La Colonne Fabien

 

Dans les premiers jours de septembre 1944, peu de temps après l’insurrection de Paris, une colonne de FFI commandée par Fabien quittait la capitale pour l’Est.

Le but était de former un noyau de FFI combattant en Lorraine. Autour de ce noyau se rassembleraient les volontaires des régions de l’Est et les unités de Paris qui rejoindraient le groupe de Fabien le plus rapidement possible.

Ainsi, l’état se trouverait devant la réalité d’une armée FFI combattant effectivement sur le front ; et de cette façon naîtrait la « grande armée populaire ».

Tel était le projet du Parti communiste français, exposé par le colonel Fabien dans des réunions d’officiers.

Il partit donc avec l’approbation du PC, mais contre le gré du commandement militaire français qui, à l’époque, ne tenta pas de s’y opposer par la force.

Quelques unités FFI de Paris (caserne de Reuilly - Fort de Bicêtre) rejoignirent la colonne en Lorraine après de grandes difficultés : manque de camions, entraves mises par l’état-major, etc. Le commandant de ces unités fut menacé de 30 jours de forteresse pour avoir rejoint l’est sans autorisation.

Le Groupe Tactique Lorraine fut constitué.

Il était composé dans sa grande majorité d’anciens FTP. La plupart des officiers étaient membres du Parti Communiste.

Une compagnie faisait exception. Celle qui fut formée dans le maquis par le capitaine Neuville, ancien Camelot du Roi, et commandé par des aspirants de Saint-Cyr.

Au début, les officiers du PC préconisèrent la formation de cellules dans les unités. Des comités de soldats furent créés et la presse du PC fut largement diffusée.

Comme il fallait s’y attendre, l’intendance française se garda de fournir le moindre ravitaillement au GTL qui dut avoir recours à toutes sortes de réquisitions.

Par la suite le colonel Fabien réussit à s’intégrer au corps d’armée américaine du général Walker, et pendant un certain temps, le GTL mangea des conserves USA.

Cela dut naturellement se payer d’un peu de bagarre devant Metz, à Gravelotte et d’autres lieux.

Les FTP ne demandaient d’ailleurs qu’à combattre, mais ne s’attendaient pas à la façon dont ça allait se passer.

Le commandement américain refusa de fournir des casques et les FTP durent subir tête nue, un violent tir de mortiers allemands pendant tout le temps qu’ils restèrent en ligne. Le GTL perdit du monde dont l’adjudant Lucciani, vieux militant du PC, et le capitaine Neuville.

La déception fut grande parmi les soldats. Le seul résultat positif fut la récupération de quelques dizaines de fusils américains ramassés sur des morts. Ainsi, petit à petit, chaque soldat posséda une arme.

Dans le courant d’octobre, le GTL partit aux environs de Thionville.

Afin de pouvoir réaliser son grand projet d’ « armée populaire », le colonel Fabien faisait son possible pour donner aux troupes l’aspect d’unités régulières.

De-ci, de-là, il réussissait à trouver des capotes, des pantalons, etc. ça ne se fit pas en un jour, mais c’était encore relativement simple. Le plus dur était de donner à des FTP l’apparence de soldats ordinaires, de gens qui n’ont pas d’autre opinion que celle du commandement.

C’était nécessaire pour être toléré par les autorités américaines et françaises. Afin d’avoir le droit de risquer sa peau, il fallait avoir l’air bien pensant…

Mais il n’était pas facile de faire accepter ce point de vue par des FTP qui se souvenaient tout de même qu’ils étaient des prolétaires avant d’être soldats.

Le passage de plusieurs unités du GTL à Hayange et Knutange dans le bassin de Briey se fit poing levé au chant de l’Internationale.

Les gardes mobiles rencontrés en cours de route se firent conspuer.

L’accueil des masses ouvrières de la région fut très sympathique, mais le commandement allié dut voir cela d’un mauvais œil. Il devenait de plus en plus difficile de faire plaisir à tout le monde.

Une compagnie en cantonnement à Fontoy arrêta des fascistes italiens. Le lieutenant FTP qui commandait cette compagnie, fut engueulé et les autorités lui firent comprendre qu’il n’avait pas à s’occuper d’épuration.

Les soldats voyaient les ex SA se promener tranquillement dans le patelin et se faire pointer simplement tous les matins à la gendarmerie. Aussi, les FTP commencèrent à demander à haute voix, ce qu’ils étaient venus fiche en Lorraine.

En allant à l’exercice les compagnies chantaient « Zimmerwald » et « Marchons au pas, camarades ». Dans plusieurs compagnies les soldats tenaient régulièrement des réunions de comités et prenaient contact avec les mineurs et les métallos lorrains.

Par contre, le commandement du GTL commençait à s’inquiéter au sujet de ces comités qui enlevaient de l’autorité aux officiers, et cherchait à les supprimer.

De là naquit un certain mécontentement qui, joint à l’ennui, à l’impossibilité d’avoir des permissions, faute de camions, etc, tourna bien souvent au découragement.

Des soldats désertèrent et, dans plusieurs cas, les autorités militaires de Verdun facilitèrent aux déserteurs le retour à la vie civile. Ainsi, on aboutissait à cette double situation :

            D’un coté, des soldats mécontents de voir l’esprit du GTL devenir petit à petit celui de l’armée bourgeoise ;

            D’un autre coté, l’état-major réactionnaire qