dépit du fait que
le PSU a une audience accrue, il existe maintenant une extrême gauche qui n’est
pas prête à avaler des couleuvres. Mendès-France habitue les jeunes et les
étudiants à sa présence, mais il va laisser Mitterrand parler de lui.
Voix
Ouvrière souligne :
« Dans le futur gouvernement
il faudra quelqu’un capable d’en imposer aux jeunes forces révolutionnaires. C’est
ce rôle que se prépare à jouer noblement et en toute simplicité Mendès-France.
D’autres l’y aident d’ailleurs. Descamps le désigne ouvertement comme le favori
de la CFDT en cas de vacance gouvernementale. »
L’Humanité
du 28 Mai, apparemment désolée de constater que la « pègre » peut
participer calmement à une vaste manifestation, note :
« Au meeting du stade
Charléty, si l’ordre régnait, la peur du désordre était dans bien des
cœurs. »
Mardi
28 mai
Mitterrand
annonce qu’il est candidat à la présidence si les « non » l’emportent
au référendum, mais il suggère à Mendès-France de prendre la tête d’un
gouvernement provisoire.
De
la Bastille à St Lazare, 5 à 800 000 travailleurs et de nombreux étudiants
défilent. Le mot d’ordre PCF-CGT est « Gouvernement populaire ». On
entend aussi « De Gaulle démission ! »,
« De Gaulle à Colombey ! » « Nationalisez Citroën ! »
« La police n’est pas visible.
Pourtant une voiture avec 4 policiers en uniforme veut aborder la place.
Fermement et calmement, le service d’ordre lui fait signe de se détourner. La
voiture obéit et disparaît. » L’Humanité du 30 mai.
De
Gaulle fait de même. Pendant une courte période, les plus lucides voudront
croire qu’il s’est abîmé dans le chagrin :
« Plusieurs députés UD 5éme,
en quittant la réunion de leur groupe font triste mine. Ce qui ne les empêche
pas de dire en aparté : « On nous a donné la consigne. Gardez le
sourire. » L’Humanité du 30 mai.
L’UNEF
est tombée dans un piège et a refusé de participer à une manifestation dans
laquelle elle aurait pu, aussi bien que le 13 Mai, jouer un rôle très
important.
« Aujourd’hui les directions
CFDT et FO prétextant que l’UNEF ne s’y associe pas, n’ont pas appelé à
manifester. La direction de l’UNEF, tout en ayant raison d’exiger que la
direction CGT retire ses accusations d’irresponsabilité et qu’elle accepte les
luttes des étudiants sur des mots d’ordre étudiants, aurait du comprendre que
notre place est aux cotés des travailleurs quelque soient les erreurs des
directions syndicales qui les appellent à descendre dans la rue. » (Comité
d’Action de l’enseignement préparatoire à la recherche en sciences sociales. 29
Mai)
« Si l’UNEF avait jamais eu
une chance de faire pression sur la CGT durant ces journées -et reconnaissons
que de toute manière, cette chance n’était pas grande - elle l’a gâchée par ce
refus. » Voix Ouvrière.
Dans
un tel moment, la tactique du « mouvement du 22 mars » ne suffit
plus, et l’absence d’un fort parti révolutionnaire se fait cruellement sentir.
La
droite prépare la mobilisation de ses fidèles qui s’apprêtent à venir en cars
de toute la province. Elle prépare aussi la mobilisation des authentiques
truands dont les affaires périclitent depuis un mois et qui n’ont rien à
refuser à la police. Tous ceux là vont constituer les « Comités d’Action
Civique » avec pistolets, mitraillettes et port d’arme. Ceci se manigance
dans un silence interrompu par la déclaration de Mendès-France :
« Il faut un gouvernement
orienté vers une société plus juste, plus socialiste. Je ne refuserais pas les
responsabilités qui pourraient m’être confiées par l’ensemble de la
gauche. »
Il
faut certainement en déduire que Mendès-France veut former son gouvernement
comme il l’entend. Aussi, le PCF réplique :
« La classe ouvrière ne se
satisfera pas de l’intronisation d’un nouveau sauveur, l’un suivant l’autre. »
Et
appuie ses propos par un titre qui sera le dernier dans le genre :
« Grève : Nouveau
renforcement. » L’Humanité du 30 Mai.
Ce
qui ressort de plus clair pour le grand public, c’est que la gauche « officielle »
n’est même pas d’accord pour se partager la peau d’un ours qui n’est pas encore
mort.
De
Gaulle rentre de sa tournée des popotes. Il a été s’assurer d’un éventuel appui
militaire en échange d’une amnistie pour les officiers O.A.S.
« Je dissous aujourd’hui l’Assemblée
Nationale... Les élections législatives auront lieu dans les délais prévus par
la constitution, à moins qu’on entende bâillonner le peuple français tout
entier en l’empêchant de s’exprimer en même temps qu’on l’empêche de vivre, par
les mêmes moyens qu’on empêche les étudiants d’étudier, les enseignants d’enseigner,
les travailleurs de travailler. Ces moyens, ce sont l’intimidation, l’intoxication
et la tyrannie exercée par des groupes organisés de longue main et par un parti
qui est une entreprise totalitaire même s’il a déjà des rivaux à cet
égard. »
De
Gaulle s’engage dans une partie de poker. Il sait que le mouvement populaire
peut prendre le pouvoir et que ce pouvoir ne pourrait lui être repris qu’au
prix d’une difficile guerre civile à l’issue incertaine et qui laisserait, en
tous cas, l’économie nationale fort diminuée.
Mais
il connaît aussi sur le bout des doigts sa « gauche officielle ».
Il
sait qu’elle ne veut pas prendre le pouvoir et qu’elle va se jeter avec
frénésie sur l’appât des élections.
Il
sait également que pour aller à ces élections, le mouvement ouvrier « officiel »
va tout faire pour liquider les grèves sur la simple base de Grenelle que tous
les grévistes ont vomi.
Il
sait encore que cette « gauche officielle » ne peut gagner des élections
après avoir fait avorter un mouvement de dix millions de grévistes.
Il
sait enfin (et il n’est pas le seul) à quel point le système électoral français
est truqué. Inutile d’attendre la fin juin pour savoir qu’il faut 130 000 voix
pour un élu PCF et 27 000 pour un UNR.
Quoi
de plus délicieux que de transposer un débat sur un terrain où deux millions de
jeunes combatifs auront le droit de se taire et où un couvent de religieuses
cloîtrées pèse autant que les piquets de grève de Renault.
De
Gaulle attaque violemment un PCF dont il connaît pourtant fort bien la
modération. Il agit ainsi, non pour le plaisir pervers qui consiste à traiter
de calotin un curé défroqué, mais parce qu’il joue gagnant sur deux tableaux.
D’abord,
sachant qu’un salarié sur quatre est potentiellement « gauchiste »
dans un moment où tous viennent de repousser les accords de Grenelle, il est
bon de donner au PCF un certificat de « subversion ». Cela ne peut
que l’aider à faciliter la reprise du travail face aux critiques « gauchistes ».
On voit mal devant les ouvriers de Renault, un Séguy dont De Gaulle aurait loué
l’esprit de collaboration.
Enfin,
faisant d’une pierre deux coups, il démolit pour le moment des élections, un
PCF qui, non content d’être totalitaire n’a même pas été capable d’assurer la
victoire ouvrière.
A
la vérité ce discours de De Gaulle ne manque pas d’habileté et dut avoir pour
conseillers quelques gaullistes « de gauche » !
Voici
donc un PCF assez gêné. Il n’a pas stigmatisé les « pseudos révolutionnaires » pour dire, à présent, que
lui n’est pas un vrai.
Toute
sa tactique va consister à répéter inlassablement que c’est celui qui propose
des élections qui n’en veut pas car il est sûr de les perdre. De Gaulle veut la
guerre civile et, le meilleur tour à lui jouer, c’est d’aller gentiment aux
élections que nous sommes sûrs de gagner. Ce sadique veut nous violer.
Déshabillons nous volontairement. Nous déjouerons ainsi ses plans. Car un
sadique qui se respecte ne peut admettre le consentement.
Avec
son talent habituel, René Andrieu explique cela dans l’Humanité du 31
Mai :
« Comme le chef de l’État
aurait été heureux, on le devine, si nous étions tombés dans les pièges que
nous tendaient obligeamment ses honorables correspondants du ministère de l’Intérieur.
Comme il aurait aimé que les
ouvriers dans les usines ou les manifestants dans les rues, au lieu de faire
preuve d’un extraordinaire sang froid, aient incendié quelques voitures ou
dressé quelques barricades. »
« Si le mot d’ordre de grève
se maintient, il choisira « d’autres voies que le scrutin immédiat du
pays » Le chantage à la dictature ouverte est parfaitement clair. La
promesse d’un scrutin semble ici servir d’alibi. »
Déclaration
du BP du PCF :
« De Gaulle annonce son
intention de procéder à de nouvelles élections. Le PCF n’avait pas attendu ce
discours pour demander que la parole soit donnée au peuple dans les plus brefs
délais. Il ira à cette consultation en exposant son programme de progrès social
et de paix. »
Communiqué
de la CGT
« La reprise du travail dépend
de la reprise des négociations sur des bases susceptibles de convenir aux
travailleurs en lutte légitime. La responsabilité en incombe au gouvernement et
au patronat. »
Communiqué
CFDT
« La CFDT refuse le dilemme
qui lui est proposé : Soumission ou guerre civile. »
Comment
s’amorce une reprise.
Témoignages
sur Peugeot :
« Vendredi 17 Mai, il était
évident que l’usine de Sochaux allait débrayer. Obéissant aux instructions
centrales, les directions syndicales utilisèrent le week-end pour s’élirent elles-mêmes :
Comité central de grève.
Lundi 20 Mai, la grève fut décidée.
Dans chaque atelier un comité de grève fut élu par les ouvriers. Les délégués
de ces comités se réunissaient régulièrement avec le « comité central de
grève » non élu par les grévistes.
Au début, l’aspect anormal de cet
organisme ne choqua pas les travailleurs.
Après les entretiens de Grenelle,
il devint de plus en plus clair que si les délégués d’atelier étaient l’expression
des ouvriers, par contre, le comité central était l’expression de Séguy et Cie.
Pour de nombreuses tâches
pratiques, les comités d’atelier prirent les initiatives : (Piquets de grève.
Défense contre les harcèlements gaullistes). Mais pour les grandes décisions (entretien
avec les patrons, etc.) le « Comité central » bénéficiait en quelque
sorte de la « légalité » bourgeoise.
Après le discours de De Gaulle
promettant des élections, les directions syndicales s’orientent vers la
reprise.
Dans l’espoir d’accélérer le
mouvement, le patronat organise un vote secret le 4 Juin.
11 000 votants sur 26 000 salariés,
avec, cela va de soi, une majorité pour la reprise.
Mais les directions syndicales qui
n’apprécient pas d’être doublées ont déclaré le vote nul et non avenu. La grève
continue.
Mais le 12 Juin, sans que le patron
ait lâché quoi que ce soit de plus, sans consulter les assemblées d’atelier au
préalable, les directions syndicales organisent un vote encore plus bâclé que
celui du patron : 5284 votants ! Majorité de 49 voix pour la reprise.
La direction CFDT se rallie à la reprise. Les travailleurs les plus combatifs
sont placés devant le fait accompli. Ils crient leur indignation et conspuent
la direction syndicale. Mais la masse des ouvriers est désemparée.
Dès le lendemain, dimanche, un
millier de cadres prépare la reprise. Des peintres enlèvent les inscriptions
sur les murs. Tout parait fini.
Lundi, reprise agitée. Discussions
nombreuses. Dés 8h les ouvriers de carrosserie débrayent et parcourent en
cortège toute l’usine qui débraye. La réoccupation est votée. Les travailleurs
exigent que les délégués élus dans chaque atelier fassent partie du comité
central.
Les directions syndicales boudent.
Le patron qui le sait, déplore officiellement que la grève recommence sous l’impulsion
« d’éléments incontrôlés. »
Dans la nuit qui suit, les CRS
attaquent. Il fallut encore huit jours après la répression sanglante pour que
les syndicats, ayant obtenu un nouveau minimum de concessions puissent procéder
à un nouveau vote. Sur 18162 Votants : 15381 pour la reprise, 2683 contre.
Le travail reprend le 20 Juin. »
La
manifestation gaulliste organisée sur les Champs Elysée rassemble un nombre
important de cadres, de petits bourgeois, de militaires de carrière et toutes
les professions qui vivent du tourisme, à Pigalle entre autres.
Cette
foule qui unit gaullistes et OAS crie « CRS
courageux » au passage des matraqueurs. C’est là aussi qu’on entendra « Cohn-Bendit à Dachau ! »
Cette
foule ne pèse pas lourd quand il s’agit de bâtir des maisons, de faire rouler
des trains ou de travailler sur les machines outils... mais électoralement,
elle compte.
Au
lendemain de ce défilé, un appel des syndicats rassemblerait deux millions de
travailleurs combatifs au coeur de Paris. Mais il n’y aura plus d’appel avant
les élections. Il n’y aura plus une seule grande manifestation des syndicats.
Il y aura, par contre, des appels répétés « N’allez pas aux manifestations
de l’UNEF ! »
1er
Juin.
Déclaration
du BP du PCF :
« Le général De Gaulle a
menacé d’employer d’autres voies que le scrutin affirmant qu’il était prêt à
utiliser tous les moyens. Il redoute le verdict de la Nation. Il
cherchera tous les prétextes, y compris la provocation, pour bâillonner le
peuple, le priver de la possibilité de s’exprimer par le suffrage universel et
imposer sa dictature. »
René
Andrieu écrit dans l’Humanité du 01 Juin
« Tout se passe comme si le
pouvoir, redoutant le verdict des électeurs, était à l’affût d’une
provocation d’envergure pour instaurer une dictature ouverte. Les travailleurs
ne tomberont pas dans le piège. »
Notons
à la lecture de ces multiples textes affirmant que le pouvoir redoute les
élections qu’il est toujours implicitement supposé que ce pouvoir n’aurait
aucun mal à établir sa dictature contre dix millions de grévistes.
Chaque
matin, à grands coups d’articles l’Humanité fabrique un complexe d’infériorité
chez les salariés.
L’histoire
prouve qu’un pouvoir qui aspire à la dictature (curieuse formule d’ailleurs) n’a
aucun mal à fabriquer la provocation appropriée.
Mais,
ce que disent les partis de gauche est une chose. Ce que vont dire les
syndicats est, en principe, autre chose...
N’oublions
pas que selon Séguy :
« La CGT monte la garde autour
des revendications et a les moyens de les défendre. »
N’oublions
pas Frachon parlant de l’importance capitale de l’Échelle mobile des salaires.
N’oublions
pas, enfin, que ces deux hommes ont souvent manifesté leur intention de ne pas
sacrifier les revendications à des perspectives politiques « vagues »
où « chacun met ce qu’il veut ». Et c’est bien le cas des élections en
régime capitaliste.
Or,
dans l’Humanité du 1er Juin, Séguy annonce :
« La CGT déclare qu’elle n’entend
gêner en rien le déroulement de la consultation électorale. C’est l’intérêt des
travailleurs de pouvoir exprimer dans le cadre des élections leur volonté de
changement. »
Ça
n’est pas l’intérêt de 2 millions de jeunes ni de 2 millions de travailleurs
émigrés qui n’ont pas le droit de vote. Mais cela, on l’oubliera jusqu’au
lendemain des élections. On oubliera aussi l’Échelle mobile et les 40 heures.
Les
revendications deviennent une peau de chagrin qui n’entraîne pas « d’exigence
révolutionnaire. » Et, tout doucement, on commence à pousser sur le wagon
de la reprise :
« La C.A. de la CGT constate
que depuis hier, les discussions engagées à l’échelle nationale avec les
organisations patronales ont sensiblement progressé sauf dans quelques une d’entre
elles. »
« La C.A. rappelle également
le ferme attachement de la CGT à la garantie du pouvoir d’achat des
rémunérations qui doit être assuré en particulier par des mesures propres à
lier l’évolution des salaires à celle des prix. » L’Humanité du 1 Juin,
page 5.
Ce
sera, jusqu’aux élections, la dernière allusion à l’Échelle mobile qui n’est
pas nommément citée.
Et
sous l’effet bénéfique du discours de De Gaulle, tout semble aller mieux sur le
plan revendicatif.
Page
6. Un titre :
« Faire tomber les derniers
obstacles à la négociation. »
« Bâtiment. Résultats dans le
chauffage. »
« Textile naturel. Des
concessions. »
« Cuirs et peaux. Discussion
avancée dans la chaussure. Accord à la SNPA. »
Le
comité de coordination pour un mouvement révolutionnaire (Avec Vigier, JCR, PCI,
etc.) lance un appel :
« Travailleurs, étudiants, il
ne faut pas céder.
Après la déclaration de De Gaulle,
la situation est claire. L’Etat bourgeois ne peut résister qu’en brisant le
mouvement de grève. Quelles sont ses armes ? Le chantage à la guerre civile. Le
mirage des élections.
Travailleurs, les élections sont un
piège. Elles n’ont d’autre but que de faire cesser la grève.
Que veulent les travailleurs ?
Ils savent que la satisfaction de leurs revendications est impossible dans le
régime actuel. Il faut donc que ce régime tombe. »
La
Cause du Peuple (Maoïste) écrit :
« La dictature gaulliste et
les directions confédérales se partagent le travail. D’un coté, l’agression
directe des milices armées du grand capital, de l’autre la démobilisation
organisée, le dévoiement des luttes sur le terrain pourri du Parlement, là où
la grand capital est le plus fort. »
Déclaration
du Parti Communiste Internationaliste (4ème Internationale) :
« Il est absurde de prétendre
relever le défit gaulliste sur le terrain électoral qu’il impose sous la menace
militaire. Le combat se livre dans les usines et dans la rue. »
Le
1er Juin, à l’appel de l’UNEF et des organisations d’extrême gauche, 40 000
personnes manifestent de la gare Montparnasse à la gare d’Orléans
Austerlitz :
« Ce n’est qu’un début, continuons
le combat ! ». « Élections : Trahison ! »
Avec
une discipline extraordinaire, ces colonnes « d’enragés » observent
un silence total en passant devant un hôpital, Boulevard Port Royal. Elles
poussent même la grandeur d’âme jusqu’à observer le silence en passant devant
la maison de santé des gardiens de la paix.
Après
une prise de parole devant la gare d’Orléans Austerlitz, plusieurs milliers de
jeunes se rendent à la faculté des sciences où va se tenir un meeting pour la
constitution d’un mouvement révolutionnaire. D’autres groupes se rendent devant
Citroën et Renault. Dans les usines, les dépôts, les militants d’extrême gauche
appellent les travailleurs à ne pas céder devant les campagnes d’intoxication
de la grande presse. Les revendications sont rappelées : 40 heures.
Echelle mobile, etc.
La
quasi totalité des quotidiens, de la gauche à la droite pousse à la reprise. La
radio pousse à la reprise.
Face
à ce déluge, quelques petits journaux, quelques tracts et le dévouement de
milliers de jeunes souvent attaqués par des groupes gaullistes dans la rue et
par des permanents PCF devant certaines usines. Et le grand mouvement tiendra
encore trois semaines.
Dimanche
2 Juin.
Les
grévistes réoccupent les gares de Strasbourg et de Mulhouse. Négociations
difficiles dans les transports et la métallurgie. Un certain nombre de cadres
gaullistes organise des manifestations pour la reprise. Ceci entraîne un
nouveau raidissement des travailleurs, y compris, parmi ceux qui ont confiance
en Séguy.
4
Juin. Gros titre dans l’Humanité :
« Gouvernement et patronat
prolongent la grève dans des secteurs importants. » page 6.
« Chez Renault, la Direction
et le gouvernement patron seuls responsables de la poursuite du conflit. »
A
la vérité, le gouvernement s’en tient aux accords de Grenelle. La grève dure
parce que les travailleurs repoussent avec juste raison ces accords.
L’intérêt
des titres ci-dessus, c’est qu’ils permettent de présenter la reprise comme un
bon tour joué à l’État et aux patrons.
Page
5. Henri Krasucki déclare :
« Les travailleurs n’ont aucun
désir de prolonger une grève sans motifs.
Les travailleurs qui ont obtenu satisfaction
décideront en bon ordre de la reprise du travail »
« Sans
motif ! » Qu’est devenu le « profond attachement à l’échelle
mobile » ?
« La CGT appelle la population
et la classe ouvrière à une vaste solidarité matérielle pour ceux qui sont
contraints de poursuivre leur mouvement. »
Contre
le fleuve de l’unité dans l’action... le canal des quêtes !
Page
4 :
« Des commandos factieux
attaquent les piquets de grève. A St Denis SNCF, à l’EDF de St Ambroise, à l’usine
Neumann de Croissy. »
La
contre attaque électorale s’élabore difficilement :
« Le conseil national de la
SFIO regrette que le PCF n’ait pas retenu l’idée d’une candidature
unique. »
5
Juin.
La
reprise ne se fait pas assez vite. La presse bourgeoise aiguillonne les
directions syndicales en les soupçonnant injustement de noirs projets.
Le
Figaro :
« La CGT joue t-elle un double
jeu destiné à déplacer les événements actuels du plan syndical au plan
politique ? »
« Sommes nous en présence d’une
tentative délibérée de sabotage de la prochaine consultation électorale ?
Au profit de qui ? »
Paris-Presse :
« Le refus de la reprise...
risque t-il d’empêcher les élections générales ? Le rôle du PCF n’est pas
net et plusieurs observateurs se demandent aussi ce que veut exactement la
CGT. »
Ces
ignobles font semblant de ne pas comprendre qu’on ne peut pas faire oublier du
jour au lendemain les 40 h et l’Échelle mobile. Pourtant l’Humanité fait tout
son possible :
Page
3. Gros titre :
« Gaziers et électriciens ont
signé leurs succès. »
Pendant
ce temps, page5 :
« La police qui avait investi
lundi soir le centre de chèques postaux de Lyon a renouvelé cette opération
mardi à 15 h à l’inter téléphonique »
« A l’usine Paris Rhône de
Lyon, coup de main effectué par un groupe « d’action civique ».
Plusieurs ouvriers du piquet de grève sont blessés. »
Mais
la contre-attaque se prépare avec des bulletins de vote.
Le
BP du PCF déclare :
« La question qui est posée
devant le pays n’est pas gaullisme ou communisme, mais dictature ou
démocratie. »
Cependant,
page 7, une petite phrase qui devrait entraîner des déductions :
« Parce que le gaullisme a
peur, deux millions et demi de jeunes n’auront pas le droit de vote. »
Avant
même que le jeu de dames des élections commence, l’ennemi nous souffle une
rangée. On devrait, au moins, préciser les conditions du jeu avant d’accepter
la partie. Pas du tout, on va jouer quand même... et faire croire qu’on peut
gagner.
6
Juin
« Le bureau confédéral de la
CGT estime que partout où les revendications essentielles ont été satisfaites,
l’intérêt des salariés est de se prononcer en masse pour la reprise du travail
dans l’unité. »
Bien
que n’ayant pas, comme a dit Séguy, donné un ordre de grève générale, il ne
puisse donner un ordre de reprise, ça le démange drôlement.
Notons
encore que les 40 h, l’Échelle mobile et l’abrogation des ordonnances ne font
plus partie des revendications essentielles.
« Toute autre attitude
fournirait à De Gaulle le prétexte qu’il attend, qu’il espère, pour éviter la
consultation du peuple. »
Autrement
dit, il faut rentrer à tout prix et même à n’importe quel prix !
L’Humanité
du 6 Juin :
« Sidérurgie : Rentrée
générale sous le signe d’un succès sans précédent. »
Page
1. Gros titre :
« Cheminots, RATP, Postiers,
mineurs, EGF, etc : Reprise victorieuse du travail dans l’unité. »
Le
très réactionnaire Parisien Libéré s’associe à la joie :
« Quatre bonnes nouvelles.
Reprise du travail à la RATP, la SNCF, les PTT et les Services municipaux. »
Tandis
que Le Figaro daigne donner un certificat de bonne conduite :
« La CGT montre qu’elle sait
ne pas céder aux gesticulations révolutionnaires !»
En
effet. Sous le titre « Vigilance »
l’Humanité du 6 Juin :
« Des groupes gauchistes, le
plus souvent étrangers au personnel des entreprises interviennent avec violence
pour s’opposer à la volonté des travailleurs de reprendre le travail là ou les
revendications sont satisfaites. »
Quand
on regarde les choses de plus près, on ne retrouve pas l’enthousiasme des gros
titres :
page4 :
« Les cheminots l’ont emporté
sur le pouvoir. La semaine tombera à 44 h30 en juillet. Salaires relevés de
10,2 à 16 %.
Il est vrai qu’une certaine
méfiance se manifeste par exemple contre le gouvernement. Qui s’en étonnerait ?
Les cheminots ont été si souvent roulés par le pouvoir gaulliste.
Mais, en ayant, avec les autres
grévistes, obligé le gouvernement à recourir à des élections, ils se sont
ménagé une nouvelle chance de voir garanti ce qu’ils viennent d’obtenir par la
lutte. »
« Pour garder toutes ses chances
pour la deuxième manche, celle qui se jouera le 23 Juin avec les cartes d’électeurs,
il faut que la reprise s’effectue aussi avec la même unanimité. »
Voyons
un peu plus dans le détail la reprise dans une grande gare vue par « La
Vie Ouvrière » N° 1241. Héliogravure du 12Juin.
Gare
St Lazare. André Argalon secrétaire général adjoint de la fédération CGT
explique comment a tourné la discussion :
« Si, au cours de la nuit,
nous avons pu obtenir des reculs du gouvernement, nous le devons pour une part
essentielle aux gaziers électriciens (les applaudissements crépitent) qui, dans
la journée d’hier sont allés contacter des camarades de nombreux centres et
leur ont communiqué qu’ils ne reprendraient pas le travail tant que les
cheminots n’obtiendraient pas des satisfactions sensiblement égales aux leurs... »
« Un cheminot arrive, envoyé
de Pontoise par l’ensemble de ses camarades.
« Rappelez vous, dimanche,
nous pensions que le gouvernement voulait nous laisser seuls, et les gaziers
électriciens et les postiers nous ont aidés en poursuivant le mouvement. C’est
pour ça que nous pensons qu’il nous fait aider maintenant les métallos. »
« On lui répond :
« C’est une bonne réaction des copains de Pontoise. Si tous les cheminots
se déclarent d’accord pour terminer la grève, alors, il nous faudra tous aider
pour que les métallos ne manquent de rien, ni leurs familles, ni leurs gosses. »
« Oui, c’est ça. Et maintenir
l’unité. Car la lutte continue. Et il y a autre chose à gagner maintenant. De
Gaulle et son pouvoir à battre aux élections. C’est cela qu’il faut. »
Pas
du tout gênés par la solidarité financière, les commandos gaullistes continuent
leur guerre de harcèlement. Chez Peugeot, ils lancent des grenades offensives
en direction des piquets de grève contre les grilles de l’usine.
« Le
personnel municipal d’Orly exige la dissolution du Comité d’Action Civique. »
L’Humanité
du 6 Juin qui consacre trois pages à la préparation des législatives et qui,
dans le cadre de cette préparation publie une lettre d’un militant PCF à
Étienne Fajon :
« Il convient selon moi -et
notre journal pourrait l’écrire- que, dans nos cortèges, la Marseillaise soit
davantage associée à l’Internationale, que les drapeaux tricolores se mêlent,
plus nombreux, aux drapeaux rouges. »
Aveu
que, jusqu’à ce jour, les militants PCF eux mêmes, avaient tendance à faire du « Gauchisme »
L’Internationale
est le chant de l’attaque.
La
Marseillaise, celui de la retraite.
7
Juin.
Communiqué
de la CGT. :
« Les éléments les plus
réactionnaires du patronat obligent à la prolongation des grèves ...et agissent
en véritables provocateurs.
L’intervention brutale de la police
à Flins indique une volonté de vengeance insupportable contre ceux qui
ont donné le signal de la grève générale. Le Bureau Confédéral en appelle à l’opinion
publique toute entière. »
La
Fédération des métaux :
« Elève la plus véhémente
protestation. Elle félicite les militants qui, par leur sang froid, n’ont
pas répondu à cette scandaleuse provocation. Elle exige le retrait
immédiat des forces policières. Elle appelle tous ses militants à exprimer
leur indignation. »
L’Humanité
du 7 Juin relate :
« Provocation organisée à
Flins par la direction Renault. Elle a fait investir l’usine. C’est seulement
grâce au sang froid des responsables des piquets de grève que l’affrontement
put être évité. Très dignement, les travailleurs sont sortis de l’usine. »
Nous
venons de lire les mots « insupportable », « véhémente
protestation », « exige »,
« retrait
immédiat ». Nous croyons connaître le sens des termes. Continuons la
lecture.
« La fédération des métaux CGT
a été sollicitée par la fédération CFDT pour organiser des manifestations, d’une
part devant le siège de la fédération patronale de l’automobile, d’autre part,
devant le siège de l’union des industries métallurgiques et minières.
Dans les circonstances présentes,
elle ne peut être d’accord avec de telles propositions qui, décidées pour le
moins précipitamment, font preuve d’une certaine fébrilité et laissent libre
champ à toute provocation. » Humanité du 7 Juin.
Plusieurs
milliers de métallos soutenus par des étudiants manifestent cependant, rue de
Presbourg. Quelques heurts se produisent avec un groupe de parachutistes
gaullistes. Ce jour, le gros titre de l’Humanité en page 1 :
« Forts de leur victoire, des
millions de travailleurs ont repris le travail. »
Et
René Andrieu note :
« Le chef de l’État a intérêt
à ce que la reprise s’effectue dans le désordre. »
En
fait, le chef de l’État a intérêt à une capitulation ouvrière. Dans ce but, il
est prêt à aller jusqu’à un certain « désordre » sachant que c’est
celui qui a peur du « désordre », qui sera finalement battu.
8
Juin.
Des
milliers d’étudiants marchent sur Flins.
« Sous le prétexte mensonger -
d’aider les ouvriers -, des commandos dirigés par Alain Geismar ont ouvertement
provoqué des heurts, fournissant ainsi à la police gaulliste l’occasion d’une
intervention. » L’Humanité, page1.
Notons :
a) Que ce sont les commandos de Geismar qui ont
attaqué la police.
b) Le fait que cette même police ait, la veille,
chassé les piquets de grève, ne constituait pas une « intervention. »
« Ces aventuriers donnent au
gouvernement de nouveaux moyens de chantage à la guerre civile, à la veille de
la consultation électorale. La classe ouvrière, les étudiants, tous les
démocrates ne peuvent tolérer les agissements de ces provocateurs. »
« L’Union CGT de la Région
parisienne appelle les travailleurs à intervenir vigoureusement contre toute
tentative de dévoyer le mouvement ouvrier. » page 1.
Jusqu’à
ce jour, il était habituel d’accuser les « gauchistes » de faire le
jeu de la police. Une nouveauté surgit. La police est accusée de faire le jeu
des « gauchistes » ; De là, à penser qu’elle n’est pas
sincère !
Page 8 : « L’USTM-CGT s’élève
avec force contre l’envoi des forces de police aux portes des usines...Leur
présence offre à des éléments incontrôlés, des prétextes pour tenter de
détourner les travailleurs de leur objectif réel qui est la satisfaction des
revendications. »
« Depuis le matin, les groupes
Geismar ont rallié Flins, contournant ou franchissant les barrages que la
police dit avoir mis en place sur certaines routes.
Le représentant de Geismar qui s’est
imposé à la tribune (d’un meeting de 3000 travailleurs) prétend vouloir aider
les ouvriers à « reprendre l’usine ». Les ouvriers ne lui ont rien
demandé et des protestations fusent dans l’assistance. »
« Imposé
à la tribune » Quand on connaît le profond respect des bureaucrates
syndicaux pour la liberté de parole, c’est assez étrange.
Voici
un extrait de l’appel des « commandos de Geismar » :
« Etudiants, enseignants,
travailleurs, formons une large union populaire derrière les ouvriers de Flins.
Contactez le comité d’action de
votre quartier. Toutes les voitures, cars et camionnettes sont nécessaires.
Mettez-les à la disposition de
tous. Tous devant l’usine à partir de 4 h 30 du matin. »
Comité de coordination des comités
d’action.
Extrait
de « Tribune du 22 Mars » 7 Juin :
« Flins. 1 h 30 du matin :
L’autoroute après le tunnel :
Une centaine de camarades sont arrêtés par les flics. 5h du matin. Lorsque nous
sommes arrivés, il n’y avait là que 30 jeunes ouvriers appartenant à la CGT
mais agissant de leur propre initiative pour empêcher la reprise du travail.
Les grévistes et les étudiants ont
expliqué aux ouvriers dans les cars qu’il n’y avait pas à se laisser intoxiquer
par la radio. Flins ne reprendra pas si les travailleurs de Flins ne reprennent
pas.
…Les ouvriers sont presque tous
descendus des cars pour se joindre aux grévistes et aux étudiants. Ainsi, grâce
aux grévistes et aux camarades étudiants, l’opération du gouvernement a échoué.
Pour tous ceux qui étaient sur
place, il est clair que ce ne sont pas les organisations syndicales qui sont
responsables de cette victoire, mais les jeunes ouvriers et les
étudiants. »
« 8 h du matin. Le meeting
organisé par la CGT et la CFDT place des Mureaux, en diversion, n’a réuni que
50 permanents. Pour les ouvriers, le lieu du combat se trouve devant l’usine et
non à 6 km. Les permanents ont donc été obligés de ramener le meeting près de l’usine,
place de l’Étoile à Elisabethville. 2 à 3000 participants. Discours des
représentants syndicaux : Ne pas tomber dans la provocation. Il faut que
nous nous rencontrions cette après-midi pour discuter éventuellement d’une
manifestation unitaire dans la journée de lundi. Ne pas céder aux provocations…
Les ouvriers réclament avec insistance que les étudiants parlent au meeting. Un
responsable syndical reprend le micro : « Le meeting est fini.
Dispersez vous ! »
Cris : « Geismar ! Laissez
parler Geismar ! Démocratie ! »
Geismar prend le micro :
« Nous ne venons pas vous donner des leçons. Nous sommes avec vous pour la
solidarité concrète. Vous luttez comme une partie des étudiants pour renverser
le régime capitaliste. Nous, étudiants, avons montré qu’on pouvait faire
reculer les CRS. Nous sommes avec vous jusqu’à ce que vous réoccupiez vos
usines par des grèves de solidarité »
Un jeune travailleur de Flins
propose d’organiser l’occupation devant l’usine, avec ravitaillement, dortoirs,
etc, pour obliger les CRS à dégager l’usine. Il entraîne un groupe de
camarades. C’est ce groupe qui est attaqué par la police à coups de grenades
offensives à forte cadence. Grenadage quasi-interrompu de 10h30 à 11h.
Des responsables CGT
interviennent : « Camarades, nous allons envoyer une délégation. Pas
de violences ! » « A une provocation, on répond par une
manifestation pacifique ! ». Charges et grenadages. Les responsables
se sauvent.
On exhibe un homme, en complet,
avec rosette de la Légion d’honneur. C’est le maire des Mureaux. Il va essayer
d’intervenir. Charge. Il fuit avec les autres.
Les ouvriers
crient maintenant : « CRS, SS ». Toute la journée bagarres.
Nombreux jeunes ouvriers et étudiants le visage en sang. Le travail n’a pas
repris.
Ce seul jour, ou plutôt cette seule
nuit, sur l’autoroute de l’Ouest, près de 400 jeunes qui marchaient sur Flins
ont été matraqués et arrêtés par la police. »
Reprenons
l’Humanité du 8 Juin.
« Des premiers heurts se
produisent entre le groupe de ceux qui se disent étudiants et la police.
Petit à petit les grévistes rentrent chez eux. Vers midi il en reste peut-être
1500 devant l’usine.
Les groupes Geismar, eux, sont
assez nombreux. Ceux ci se font provocants. Ils cherchent le contact avec les
CRS de plus en plus activement. »
Rapprochons
tout de suite ces lignes d’un article de l’Humanité du 10 Juin répondant à
Pompidou :
« Si les CRS sont venus à
Flins, ont forcé les portes de l’usine, ont matraqué et lancé des grenades sur
les travailleurs, la grève a continué. »
Toujours
le 7 Juin à 18 h, 3000 étudiants et jeunes ouvriers désireux de soutenir les
camarades de Flins, se rendent à la gare St Lazare et demandent aux
organisations syndicales, des trains pour se rendre à Flins.
« Demande ahurissante et
provocatrice. » Note l’Humanité du 8 Juin
.
Tandis
que la fédération CGT des cheminots « met
en garde contre les provocations ».
Il
est évident que si les CRS ont besoin d’un train pour aller assommer les
ouvriers dans n’importe quelle région de France, il n’y a là, aucune
provocation.
A
22 h, 2000 étudiants et jeunes ouvriers se dirigent vers le dépôt de la RATP de
la porte St Cloud pour prendre des bus et se diriger vers Flins. La police
barre la route du dépôt en force. Jusqu’à 23h30, accrochages et tirs de
grenades lacrymogènes.
9-10
Juin.
Les
accrochages continuent autour de Flins. Ratonnades dans les rues. Attaque des
CRS contre le local CFDT. Les flics crèvent à coups de baïonnettes tous les
pneus des voitures immatriculées 75 et cassent les pare-brises. Les
hélicoptères repèrent les voitures « suspectes » et avertissent les
CRS qui « contrôlent » mitraillette au poing.
« Dès qu’on quitte
Élisabethville, on s’aperçoit que toute la région est quadrillée. Gendarmes
tous les dix mètres, fusil au poing. Voitures radio. En un quart d’heure, sur l’autoroute
de l’Ouest, montent vers Flins, six convois d’une douzaine de camions, chargés
de CRS.
La chasse à l’étudiant est
permanente. La manoeuvre de la police est de séparer les étudiants des
ouvriers, d’en faire les uniques fauteurs de troubles. Les étudiants sont arrêtés
en masse. Contre la terreur qui tend à s’instaurer, la population ouvrière
réagit et tend à organiser sa propre protection et celle des étudiants
rescapés : jumelles aux fenêtres, rondes à bicyclette. » Mouvement du
22 mars.
Tout
ce que l’Humanité trouve à dire, en page 6, sur l’état de siège et les
matraquages dans la région de Flins, est résumé dans les lignes
suivantes :
« Quelques dizaines de jeunes
gens et jeunes filles conduits à Flins par Geismar sont toujours dans le
secteur et ne paraissent pas avoir abandonné l’idée de provocation. » L’Humanité
du 11 Juin.
Mais,
en première page, René Andrieu écrit :
« Certains groupes gauchistes
qui appellent à la relance de la grève générale, jouent à la révolution comme
Marie-Antoinette jouait à la bergère dans les jardins du petit Trianon. »
A
l’heure où paraît cette infamie, écrite dans un bureau aussi paisible que le
petit Trianon, des dizaines de jeunes baignent dans leur sang à Flins, et un
étudiant de 18 ans, Gilles Tautin est en train de mourir, précipité à l’eau par
les matraqueurs.
Extrait
du témoignage de René Brousse, prêtre vicaire à St Germain de Charonne :
« A 15h30, je passais en
vélomoteur sur la route longeant la place Juillet à Meulan. Une douzaine de
jeunes gens, assis en rond sur l’herbe, discutaient. Arrive une voiture de
police d’où descendent une dizaine de policiers tenant leur fusil la crosse en
avant qui chargent aussitôt le groupe.
Je me suis transporté par la route
sur le pont de Meulan. J’ai vu ces jeunes gens nageant tout habillés et un
policier de la route, perché sur la rampe du pont tirant son pistolet et
menaçant les nageurs en criant « Arrêtez ou je tire ! » J’ai
emmené successivement deux nageurs sur ma mobylette avec l’appui de la
population qui s’est opposée à ce que les gendarmes les emmènent.
Quand je suis revenu, un homme
grenouille sortait un des jeunes qui avait coulé...
Vers 16h35, le pouls avait cesse de
battre. Les efforts de réanimation ont cessé. Le jeune homme (à mon avis, âgé
de moins de 20 ans) a été porté à l’hôpital de Meulan.
A ma connaissance, l’autre jeune
homme qui avait coulé n’est pas sorti de l’eau. Plusieurs témoins avaient
repéré un policier poussant dans le dos un des jeunes. Ils ont exigé que son
nom soit connu. »
Je suis prêt à témoigner devant
toute autorité… etc. » René Brousse.
Le
bureau confédéral CGT communique :
« La radio a fait état d’un
prétendu « Comité national provisoire de grève » composé d’éléments
irresponsables issus de milieux de l’enseignement, n’engageant en rien le
mouvement syndical et se fixant pour but de relancer la grève générale
illimitée.
Tout appel à la reprise de la grève
générale qui n’a, dans les circonstances présentes, aucune justification, doit
être considérée comme une provocation dangereuse ne pouvant servir que les
ennemis de la classe ouvrière et de la démocratie. »
« Aucune
justification » ? Le prix du pain vient d’augmenter et il n’est
toujours pas question d’échelle mobile des salaires.
Il
est vrai que :
« La fédération de l’alimentation
CGT dénonce, avec force, la hausse du prix du pain. »
Toujours
dans ce même n° du 10 Juin :
« Des millions d’ouvriers et d’employés
appartenant aux secteurs public et privé, ont repris le travail dans l’ordre et
l’unité, à l’appel de la CGT, après avoir obtenu des résultats particulièrement
importants. Du même coup, ils ont déjoué les calculs du gouvernement qui
cherchait un prétexte pour briser le mouvement ouvrier et instaurer une
dictature militaire. »
Page
5 : Un titre
« Un immense mouvement d’aide
aux travailleurs contraints à la grève. »
Henri
Krasucki :
« De quoi ont besoin les
métallos ? Du soutien de l’opinion… et d’un soutien matériel. Mais les
métallos n’ont pas besoin, comme certains l’insinuent, d’une reprise des
grèves. Un tel mot d’ordre serait inopportun et ne ferait que favoriser des
desseins politiques auxquels le gouvernement n’a pas totalement renoncé. »
« Le syndicat CGT Citroën
appelle les travailleurs à la plus grande vigilance contre les provocations que
le gouvernement et la direction s’efforcent d’exploiter pour briser le
mouvement de grève, du fait des agissements de Geismar et de son groupe qui se
sont déjà manifestés devant les portes des usines Citroën. »
Notons,
qu’en dehors du SNES Sup, de l’UNEF, du PSU, il y a plusieurs organisations d’extrême
gauche totalement autonomes les unes par rapport aux autres. Mais comme la
direction du PCF a employé l’expression « groupes Geismar », la
formule est reprise, en toute indépendance, par de nombreux dirigeants CGT.
Page
8, gros titre :
« Journée importante pour la
remise en route de l’Education Nationale. »
« Chez les instituteurs, la
reprise très largement acquise vendredi ne peut que se généraliser totalement.
Un mécontentement réel demeure certes, et la lutte va se poursuivre. »
...Comme
disait Bazaine en rentrant de Sedan.
« Les résultats acquis sont
loin de répondre à toutes les aspirations des enseignants et des élèves. Mais
si on tient compte de la nature du pouvoir et du rapport actuel de forces, ces
résultats constituent un appréciable succès. »
Il
est certain qu’en poussant partout à la reprise, le rapport actuel des forces
devient de plus en plus défavorable à ceux qui luttent encore. En reprenant le
travail, les instituteurs vont encore modifier le rapport des forces au
détriment des métallos. C’est pourquoi, des milliers d’instituteurs protestent
violemment.
« Le siège du SNI occupé par
un commande gauchiste. Déjà l’Ecole Emancipée avait publié un tract où elle
appelait à continuer la lutte jusqu’à la destruction du système capitaliste. Le
caractère provocateur de cette tentative est évident. »
Les
occupants du siège du SNI découvrirent nombre de télégrammes édifiants qui,
bien sûr, n’auraient jamais été rendus publics. Exemple :
« Instituteurs Crépy en Valois, trahis, exigent démission du secrétaire
général du SNI. »
Et
ce genre d’instructions données par les dirigeants SNI :
« Suivant réaction, conseiller de ne pas se laisser ligoter par l’obligation
d’un retour à la base. »
Mais
si les étudiants n’ont pas le droit d’entrer dans les usines, par contre les ouvriers
de la CGT (en fait, le service d’ordre permanent) est qualifié pour entrer chez
les enseignants.
« Soutenus par les
responsables du syndicat CGT des fonctionnaires et par des ouvriers CGT de la
région parisienne, les dirigeants du SNI ont repris possession de leurs locaux
dans l’après midi du dimanche. »
« Le syndicat CGT des collèges
techniques invite les personnels à décider le matin, la reprise
du travail.
Le conseil syndical a apprécié les
importants succès remportés dans la lutte, mais aussi le mécontentement profond
qui est suscité dans les C.E.T, comme en témoigne la consultation des
personnels. »
Page
7 :
« La Fédération CGT des
employés souligne qu’en ce qui concerne « Le Printemps», le Comité de
grève irresponsable... s’oppose à la consultation. »
« Les provocations
nombreuses... tout autour des grands magasins ne peuvent qu’aider le pouvoir
actuel et lui permettre, en accord avec le patronat, de remettre en cause les
avantages concédés et même justifier la répression. »
Ainsi,
pour les vieux syndicats mencheviks sclérosés, les soviets qui élisaient une
direction bolchevique, devenaient des « soviets irresponsables. »
Il
est un secteur où, pour ne pas donner, au sens figuré, des armes au pouvoir
gaulliste, on va les lui donner au sens concret du terme :
« Aux ateliers des chars d’assaut
AMX à Satory, le travail a repris. Certains voulaient continuer la grève et
cela partait d’un bon sentiment. Leur argument principal ? Des copains restent
en lutte, ceux de chez Renault et de Citroën notamment. « On ne les
abandonne pas » précise un délégué, on va maintenant les aider de toutes
nos forces, et en premier lieu, en versant une journée de salaire. »
Vie Ouvrière, n° 1241.Héliogravure.
12 Juin.
Notons
que dans tous ces « comptes rendus », on ne lit jamais qu’un seul
ouvrier a rappelé des 40 heures, l’échelle mobile des salaires ou l’abrogation
des ordonnances.
Pendant
ce temps, la préparation de la campagne électorale se poursuit
activement :
La
Jeunesse Communiste déclare :
« Le Gouvernement nous refuse
le droit de vote à 18 ans. Relevons le défi en faisant voter pour les
candidats du PCF. »
Quant
à Roger Ballanger, président du groupe parlementaire communiste, il oublie
subitement que le gouvernement gaulliste désire la guerre civile et non les
élections, et lui demande ingénument :
« Allez vous enfin prendre des
mesures contre la fraude électorale dans les départements d’outre
mer ? » L’Humanité du 10 Juin, page 2.
Ce
même 10 Juin, à 20 h30, le PCF organise un meeting au Palais des Sports pour
démarrer la campagne électorale.
L’Humanité
du 12 soulignera que Le Figaro du 11 a noté : « Discipline civique parfaite ! » et que « Toute la presse a remarqué que
drapeaux rouges et drapeaux tricolores étaient étroitement mêlés. »
Waldeck
Rochet :
« Nous ne confondons
absolument pas les groupes gauchistes avec la masse des étudiants. Ceux ci d’ailleurs
les rejettent de plus en plus, prenant conscience qu’on voudrait les mener dans
l’impasse.
Nous appelons les étudiants à
poursuivre la lutte aux côtés de la classe ouvrière.
Les gauchistes ont essayé de
saboter la reprise du travail dans des entreprises où les revendications
étaient satisfaites. »
Roger
Ballanger :
« Il faut battre le gaullisme
sur le plan électoral comme il est déjà battu par la France qui
travaille. »
Et
voici Aragon dans un exposé qui ne risque pas de figurer dans ses oeuvres
choisies :
« Il (De Gaulle) attend des
élections ce miracle, que d’avoir fait battre, blesser, aveugler les étudiants,
de dire aux ouvriers avec un assez beau cynisme, leur ayant pas plus tôt cédé
sur quelques points, qu’on va leur reprendre ce qu’ils ont obtenu, ait pour
effet de lui procurer dans le peuple français une majorité totalitaire… »
... « Le mieux serait que vous
(De Gaulle) dissolviez cette chambre, principal obstacle à la satisfaction des
désirs populaires, et que par des élections vous ayez l’imprudence d’en
faire élire une autre, laquelle ne pourrait être que meilleure. »
« Nous pensons que la
consultation est le seul chemin profitable à la France. L’amorce de cette voie
pacifique où nous voulons nous engager. Et le moyen, en tous cas, de compléter
par des lois votées les satisfactions insuffisantes arrachées par la
grève. »
« Il faudrait, M. le Président
de la République, très profondément réformer l’université avant qu’elle puisse
former les pythonisses dont les prédictions vous éclaireraient. Car il ne
semble pas que vous sachiez voir à distance même de quelques semaines. » L’Humanité
du 11 Juin, page 4.
A
la Sorbonne, les camarades de Gilles Tautin, militant UJC-ML, racontent les
circonstances de sa mort :
« Nous nous trouvions près du
pont de Meulan, au bord de la Seine. Les flics ont chargé, la matraque levée,
en criant : « A la baille ! » C’était le choix entre l’assommage
et le plongeon. Nous avons sauté. Gilles y est resté. C’était le photographe du
groupe. Il avait un appareil d’une certaine valeur. Il n’aurait pas sauté s’il
s’était agi d’une simple vérification d’identité. Mais depuis plusieurs jours
il n’était question que de passages à tabac dans le secteur. »
Des
centaines de jeunes ont entendu ce compte rendu des témoins. Des membres de l’UEC
aussi. Les chefs des matraqueurs persisteront, bien sûr, à soutenir qu’il n’était
question que d’une vérification d’identité. Mais l’Humanité reprendra, à
plusieurs reprises, la version des assommeurs :
« Dans la journée, les
policiers ont continué à opérer des contrôles. Fuyant une de ces rafles, une
dizaine de jeunes qui se trouvaient près du pont de Meulan se sont jetés dans
la Seine. L’un d’eux, un lycéen de Paris s’est noyé.
Si l’opportunité de la présence de
ces jeunes est très contestée, si l’on se pose des questions sur les intentions
de ceux qui les ont conduits ici, l’inhumanité des policiers a provoqué l’indignation. »
L’Humanité 11 Juin, page 8.
Légère
évolution par rapport aux injures du 8 Juin. Maintenant, « l’opportunité
est contestée.
« Malgré ce drame, les
travailleurs conservent leur sang froid et ne se laissent pas détourner de la
lutte revendicative. »
Pas
question, bien sûr, d’une manifestation, bien au contraire.
« L’UNEF appelle à manifester
aujourd’hui. Rappelons que la CGT a appelé, avant hier les travailleurs à ne
suivre que les mots d’ordre émanant de ses organisations »
D’ailleurs,
sans attendre le moindre appel, des milliers d’étudiants, dès l’annonce du
crime, avaient manifesté boulevard St Michel et quai des Grands Augustins , en
conspuant la police et en scandant : « De
Gaulle assassin ! »
La
mort de Gilles Tautin aurait-elle ému René Andrieu ? Rompant une seconde
avec ses thèmes classiques, oubliant le petit Trianon, il écrit :
« Il a fallu que vienne ce
mois de Mai pour qu’il (De Gaulle) s’aperçoive que les français s’étaient
levés, qu’ils voulaient être des citoyens et non des sujets. » L’Humanité page
6.
Aveu
intéressant. De Gaulle ne s’était aperçu de rien pendant les dix années où les
manifestations syndicales clamaient « Charlot, des sous… Charlot des
sous ».
10
Juin.
Appel
du CMIP de Censier :
« 20 blessés graves parmi les
manifestants. De très nombreuses arrestations. Après la lecture de l’Humanité,
la trahison du PCF et de la CGT ne fait plus aucun doute. Non seulement le PCF
et la CGT n’apportent aucun soutien aux ouvriers et étudiants en lutte, mais
ils ne cessent de les condamner, ce qui fait le jeu du gouvernement.
Camarades, il faut réagir devant
tout cela. Ne laissons pas nos camarades se faire massacrer à Flins, car demain
la répression s’abattra sur nous. La tactique du régime est de frapper en
différents endroits successivement pour affaiblir notre mouvement car il n’a
pas la force de s’opposer à notre lutte partout en même temps. »
.L’Humanité
du 11 Juin, page 9
« Plus d’un millier d’instituteurs...
pour la plupart des jeunes, ont tenu en fin d’après midi d’hier un meeting à la
Bourse du Travail de Paris. »
« Cette réunion avait été
convoquée par le prétendu « comité provisoire de grève » auteur du
coup de force contre le siège du SNI »
« Le
Monde » indique 3 000 manifestants. Les deux journaux reconnaissent que
les « jeunes » sont « gauchistes ».
Reprise
chez Dassault Saint Cloud vue par l’Humanité, page 9 :
« Ballargeat secrétaire du
syndicat CGT déclare avec force, en appelant à la reprise du
travail :
-Ce n’est pas une ou deux semaines
de grève de plus qui feront avancer nos revendications, mais un véritable
changement de politique. »
René
Eyrier, au nom du PCF :
« Les communistes ne prennent
pas leurs rêves pour des réalités. L’acquis de la grève ne satisfait pas tous
les rêves, mais il est incontestablement positif »
Et
voila comment l’échelle mobile et les 40 heures deviennent des rêves.
A
Grenelle, les vieux travailleurs étaient la cinquième roue de la charrette. Il
n’y eut pas une miette pour eux. Ils étaient totalement désarmés. Ils ne
pouvaient faire grève. Mais ce sont des électeurs... et du moment que la grande
grève est en voie de liquidation, on peut montrer de l’audace verbale.
« Le PCF exige du
gouvernement que des mesures pour l’augmentation des retraites et pensions des
personnes âgées soient prises sans délai. » L’Humanité, 11 Juin, page
6.
12
Juin.
Un
ouvrier est assassiné par la police à Sochaux.
« C’est vers 3 h du matin que
les forces de police sont intervenues. Le but de l’opération était de faire
évacuer les locaux sous prétexte d’assurer la liberté du travail. Les accrochages
ont alors commencé. Les travailleurs ripostent aux charges par des jets de
pierres et de boulons. Les premières équipes, celles des doubleurs qui sont
arrivées à 4h00 se sont jointes aux piquets de grève. Or, c’est, soi-disant,
pour assurer la protection de ces équipes que la Direction de Peugeot a fait
appel aux forces de répression. D’heure en heure les charges policières et les
ripostes ouvrières se sont faites plus violentes. Les grévistes ont établi des
barrages jusqu’à l’entrée même de Montbéliard. » L’Humanité.
La
vérité est un peu différente. Pourquoi des équipes seraient-elles venues à 4h
du matin ? Bien évidemment, parce qu’un certain nombre d’ouvriers
pensaient reprendre le travail, et la lecture quotidienne de l’Humanité ne
pouvait pas faire penser autre chose. Mais, heureusement, les piquets de grève
n’avaient pas cédé devant les CRS. La conscience de classe des
« doubleurs » les a fait entrer en lutte aussitôt avec leurs
camarades contre les flics.
Pourquoi
les piquets de grève ont-ils lutté ? Parce que la lutte des étudiants et
des jeunes ouvriers de Flins est devenue un exemple.
Si
les Gars de Peugeot s’étaient laissés expulser, l’Humanité aurait écrit comme
au premiers jour de Flins : « Très
dignement, les travailleurs sont sortis de l’usine. » Et la Fédération
des métaux les auraient félicités pour « n’avoir
pas répondu à cette scandaleuse provocation ». Mais ils se sont
battus, ils ont même contre-attaqué et bloqué les issues de Montbéliard. Ils n’ont
pas droit à des félicitations, mais il est difficile de les calomnier, il est
difficile de trouver la main de Geismar dans l’affaire. L’Humanité prend donc
le ton objectif du reportage neutre.
Pour
sa part, la direction de la CGT appelle à « réagir
vigoureusement ». Pas par une manifestation mais par un arrêt de
travail d’une heure. Arrêt qui fera d’autant moins d’effet aux métallos qu’ils
sont toujours en grève !
Et
la direction de la CGT intervient auprès du 1er ministre. Quand elle
attaque les étudiants, les « gauchistes », elle est catégorique, elle
les pourfend comme agents de Pompidou qui veut la guerre civile. Mais quand
elle s’adresse à Pompidou en personne, elle « se demande », elle
« attend ». Elle donne des garanties de sagesse. On croirait entendre
Molotov disant, quatre heures après le début de l’attaque nazie, à l’ambassadeur
du 3ème Reich : « Nous n’avions pas mérité cela. »
L’Humanité
du 12 Juin, page 1 :
« Après les graves incidents
de Flins...l’assassinat par balles d’un ouvrier fait peser sur le gouvernement
une lourde culpabilité. L’opinion publique est en droit de se demander où le
pouvoir veut en venir. »
« Le bureau confédéral
rappelle que partout où les travailleurs ont obtenu satisfaction, ils
ont repris le travail, ainsi que la CGT le leur a recommandé.
...Les travailleurs et l’opinion
publique attendent de votre gouvernement qu’il prenne d’urgence ses
responsabilités autrement que par des mesures répressives. »
Appel
de la Jeunesse communiste :
« La police gaulliste a tué un
jeune ouvrier chez Peugeot, à Sochaux, un lycéen est mort à Meulan. Ces
actes du pouvoir soulèvent l’indignation de la jeunesse française. »
Les
flics évacuent l’usine de Flins. Les courageux jeunes ouvriers et étudiants n’ont
jamais capitulé.
L’Humanité
du 12 Juin, en page 4, mentionne le fait :
« L’usine de Flins était aux
premières lignes. La direction, le gouvernement avaient porté sur elle tous
leurs efforts pour faire craquer le mouvement. Pour l’essentiel, les métallos
de Flins ont fait face.
Dans l’après midi, des rondes ont
été effectuées pour convaincre les travailleurs qui avaient repris, de rentrer
chez eux et d’attendre le résultat des discussions.
Ceux qui venaient de faire trois
semaines de grève avec leurs camarades se sont généralement laissés facilement
convaincre, même si quelques horions auraient pu être évités, force est de
constater qu’entre travailleurs tout s’est réglé dans le calme. Ceci témoigne
une fois de plus que c’est la police qui est à l’origine des incidents. »
Même
si nous n’avions pas de témoins oculaires, nous commençons à savoir lire entre
les lignes. La partie la moins consciente des ouvriers avait repris le boulot.
Si, en face de la pression de l’État policier, il n’y avait pas eu la pression
des jeunes ouvriers et étudiants, nous aurions assisté à une capitulation
terriblement démoralisante pour les travailleurs.
L’Humanité,
page 6 :
« Electronique. Victoire dans
la région du Mans. Rentrée victorieuse chez Rhône-Poulenc à St Fons. »
Guy
Dubreuil secrétaire CGT déclare :
« Les patrons veulent
provoquer des brèches dans le front des travailleurs… Tous ceux qui poursuivent
la grève contre l’obstination patronale ont besoin du soutien de l’opinion, de
notre soutien matériel, pas de manifestation aventuriste. »
Quitter
le front de lutte...pour ne pas « provoquer des brèches ». On aura
tout vu !
Nous
avons cité des extraits des réponses d’Etienne Fajon aux questions d’auditeurs
d’Europe n°1. Voici une réponse concernant le PSU :
« Le PSU après avoir été
récemment abandonné par une partir importante de ses dirigeants et de ses
cadres, par tous ceux qui avaient un sens quelconque des responsabilités, a
joué le rôle d’une sorte d’officine qui a soutenu... toutes les aventures
gauchistes. »
Dans
l’équipe qui quitta le PSU, pas un seul qui n’ait jadis été insulté par la direction
du PCF. Le « renégat » Poperen en particulier, a du apprécier les
câlineries d’Etienne Fajon.
Ne
quittons pas la page 4 de l’Humanité du 12 Juin sans citer ce passage :
« Toujours à propos de la
Sorbonne, en lit l’écho suivant, dans l’Aurore, qui donne à penser :
-Le bruit court toujours que des
armes et des explosifs seraient stockés dans la Sorbonne, voire à la faculté de
Droit. Et ce n’est un secret pour personne, au Quartier Latin, que dans divers
locaux on occupe les soirées à fabriquer jovialement des cocktails
Molotov. »
Ainsi,
cet écho de la très réactionnaire Aurore « donne à penser. »
Mais
pourquoi l’Humanité ne prend elle pas ses responsabilités ?
Il
y a, tous les jours, des militants PCF dans la Sorbonne. Et puis, « ce n’est un secret pour personne au
Quartier Latin ! »
Bientôt
l’Humanité va verser des larmes de crocodile sur l’occupation policière de la
Sorbonne. Mais les flics auront dans leurs dossiers les calomnies de ce journal
même si c’est par « Aurore » interposée.
Contre
les assassinats de Flins et de Sochaux, seuls l’UNEF et l’extrême gauche
manifestent à Paris. Le rassemblement est décidé le 11 Juin à 19h, gare de l’Est.
Sauvageot
déclare :
« Je ne donnerai pas de
consigne de dispersion. Nous ne voulons pas de violences, mais si on nous gène,
nous agirons en conséquence. »
Le
Figaro du 14 Juin dira que « Mr
Sauvageot a pris une lourde responsabilité. »
L’Humanité
du 12 Juin parle de « Déclarations
provocatrices. ». La police aussi !
Longtemps
avant 19 h, la police utilise une nouvelle tactique. Elle ratisse
systématiquement et arrête en masse les passants et les éventuels manifestants.
Plus de 1500 personnes sont ainsi conduites à Vincennes. Dès qu’un groupe se
forme, la police et les CRS chargent à coups de matraques et de grenades
lacrymogènes. Les jeunes répliquent en faisant des barrages et des embryons de
barricades. Dans plusieurs quartiers de Paris, les cris retentissent :
« CRS, SS ! De Gaulle assassin ! ».
L’Humanité
du 12 Juin cite des bagarres autour de la Gare de l’Est, le boulevard Sébastopol
et la rue de Réaumur, les boulevards St Michel et St Germain, la rue Gay Lussac
et la rue St Jacques, la rue de l’Ancienne Comédie, la rue Dauphine, le
carrefour de l’Odéon, le quartier des Halles.
« A minuit, les incidents se
poursuivaient un peu partout dans le centre de Paris. »
Tout
ceci sous le titre :
« Médiocrement suivie, la
manifestation de l’UNEF et du PSU a donné lieu à des heurts sérieux avec la
police. »
Notons
qu’une fois de plus, des permanents de la CGT se conduisent comme des
concierges fascistes et veulent fermer les portes de la gare du Nord devant le
nez de manifestants poursuivis par la police.
Voici
comment l’Humanité du 12 Juin présente les choses :
« Les cheminots de service
voulurent faire entrer les passagers puis fermer les portes afin d’éviter toute
détérioration. Les manifestants s’y opposèrent, soulevant la désapprobation des
personnes et des passants qui assistaient à la scène. »
Mais,
en 24 heures, l’Humanité ne va pas s’améliorer
Le
12 Juin, elle disait :
« Un peu partout, c’était une
succession de charges rapides et brutales et de brèves contre attaques. »
Le
13 Juin, elle révise l’histoire et soulage les flics :
« Les charges ont été
relativement rares. »
Voici
donc les CRS moins méchants qu’on ne l’a dit. Quant aux manifestants, ils
empirent au fil des heures.
« La grande majorité, pour ne
pas dire la totalité des bandes qui sillonnaient Paris à 2h00 du matin
-mentionne l’AFP- n’était pas composée d’étudiants, ou de lycéens, ou même,
semble t-il, de jeunes travailleurs. »
Des
fantômes peut-être ?
Et
la revue de presse cite complaisamment les points de vue réactionnaires :
Le Figaro : « Visiblement,
des éléments entraînés à la guérilla urbaine, des groupes spécialisés dans l’agitation
révolutionnaire encadraient en de nombreux points les émeutiers. »
France-soir : « Un
inquiétant ballet ; celui des infirmiers bardés de la croix rouge, celui
aussi des groupes de choc armés de matraques et de bâtons, munis de
boucliers. »
Même un journal aussi étranger à la
cause du socialisme que « Les échos » est amené à écrire : « La
subversion n’est pas du coté des communistes et des cégétistes… Les communistes
dénoncent d’ailleurs les groupes « ultra gauchistes » et la CGT
prescrit à ses adhérents de s’opposer à toute entreprise de débordement.» L’Humanité
du 13 Juin, page 4.
Pour
le candide lecteur de l’Humanité, la politique doit être horriblement
compliquée. La police du pouvoir matraque sans pitié les gauchistes agents du
pouvoir, tandis que la presse du pouvoir bave sur ces maudits gauchistes et
complimente le PCF. Pour s’y retrouver dans les imbroglios, le vieux leader de
la 2éme Internationale, Bebel, avait coutume de dire : « Quand un ennemi me félicite, je me
demande quelle bêtise j’ai fait !»
Bilan
de la nuit :
- 1500 personnes emprisonnées
à Vincennes.
- 194 personnes conduites
dans les hôpitaux.
- 72 blessés dans la police.
- 5 commissariats endommagés.
- 72 barricades enlevées dans
la nuit.
Quel
titre mettriez vous devant ce bilan ? Mettriez vous l’accent sur les
blessés qui affluaient dans les hôpitaux ? Ou sur les centaines de jeunes
brutalisés ?
L’Humanité
du 13 Juin titre en gros caractères :
« 75 voitures détruites au
cours des émeutes de la nuit. »
A
l’ORTF, Waldeck Rochet déclare :
« Des groupes ultragauchistes
nous attaquent et nous insultent parce que nous avons désavoué, dès le début,
leur recours à la provocation et aux violences aveugles susceptibles de nuire
au mouvement populaire et de faire le jeu du pouvoir gaulliste. »
Un
tout petit détail cloche. « Dés le début », il y avait des
« violences aveugles » mais pas encore de « mouvement
populaire ».
Le
conseil des ministres décide la dissolution des J.C.R, de Voix ouvrière, de la
F.E.R, du Mouvement du 22 Mars, de l’UJCML, etc. Des protestations s’élèvent.
Même Guy Mollet. On remarque que les C.D.R. qui, depuis quelque temps ont la
gâchette facile, ne sont pas dissous. « Le Monde » note que le
gouvernement se garde bien d’interdire le mouvement fasciste
« Occident » Le PSU proclame sa solidarité avec les organisations
dissoutes. La direction PCF trouve comme seul commentaire aux mesures
scélérates de De Gaulle :
« Tous ces groupes ont pris
une part active aux provocations organisées notamment au Quartier Latin. »
Très
concrètement « quelles provocations » ? De telles phrases sont
pain béni pour la police.
Dans
son éditorial du 13 Juin, René Andrieu, toujours soucieux d’abaisser l’intelligence
politique du lecteur, écrit :
« M. Pompidou ment
grossièrement quand il nous accuse de vouloir « sortir de la
légalité » et il est particulièrement peu qualifié pour nous faire ce reproche,
alors que le régime gaulliste est né d’un putsch militaire. »
M.
Pompidou ment, bien entendu. Mais la légalité ne vient pas du ciel. Celui qui a
le pouvoir fabrique sa légalité, c’est à dire un ensemble de lois défendues par
les gendarmes. En invitant à respecter la légalité d’un gouvernement qui ne
prit le pouvoir qu’en violant la précédente légalité, René Andrieu se moque des
travailleurs.
14
Juin.
PCF
et FGDS présenteront leurs candidats à part. La grande masse des électeurs
constate le désaccord sans savoir sur quoi il porte. Dans la lutte gréviste
pour de meilleures conditions de vie et pour la liberté, il n’y avait pas de
divergences profondes entre les travailleurs. Par contre, dans le
« combat » électoral, tout devient plus obscur. Les divisions des
états-majors ne sont pas comprises par la majorité des salariés. Renoncer au
clair terrain de la lutte gréviste pour le sombre tunnel de la « lutte électorale »
ne peut apporter que des déboires.
G.Séguy
rapporte sur la période écoulée au C.N de la CGT :
« L’explosion de
mécontentement... éclata en réaction contre les brutalités policières dont
furent victimes les étudiants dans la nuit du 10 au 11 mai. »
Et
voila toujours une « provocation gauchiste » qui s’envole.
« Pour organiser le
déclenchement de la grève et la conduire à la victoire, nous nous sommes
inspirés d’une conception avec laquelle les militants de la CGT sont
familiarisés…
Consulter les travailleurs sur les
revendications et les mots d’ordre d’action…
Placer le mouvement sous leur
vigilance et leur contrôle par l’élection des comités de grève directement
responsables devant les grévistes.
C’est ainsi que la grève générale
avec occupation des usines s’est produite avec une force irrésistible, et dans
un calme impressionnant sans qu’il fut nécessaire d’en lancer le mot d’ordre d’en
haut. »
Une
phase ; un mensonge !
- « Déclenchement
de la grève. » Il n’a pas organisé, il a assisté.
- « Conduire
à la victoire »... sans commentaires !
- « Consulter
les travailleurs sur les revendications. » Quand donc les travailleurs
ont-ils réclamé un retour progressif aux 40 heures ? En réalité,
tout a été fait pour accrocher les travailleurs sur des revendications
particulières.
- « Les
mots d’ordre d’action. » Quand les travailleurs ont-ils été consultés sur
la nécessité d’un comité central de grève ?
- « L’élection
des comités de grève. » Contrairement à toutes les traditions ouvrières,
Séguy fit l’impossible pour empêcher de véritables comités de grève élus par
les assemblées de grévistes. Il présenta les bureaux syndicaux ou
intersyndicaux comme de véritables comités de grève.
- « Force
irrésistible. ». C’est l’aveu qu’il y eut trahison. Il suffit d’aligner
après ces deux mots, les résultats obtenus !
« L’opinion publique
bouleversée par les troubles et les violences, angoissée par l’absence d’autorité
de l’État et par sa carence, a vu en la CGT la grande force tranquille qui est
venue rétablir l’ordre en organisant l’arrêt général du travail et l’occupation
des entreprises. »
Monument
de jésuitisme. Il n’y a plus de classes sociales. Il y a l’opinion publique.
Tout démarre là. Une classe laborieuse serait révoltée par la sauvagerie
policière de l’État bourgeois. Mais l’opinion publique n’a pas d’opinion. Elle
est bouleversée par des violences indéterminées... et par l’absence d’autorité
de l’État !
Y
a t-il trop de flics ? N’y en a t-il pas assez ? Mystère !
Il
y a aussi la carence de l’Etat. Que peut être la carence d’un Etat avec une
direction gaulliste ?
« L’opinion publique » dit peut-être : « L’Etat est carrent sinon il emploierait tout de suite des
mitrailleuses contre ces jeunes exaltés. »
Mais,
« l’opinion publique » voit soudain dans la CCT une « grande
force tranquille »… « Tranquille ! » jolie formule signée
Séguy. De Spartacus à la Commune de Paris, personne n’avait songé à cela avant
lui. On imagine la prise de la Bastille, les trois glorieuses et même le 9
février 1934 avec une grande force tranquille.
Mais
« l’opinion publique » ne comprend plus comment on peut
« rétablir l’ordre » en « organisant l’arrêt général du travail
et l’occupation des entreprises ».
« L’opinion
publique » pense qu’il y a de l’ordre quand tout le monde est au travail et
la bouche cousue. Que veut donc dire Séguy ?
Attention,
lisez bien. Séguy ne dit pas que la CGT a décidé l’arrêt général du
travail. Il veut simplement dire que, puisque ça allait arriver, il fallait
bien que la direction la de la CGT s’en occupe pour éviter le désordre et, en
particulier l’élection de comités de grève aussi irresponsables que les
soviets de 1917.
« Les élections offrent à
notre lutte de toujours pour la démocratie une proche et concrète perspective.
Il était de l’intérêt des travailleurs de conduire le mouvement à son issue
victorieuse sur le plan revendicatif et que les élections puissent se dérouler
normalement afin que les travailleurs puissent prolonger et compléter leur
action. »
L’impératif
étant les élections, il devait y avoir bien vite une issue sur le plan
revendicatif. Par définition, cette issue devait être
« victorieuse ».
Pour
aller plus vite, on laissait en route les revendications fondamentales... mais
l’issue demeurait aussi victorieuse qu’un angle qui resterait droit tout en
perdant ses degrés sur le chemin.
« Dans cet esprit, le Bureau
Confédéral intégrait dans sa déclaration du 5 Juin, un paragraphe de la plus
haute importance estimant que, partout où les revendications essentielles ont
été satisfaites, l’intérêt des salariés est de se prononcer en masse pour la
reprise du travail dans l’unité. »
L’ennui
c’est qu’une augmentation de salaires sans l’échelle mobile peut, très vite,
ressembler à une pièce d’un franc coupée en deux. (Séguy connaît le morceau qui
est essentiel !)
« Non, les dix millions de travailleurs en grève
ne revendiquaient pas le pouvoir pour la classe ouvrière mais de meilleures
conditions de vie et de travail. »
Et
c’est un membre du BP du PCF qui parle ainsi ! C’est l’avant-garde qui s’aligne
sur l’arrière garde. Sait-il seulement ce que revendiquaient les dix millions
de grévistes ? Sait-il seulement que le peuple de Paris, en 1789, marchait
sur Versailles en réclamant simplement de meilleures conditions de vie. Du pain
seulement
Ce
fut toujours le rôle de l’avant garde que d’expliquer au peuple en colère que
ses revendications les plus modestes ne pouvaient être satisfaites sans
renversement du pouvoir de la classe exploiteuse.
Séguy
explique l’inverse. L’amélioration des conditions de vie des travailleurs est
compatible avec le grand capital, la bombe atomique et un État policier.
« Nous nous serions isolés
nous mêmes en entraînant, sans doute, la partie la plus consciente de la classe
ouvrière, mais sans pouvoir résister à un impitoyable écrasement. »
Toujours
le procédé du docteur Coué : « Nous aurions été écrasés »,
« Nous aurions été écrasés. » 10 millions de grévistes ne font pas le
poids devant 200 000 flics et militaires de carrière. Par contre, les bulletins
de vote… »
Notons
que « Nous aurions entraîné la
partie la plus consciente de la classe ouvrière. ». Tiens,
tiens : Si Séguy était devenu gauchiste, il aurait « entraîné ».
Mais comme il ne l’est pas devenu, « la partie la plus consciente »
devient de
« Pseudos révolutionnaires,
renégats du mouvement ouvrier » qui voudront bien nous excuser de les
avoir privés du plaisir d’assister à notre enterrement. »
En
attendant, c’est le « révolutionnaire » Séguy qui a assisté, de loin
d’ailleurs, à l’enterrement de Gilles Tautin et des jeunes ouvriers de Sochaux.
Enfin,
cette magnifique conclusion :
« Nous devons nous féliciter
de l’évolution positive de nos rapports avec les camarades F.O. »
Cela
va de soi, et inutile de chercher bien longtemps qui a évolué vers qui.
15
Juin.
La
majeure partie des salariés a repris le travail.
La
CGT adresse un appel aux travailleurs de France :
« Le bilan de ces luttes, pour
aussi riche qu’il soit, laisse entières deux questions de première importance.
Il s’agit :
-D’une part, de la garantie du
pouvoir d’achat de vos salaires, traitements et pensions.
-D’autre part, de l’abrogation des
ordonnances portant atteinte à la sécurité sociale. »
Le
mot d’ordre d’Échelle mobile ne va pas tarder à reparaître. Mais pour le moment
il est inutile car
« L’occasion vous est donnée
de prolonger et de compléter en tant que citoyens l’action que vous avez
engagée en tant que salariés. »
Et
pour prouver que les élections, c’est une victoire populaire assurée, l’Humanité
du 15 Juin affirme
« La droite anxieuse à l’heure
du jugement. »
Pas
anxieuse au point de croire que les violences lui feront perdre des électeurs.
« A Villeparisis, les
commandos gaullistes tirent sur des militants communistes : 1 blessé. »
La
réplique vient cinglante :
« La section de notre parti exige
l’arrestation des coupables ! »
Obsèques
de Gilles Tautin en présence d’une foule de plusieurs milliers d’élèves des
comités d’action, de délégations d’étudiants et d’ouvriers. 8 lignes en page 13
de l’Humanité dimanche.
16
Juin.
Interview de Waldeck Rochet :
« Le Parti Communiste est
apparu comme un parti d’ordre et de sagesse politique. »
…Il faut arracher l’État à l’emprise
des monopoles.
…Comme l’avait annoncé le
« Manifeste Communiste » les travailleurs aspirent à devenir
eux-mêmes la nation. »
Quand
on aspire à l’être, c’est qu’on ne l’est pas encore. Et pour le devenir il
importe de ne pas confondre l’intérêt des exploités avec celui des exploiteurs
sous le vocable trompeur « d’intérêt national. »
L’Humanité
Dimanche caractérise ainsi le PSU en page 15 :
« Le PSU, cette écume à la
surface des eaux remuées par le grand naufrage des idéologies pseudo
révolutionnaires. »
C’est
aller vite en besogne que de parler de naufrage parce que De Gaulle a interdit
les organisations d’extrême gauche.
Mais,
même si c’était le cas, il faudrait se demander comment de si petits bateaux
ont pu faire un si grand naufrage.
19
Juin.
A
la Rochelle, des nervis gaullistes tirent sur les habitants d’un immeuble. Une
femme est atteinte d’une balle à la tête.
Des
militants ouvriers agressés dans le Val d’Oise.
À
Fontenay sous bois, des gaullistes attaquent le siège de la section communiste.
A
La Garenne, une vingtaine de gaullistes arrivés en fourgon attaquent des
militants communistes à coups de barres de fer.
A
Issy-les-Moulineaux, des individus lancent une grenade devant la C.G.T
Radiologie où se tenait un piquet de grève.
Si
les violences ne paient pas, les gaullistes devraient se faire écraser aux
élections.
L’Humanité
du 19 Juin a cette remarquable pensée :
« A Bordeaux, après avoir
organisé provocations et désordres avec l’aide des pseudos révolutionnaires, le
pouvoir gaulliste est en train de les organiser lui même avec l’appui des
groupes fascistes. »
Mais,
est-ce la proximité des élections et le souci de recueillir quelques voix au Quartier
Latin entre autres, l’Humanité nuance son jugement sur « la pègre ».
Elle n’est plus coupable que de « fâcheuses façons ! »
André
Wurmser écrit :
« Les manifestations qui n’étaient
pas tellement des provocations que de fâcheuses façons de se précipiter tête
baissée dans les provocations du gouvernement et de sa police. »
Et,
à propos de la Sorbonne, quelles sont donc ces canailles qui affolaient
« l’opinion », tout récemment en parlant de stocks d’armes ? Justement
indignée, l’Humanité titre en page 3.
« Leur souci d’entretenir la
peur. »
« Hier, par exemple, le
Parisien Libéré titrait sur toute la longueur de sa première page (et souligné
en rouge s’il vous plait) -Un stock d’explosifs découvert dans une annexe de la
Sorbonne-
France soir consacrait la quasi
totalité de sa première page à des photos évoquant l’occupation policière du Quartier
Latin, faisant d’un incident mineur l’essentiel de sa titraille. »
« Les communistes s’élèvent
contre l’occupation policière de la Sorbonne. »
Subtilités
de la langue française : « s’élèvent» est le contraire de « se
lèvent ».
En
page 8 de l’Humanité du 19 Juin, on trouve un débat entre responsables
communistes ; débat ayant pour but de montrer que le PCF fut constamment
présent et apprécié dans le milieu étudiant :
« Notre audience est allée
croissant dans les facultés... Au début, nous avons été incompris de certains.
« Vous des communistes, des
révolutionnaires, pourquoi ne lancez vous pas des pavés sur les
CRS ? » nous demandait-on parfois. »
Toutefois :
« Des épisodes ont appris à
beaucoup de camarades et de sympathisants qu’il faut savoir parfois accepter de
se faire injurier. »
Ceci
dit :
« Chiffres en main, il y a, à
l’heure actuelle, plus d’étudiants communistes qu’il n’y en a jamais eu. »
Communistes,
oui. PCF, c’est très très douteux.
Et
enfin, cette révélation sensationnelle :
« Le 11 Mai, derrière l’UEC,
plus de 5000 étudiants ont reconquis, ce jour là, le Boul Mich. »
« Derrière
l’UEC ! » Exploit d’autant plus remarquable qu’il s’est produit à l’insu
des étudiants, des flics... et de l’Humanité du lendemain !
20
Juin.
Le
secrétaire CGT de la métallurgie du Rhône déclare :
« Les travailleurs de Citroën
sont encore en grève. Ils ont le même patron que vous. Nous vous demandons de veiller
sur le déroulement de cette lutte, de façon à vous trouver, s’il le faut,
aux côtés de vos camarades. »
Peugeot :
« La Direction cède sur
les 3 points restant en litige :
1er progrès : l’horaire de 45
heures deviendrait effectif au 31 décembre 68 au lieu du 1er octobre
1969.
2ème progrès : Les heures de
grève de Mai seraient indemnisées à 80%, celles de Juin à 25%.
3ème progrès : Les victimes de
la répression policière du 11 Juin seraient assimilées au régime des
accidents du travail. »
Sur
ces trois points, notons qu’il y a « seraient » et non
« seront ».
La
logique aussi voulu que le titre s’écrive : La Direction « céderait ».
A
part Citroën, l’armée ouvrière est démobilisée. Il est, à nouveau possible de
lancer des mots d’ordre hardis. Roland Leroy déclare dans une allocution
télévisée :
« Le PCF agit avec les
travailleurs pour consolider, élargir encore ces succès, s’opposer aux hausses
de prix, imposer l’échelle mobile des salaires, abroger les ordonnances
démantelant la Sécurité sociale. »
En
page 1 de l’Humanité du 20 Juin, Georges Marchais oubliant toujours la
tricherie dans les départements d’outre-mer et le fait que des millions de
jeunes ne peuvent voter, réaffirme :
« Les gaullistes craignent les
élections car c’est contre leur politique rétrograde et antidémocratique que
les forces vives de la nation viennent de se dresser avec succès. »
Hélas,
dans ce pays où les morts votent parfois, les forces vives ne sont pas
déterminantes dans le scrutin.
Dans
une page 8 entièrement consacrée à l’université, Pierre Juquin, s’exprime dans
un langage assez différent des pourfendeurs de Geismar et de ses bandes :
« Notre parti a estimé de son
devoir de combattre politiquement les groupes anarchistes, trotskystes
ou autres qui ont pris une certaine influence sur une partie des masses
étudiantes. Nous appelons amicalement mais de façon pressante la masse des
étudiants à tenir compte de la situation réelle de la société française... En
nous refusant absolument à confondre le mouvement étudiant et ces groupes
politiques, nous voulons éviter ce qui peut nuire à la cause
commune. »
Le 21 Juin
À
Radio Luxembourg, François Mitterrand déclare :
« Le PCF, dans cette grave
crise, n’a accompli aucun acte de caractère insurrectionnel, et il n’a pas
mérité les invectives de M. Pompidou qui tente de le présenter comme une
organisation subversive.
Si le PCF, la CGT, et la CFDT l’avaient
voulu, l’État ayant disparu, cela eut été possible. Mais les représentants de
la classe ouvrière ont pensé que tel n’était pas l’intérêt du pays et ils ont
respecté la loi. »
22
Juin.
De
toutes les grandes usines, Citroën reste seul en lutte.
Compte
tenu de « l’ambiance Citroën », compte tenu des conditions dans
lesquelles la grève avait démarré, il est évident que même les ouvriers qui
avaient le plus hésité pour débrayer, n’étaient pas prêts à reprendre le
travail sans garanties très sérieuses. Certes, ils réalisaient qu’ils étaient,
à présent, isolés et ne pouvaient arracher tout ce qui avait été annoncé au
début du mouvement, mais ils s’accrochaient à la question du pouvoir d’achat et
à la garantie du respect de la classe ouvrière dans l’entreprise.
Or,
deux jours avant que le personnel se prononce, l’Humanité du 22 Juin titre en
page 1 :
« Dernier bastion. Citroën
cède. »
Ce
même 22 Juin. Waldeck Rochet déclare à la télévision :
« Le problème est maintenant
de savoir si les avantages et les droits acquis par les travailleurs seront
garantis, ou si, au contraire, le grand capital et le pouvoir personnel
parviendront à les reprendre et à les annuler. »
Le
ton n’est plus celui de la « rentrée triomphale ».
Page
1, Humanité du 22 Juin :
« 600 personnes à Villeneuve
le Roi avec G.Marchais.
Quelques individus appartenant à un
groupe gauchiste ont essayé de perturber le bon déroulement du meeting par des
propos anticommunistes. Ils ont été violemment pris à partie par l’assistance. »
Ces
gauchistes avaient eu l’audace de dire que les élections sont faussées en
régime capitaliste. Ils ont appris, à leurs dépends, que l’attitude « calme
et digne » n’est de mise que face aux policiers.
Page
4 :
« Défense aux candidats
communistes de s’adresser aux militaires :
A Rochefort, des militants PCF qui
distribuaient du matériel électoral aux sous-officiers et officiers mariniers
ont été appréhendés…Par contre, c’est à l’intérieur même de la base que le
candidat UNR fait distribuer tracts et journaux. »
Le
Monde note, sous la signature de Vianson Ponté :
« A Rouen, à Orléans, à la
Rochelle surtout, ces comités d’Action Civique disposant d’armes à feu (à la
différence des groupuscules dissous) se sont employés, parfois avec un tragique
succès, à maintenir la tension et à rechercher la violence. Est cela qu’a voulu
le chef de l’État ? »
Nous
voici à la veille des élections.
Deux
opinions en présence à gauche :
1ère) L’Extrême gauche estime que les
élections seront perdues car :
Plus de 3 millions de gars (jeunes et émigrés) qui
sont très actifs dans la lutte sociale, n’ont pas le droit de vote.
Le système électoral est tel qu’il faut trois fois
plus de voix pour un député de gauche que pour un député de droite.
Beaucoup de salariés réalisent ces faits, et, écoeurés
de voir qu’on a bradé leurs revendications essentielles pour ce jeu de
tricheurs, n’iront pas voter.
2ème) Le PCF estime que la droite a peur
car elle est sûre de perdre les élections. Elle les perdra car la brutalité de
son État a violemment choqué « l’opinion publique ».
L’écrasante masse des salariés votera à gauche car c’est
le meilleur moyen de garantir les avantages arrachés par la grève.
Réflexion :
Jusqu’à ce à ce jour, l’hypothèse d’un échec électoral dû aux « excès
gauchistes » n’a pas été évoqué. Comment d’ailleurs aurait-elle pu l’être
quand pour chaque pavé lancé, les commandos
gaullistes ont tiré une rafale de mitraillette.
24
Juin.
Après
le premier tour des élections, gros titre dans l’Humanité :
« Après le chantage à la peur
favorisé par les éléments gauchistes, nette poussée à droite. »
En
page 4, il est prouvé que la violence gaulliste n’a pas effrayé les
électeurs :
« Jusqu’au dernier
moment : série d’agressions gaullistes contre des militants d’organisations
démocratiques. »
Plus
de dix localités sont citées. Matraques, coups de feu, engins explosifs.
Les mêmes procédés que lors de la montée de Mussolini,
mais pour René Andrieu, les coupables
furent ceux qui ripostaient par des pavés aux grenades des CRS et aux
mitraillettes des nervis :
« Il serait sans doute intéressant pour l’histoire
de savoir exactement qui a pris l’initiative des « barricades » de la
rue Gay Lussac, même si des étudiants de bonne foi se sont laissé prendre dans
la nasse policière... Chaque barricade, chaque voiture incendiée apportait des
dizaines de milliers de voix au parti gaulliste. Voila la vérité. » page1.
Il
serait également intéressant pour l’histoire de savoir qui prit l’initiative d’attaquer
la Bastille, de s’opposer aux troupes de Thiers qui venaient récupérer les
canons parisiens, d’appeler à la révolte les marins de la mer Noire, etc... Les
marxistes ont déjà répondu à la question. Les non marxistes ont vu la main de
la Prusse, puis celle de Moscou, de Pékin etc. René Andrieu fait partie de la
deuxième catégorie. Au comble de sa colère, il met des guillemets à barricades.
Noble vengeance. Si on l’agace davantage, il n’hésitera pas à mettre des
guillemets aux blessés des barricades eux-mêmes.
Martine
Monod est priée de s’étouffer avec ses histoires de grenades explosives et de
bouchons de réservoirs d’essence. A partir de ce jour, les policiers n’ont
incendié aucune voiture.
Reste
à savoir pourquoi chaque balle des nervis gaullistes n’a pas apporté dix
milliers de voix au PCF ?
Mais
si l’éventuel succès électoral de la gauche permettait d’appeler à la reprise
du travail, l’échec n’empêche pas de continuer sur la même voie.
L’Humanité
24 Juin, page 4.
« Citroën. Le personnel se
prononce ce matin.
Réduction d’horaire : 1/2
heure au mois d’octobre 1968 ; 1 heure en octobre 1969.
Salaire : 11 à 13 %.
Jours de grève : 50% du
salaire entre le 20 Mai et le 21 Juin (récupérables en principe).
On peut toujours, comme tente de le
faire la CFDT, se singulariser en faisant la fine bouche.
Le syndicat CGT décide d’appeler
les travailleurs à se prononcer massivement pour la reprise du travail sur la
base des résultats obtenus. »
25
Juin
« Citroën, les métallos
victorieux ont voté la reprise du travail. »
Pas
un seul point des revendications du début n’a été satisfait : ni les 40 heures,
ni les 1000 francs mini mensuels, ni l’échelle mobile, ni l’abrogation des
ordonnances. Il est maintenant impossible de parler d’une première manche qui
sera consacrée par la victoire électorale.
Aussi,
Krasucki déclare aux ouvriers de Citroën :
« Prétendre qu’il est possible
maintenant, après cinq semaines d’obtenir un meilleur résultat en prolongeant
la grève, c’est vous conduire à l’aventure, à l’isolement et à l’échec. »
(L’Humanité du 25, page 12).
C’est
assez juste, mais savoureux dans la bouche de celui qui a tout fait pour isoler
Citroën, et affirmait que la solidarité financière suffirait à empêcher l’isolement
des métallos.
Ce
que le journal du PCF omet, c’est que Krasucki s’est fait huer par les
grévistes et n’a pu se faire entendre qu’en invoquant « la liberté d’expression. »
L’Humanité omet aussi sa dernière phrase :
« Vous ne ferez évidemment pas
cette folie. »
La
reprise est acquise par 13184 voix (71,1%) contre 5.251 (28,3%).
Ces
pourcentages sont remarquables après cinq semaines de grève.
Dans
les 13184 voix, il y a les jaunes traditionnels, les ouvriers influencés par le
PCF et beaucoup de travailleurs qui ne voyaient plus d’issue.
Mais
les 5251 voix contre la reprise, c’est une base très importante pour la
renaissance d’un mouvement ouvrier réellement révolutionnaire.
Les dirigeants CGT ne s’y sont pas trompés et ont très
vite invité la direction Citroën à licencier les militants d’extrême gauche, y
compris ceux qui sont dans la CGT. Un tract dit que :
« Les gauchistes n’ont plus
leur place, non seulement dans la CGT, mais dans l’usine même. Hors de l’usine
les provocateurs. »
Dans
une usine où le mouchardage est si bien organisé, un tel tract est une pure
dénonciation et l’expression d’un front unique entre exploiteurs et
bureaucrates contre les révolutionnaires.
La
direction Citroën donnera bien vite satisfaction aux leaders de la CGT. Un peu
plus tard, le syndicaliste le plus modéré aura, lui même, intérêt à s’écraser.
Et la direction CGT se lamentera.
Sur
les traces de l’Humanité, le Populaire de la SFIO note :
« Il faut apprendre à quelques
jeunes que les barricades dans certaines circonstances ne servent qu’à faire
libérer Salan et à faire élire des godillots. » (Claude Fuzier)
Ceux
qui ont un peu de mémoire se souviennent pourtant que naguère, à Alger,
quelques barricades et quelques tomates incitèrent les dirigeants SFIO à
apprécier Salan.
Dans
son édito de l’Humanité, en page 1, René Andrieu continue à passer en revue les
causes de l’échec :
« Rien ne montre plus
clairement l’injustice du mode de scrutin actuel que la répartition des sièges
après le 1er tour. Avec 43% des suffrages, les gaullistes et leurs alliés
obtiennent 142 députés. Avec 40 % les formations de gauche n’en obtiennent que
6. A la proportionnelle le PCF disposerait de 91 sièges dans la prochaine
assemblée. »
Façon
élégante de dire : Elections... piége à cons.
Préparation
du 2ème tour des élections.
26
Juin.
Roger
Ballanger (PCF) à la télévision :
« Une telle majorité
(gaulliste) donnerait au pouvoir et au patronat les moyens de reprendre par la
hausse des prix, les avantages substantiels obtenus par la lutte des
travailleurs. »
« Elle conduirait à nouveau le
pays au désordre et remettrait en cause les conquêtes sociales. »
« A
nouveau... au désordre » .Voila comment sont caractérisés les deux mois
que nous venons de vivre. C’est d’ailleurs ainsi que les voient tous les
réactionnaires du pays, et ils en tirent la conclusion qu’il faut non une
majorité de gauche, mais une augmentation du nombre des CRS.
Peugeot,
Citroën et Renault augmentent de 3% le prix de leurs voitures.
Hausse
des loyers et des tarifs publics.
Des
nervis gaullistes attaquent des cheminots à la gare St Lazare. René Andrieu
écrit à ce sujet :
« La réaction immédiate de
leurs camarades -arrêt du trafic, hier, de midi à 18h-devrait suffire à
rappeler aux gaullistes l’existence d’un seuil qu’il leur serait dangereux
de franchir »
Il
est bien agréable de savoir que si les gaullistes pouvaient « écraser
impitoyablement » des millions de grévistes, il y a, après la
démobilisation des travailleurs et la victoire électorale de la droite, un
seuil qu’ils ne peuvent franchir sans danger !
Dans
« Le Populaire » du 25 Juin, Guy Mollet écrit :
« Cent drapeaux noirs dans les
rues de Paris ont plus fait pour le néo-gaullisme que 10 années de
pouvoir. »
S’il
y eut tant de drapeaux noirs, c’est peut-être parce qu’on ne voit plus les
emblèmes de la SFIO à la tête des travailleurs en lutte. Et si on ne les voit
plus, c’est (entre autres raisons) parce qu’un certain Guy Mollet alla naguère
chercher De Gaulle à Colombey.
27
Juin
A
la télévision, Guy Mollet s’étonne :
« Ce n’est pas le moindre
paradoxe de ce premier tour que de voir certains Français choisir comme
pompiers pour éteindre l’incendie, ceux là même qui par leurs fautes en sont
responsables. »
Comment
le petit peuple s’y retrouverait-il quand Mollet lui même ne sait pas très bien
s’il est incendiaire ou pompier.
Le
journal ultra réactionnaire Rivarol ne fait pas dans le détail et estime que
toute la gauche est responsable du succès gaulliste :
« Les barricades et les grèves
n’ont abouti qu’à rehausser le piédestal sur lequel est juché De Gaulle. »
Le
deuxième tour des élections approche. L’Humanité rengaine, provisoirement, les
injures contre les bandits gauchistes. Ils deviennent des « esprits légers ».
Laurent Salini écrit l’éditorial :
« Le désordre est le thème
majeur du gaullisme et quand les agents du pouvoir ne trouvent assez d’esprits
légers pour leur offrir des prétextes, ils ne craignent pas de créer l’événement,
de provoquer. ».
Il
est bon de savoir que si De Gaulle n’avait pas souhaité les élections, mais
écraser les millions de grévistes, il aurait su « créer l’événement ».
En
modérant ses attaques anti-gauchistes, mais en se présentant en même temps
comme le champion de l’ordre, Salini se retrouve assis entre deux chaises. Il
ne gagnera pas sur sa droite ce qu’il perdra sur sa gauche.
28
Juin
« Après la Sorbonne, l’école
des Beaux Arts occupée par la police. Aucune arme ni explosif n’ont pu être
trouvés, de la même façon que le blessé de la Sorbonne est apparu ensuite comme
un pur prétexte à l’intervention. » L’Humanité.
« Citroën : Débrayages pour
des revendications particulières. »
« Berliet : 5000 métallos
répliquent à une sanction prise contre un chef d’atelier. Le bureau confédéral
de la CGT publie un communiqué :
« Il demande que soient prises
toutes les mesures qui s’imposent pour garantir le pouvoir d’achat des
travailleurs par l’application de l’Échelle mobile des salaires et d’assurer le
plein emploi. »
Il
y a deux sortes de mesures : Celles qu’on impose et celles qui s’imposent.
29
Juin
A
la veille du deuxième tour, la direction PCF opte résolument pour la main
tendue aux gens d’ordre. Plus la moindre risette aux gauchistes. Rappel en même
temps aux salariés que leur « grand triomphe » ne vaudra pas grand
chose s’ils votent mal.
Waldeck
Rochet à la télévision :
« C’est en provoquant la peur
que le parti gaulliste a remporté dimanche dernier une victoire. Comme il
continue à jouer sur la confusion et le mensonge, je tiens à rappeler que le
PCF n’a rien eu de commun avec les groupes soi-disant révolutionnaires dont il
a dénoncé les méthodes dès le début. »
« Assurer le succès des
candidats des partis de gauche, c’est la seule façon d’éviter que les avantages
récemment acquis par les travailleurs manuels et intellectuels ne leur soient
repris par le grand patronat. »
Il
n’y a, donc, plus la moindre confusion car, page 4 :
« Je ne pense pas que le PCF
ait cherché à prendre le pouvoir par l’insurrection. »
Qui
dit cela ?
« M. Robert Poujade lui même, secrétaire
général de l’UD 5éme »
1er
Juillet.
La
victoire électorale gaulliste est complète...et ceci en dépit du fait que les
nervis du régime aient assassiné à coups de revolver un jeune communiste, la
veille des élections à Arras.
Dans
l’Humanité du 2juillet, René Andrieu écrit un certain nombre de bonnes choses
sur la voie parlementaire :
« Aujourd’hui, tout le monde
officiellement a le droit de déposer un bulletin dans l’urne, mais par le
miracle du scrutin majoritaire, la classe ouvrière qui est la classe la plus
pauvre ne dispose pas de la représentation à laquelle elle a droit.
C’est ainsi que le PC qui devrait
avoir 94 sièges à la proportionnelle, n’en a que 33. Pour élire un député
communiste, il faut en moyenne 135 000 voix. Pour un député gaulliste, il
suffit de 27 000 voix. »
René
Andrieu n’est pas né d’hier. Il ne vient pas de faire une découverte. C’est
cependant le même homme qui écrivait un mois plus tôt :
« Tout se passe comme si le
pouvoir redoutant le verdict des électeurs... etc. »
Et
cet honnête homme conclut son édito du 2 juillet par :
« Le PC a obtenu 4 millions et
demi de suffrages dès le 1er tour, l’ensemble de la gauche, plus de 9 millions.
Il y a là une force suffisante pour défendre les intérêts des travailleurs dans
le respect de la légalité républicaine. »
Et
dans tout ce numéro de l’Humanité, on feint de découvrir ingénument que ce pour
quoi on a accéléré la reprise, c’était pour un jeu de tricheurs.
Page
4, un titre :
« Ne pas oublier le truquage. »
Le
truquage, c’était justement d’oublier le truquage avant les élections.
Page
5 :
« Dans de nombreux départements,
des centaines de milliers d’électeurs de gauche n’ont pas de représentation
parlementaire. »
A
noter aussi, le record d’abstentions au Quartier Latin : (35,6%) et l’on a
décompté dimanche 26 973 bulletins blancs. (Dans le 5éme arrondissement, il y
avait un candidat PCF au second tour.) Et pourtant la masse des étudiants ne
vote pas. Et si quelqu’un a vu les barricades de près, c’est bien l’électeur du
Quartier Latin.
Dés
le lendemain des élections, la police occupe les facultés de Droit, Sciences Po
et Langues Orientales :
« Le syndicat CGT de la
recherche scientifique a élevé hier matin une énergique protestation. »
Aux
élections professionnelles à Renault Cléon. 1er collège ouvriers : CGT :
53,84 % contre 64,4% l’an dernier ; CFDT : 39,61% contre 30 % l’an
dernier.
Livio
Mascarello secrétaire de la CGT déclare :
« Pour la classe ouvrière, il
s’agit...d’imposer l’échelle mobile et toutes les mesures garantissant le
pouvoir des travailleurs contre les hausses des prix. Exiger la garantie de l’emploi
et donner du travail aux 500 000 chômeurs actuels. Poursuivre et intensifier
(sic) la lutte pour l’abrogation des ordonnances antisociales. »
Et
il termine par cette remarquable pensée :
« La droite a marqué des
points, mais maintenant il va falloir qu’elle prenne ses responsabilités. »
L’Humanité du 02 Juin, page 4.
A son
tour, la Fédération CGT de la métallurgie déclare :
« L’action doit se poursuivre
pour que les autres revendications non satisfaites le soient dans la prochaine
période.
Il s’agit notamment de la
discussion d’une nouvelle convention collective, de l’abrogation des
ordonnances antisociales, de la garantie du pouvoir d’achat par l’échelle
mobile des salaires. »
En
somme, l’Echelle mobile a, presque toujours, figuré dans la panoplie des revendications
syndicales... sauf dans la période où on pouvait l’imposer.
L’Échelle
mobile fait un peu penser au fusil de chasse de Poil de Carotte.
Ce
dernier s’en va chasser avec son cousin. Tout fier, c’est lui qui porte l’unique
fusil. Un lapin passe à portée. Le cousin s’empare du fusil et tire. Le fusil
revient dans les mains de Poil de Carotte... et en repart aussitôt qu’une
perdrix attire l’oeil du cousin. C’est le retour à la maison. Le père les
accueille sur le pas de la porte et avise Poil de Carotte trébuchant sous le
poids du fusil : « Mais c’est toi qui a tout le temps eu le
fusil ! »
« Presque »
répond Poil de Carotte, philosophe.
ANNEXE 1
Tract
distribué à 2 000 exemplaires, au lendemain des élections par le Comité d’Action
du 5éme arrondissement occupant le théâtre de l’Épée de bois :
Qui a fait peur à qui ?
Devant
le résultat des élections, chacun se pose la question : Pourquoi ?
Il
y a trois réponses principales :
1ère
réponse
« De
Gaulle a fait peur » dit toute la gauche officielle. Oui, mais de
quoi ? Il a parlé des barricades et de l’aboutissement qui serait le
TOTALITARISME.
La
gauche « officielle », PCF en tête, clame : « Ce sont les
barricades qui ont fait peur. »
Notons
tout de suite que, sans les barricades, les jeunes ouvriers et étudiants
auraient toujours été balayés par la police en une heure. Souvenons nous que
les « respectables » manifestations organisées jadis par la direction
PCF coûtèrent 9 morts à Charonne, sans qu’un seul CRS soit sérieusement blessé.
Belle tactique vraiment.
Notons
que depuis dix ans, de l’aveu même de De Gaulle, ce sont les barricades qui l’ont
obligé à parler de réformes, à passer des nuits blanches, puis à aller
consulter à Baden-Baden ses budgétivores traîneurs de sabre.
Notons
que sans les barricades, il n’y aurait pas eu le plus puissant mouvement
ouvrier que la France ait jamais connu.
Notons
que, de l’aveu de responsables CGT (Ravaux, secrétaire CGT de l’enseignement
technique), « Les assassinats de Sochaux montrent assez que la police n’hésite
pas à tirer sur les ouvriers, même s’ils ne dressent pas de barricades. »
Notons
enfin que la violence ne semble pas toujours faire peur aux électeurs, puisque
De Gaulle ne s’est pas gêné pour utiliser des gangsters notoires, armés, non de
pavés, mais de pistolets et mitraillettes pour tirer sur des travailleurs
parisiens.
Et
souvenons nous, pour terminer sur ce point, que toutes les fêtes nationales
française, anglaise, américaine, etc, célèbrent des actions directes de
masses et non des élections.
Et pourtant, c’est vrai, quelque chose a
fait peur.
Toute
l’habileté de De Gaulle a été de faire croire que le mouvement des étudiants et
des jeunes travailleurs ne pourrait conduire qu’à un certain « totalitarisme »
que Waldeck Rochet a toujours exalté mais que le peuple vomit.
C’est
vrai que des millions de salariés ne veulent pas un « socialisme » à
la sauce de Moscou.
C’est
vrai que, même à l’Est on a manifesté contre « la nouvelle bourgeoisie
rouge ».
Pas
besoin de suivre la politique pour savoir que le bureaucrate russe est aussi
goinfre et aussi insolent que l’exploiteur français.
Pas
besoin de suivre la politique pour savoir qu’un fonctionnaire prétentieux et
ignare décide en URSS de ce qu’un écrivain aura le droit d’écrire.
Pas
besoin de lire un journal pour constater qu’on voit chaque été, en France, des
jeunes de nombreux pays, mais pas de l’URSS.
Ce
n’est pas le mouvement de lutte des jeunes qui a fait tort à l’idéal
socialiste, c’est la ligne de la direction du PCF.
De
Gaulle a MENTI en faisant un ignoble amalgame. Le socialisme que nous voulons
est aux antipodes de celui de Waldeck Rochet.
La
preuve ? Qui attaqua le plus systématiquement le mouvement étudiant ?
La direction du PCF.
Quelle
presse fut la plus discrète sur les événements de Mai ? La presse de
Moscou. Voila la vérité.
Nous
luttons pour le socialisme. De Gaulle a menti en faisant croire que c’est pour
le NKVD.
2ème réponse.
Jadis,
la gauche savait dénoncer le caractère truqué des élections bourgeoises.
Aujourd’hui encore, elle en parle timidement...à l’occasion d’un échec... et
tout en laissant croire que le procédé est cependant assez valable. Mais la
gauche « officielle » des croulants et des chauvins ne peut taper
vigoureusement sur certains clous.
Or :
- Quand on ferme la bouche à 2 millions de jeunes
grévistes, mais qu’on donne la parole à des religieuses cloîtrées et aux barbeaux
de Pigalle ;
- Quand on ferme la bouche au maçon espagnol qui a
fait en vingt ans plus de 500 maisons sur le territoire français, mais qui ne
peut cependant obtenir sa naturalisation ; tandis que l’on consulte le
légionnaire qui obtient le titre de français parce qu’en cinq ans il a détruit
500 maisons ;
- Quand on découpe le territoire de telle manière que
la voix du chouan le plus « béni-oui-oui » vaille celle de dix
ouvriers ;
Bref,
quand on a affaire à un tel système de tricheur, le peuple laborieux ne peut
pas gagner.
Parce
que nous sommes vraiment démocrates, nous disons que la dernière
consultation est une fumisterie. Et nous vous invitons à contester cette sale
partie de belote, parce que ceux qui ont battu les cartes sont des tricheurs
avérés.
3éme réponse.
Mais
voici le plus grave.
Alors
qu’il y eut 10 millions de grévistes, aucune tentative ne fut faite pour
rechercher une plate forme revendicative commune avant les entretiens de
Grenelle.
- La
trahison commence quand, face à l’armée ennemie unie, l’action de notre armée n’est
pas coordonnée.
- La
trahison se poursuit quand on sort de Grenelle avec des mégots... et le sourire
quitte à changer de visage quand la masse ouvrière crie « Scandale ! »
- La
trahison continue quand, après le coup de poing de De Gaulle sur la table et
son rassemblement (à grands coups d’autocars), on ne fait plus la moindre
manifestation de masse et on pousse même le vice jusqu’à supplier les salariés
de ne pas aller à celles de l’ UNEF.
- La
trahison s’achève quand on se replie sur le corporatisme et qu’on invite chaque
bataillon à se débrouiller séparément contre une armée ennemi qui fait bloc.
- La
trahison pue quand on ment en disant « Reprenez ici, car les copains de
là-bas ont déjà repris », et quand on a le triste culot d’expliquer aux
gars de chez Citroën : « Vous restez isolés », alors qu’on a,
justement tout fait pour aboutir à cette situation.
Avant même que les élections commencent,
la gauche a été roulée, ficelée et vendue.
Or,
réfléchissez bien :
Quelques
millions de salariés avaient simplement suivi le mouvement. Ils n’étaient pas l’avant-garde.
Ils étaient devenus sceptiques depuis tant d’années de petites gré-grèves bi
mensuelles d’une heure.
Mais,
une fois dans le coup, tous ces hommes auraient bien voulu qu’un tel effort ne
soit pas vain. Cette masse relativement flottante a bien compris que la
direction « officielle » du mouvement ouvrier ne voulait pas la
victoire.
Napoléon
soulignait déjà :
« Si
l’armée recule, les saxons vont changer de camp. »
Bien
des hommes se sont senti hélas (mais cela s’explique) une âme de saxon en
voyant les grosses finesses de Séguy. Ce ne sont pas eux les coupables. On ne peut
jeter la pierre à celui qui plonge en voyant que le capitaine conduit le bateau
sur des récifs.
Pourtant
nous devons dire à tous ces hommes. Votre réaction ne fut pas bonne. L’eau
gaulliste est boueuse. Elle pue le mazout et le profit. Demain il faut changer
de tactique. C’est le capitaine qu’il faudra balancer à l’eau pour sauver le
navire.
Pour
cela il faut, dés aujourd’hui, méditer, s’éduquer et s’organiser.
Car
le seul cadeau gaulliste de l’année ne peut être qu’une augmentation du coût de
la vie, de l’effectif des C.R.S. et du nombre des jeunes chômeurs.
Ce n’est qu’un début, continuons le
combat !
En
Avril, nous n’étions pas mille « enragés » dans tout Paris.
En
Juin, il y en eut bien plus, rien que chez Citroën.
Comité d’Action. 5éme Arrondissement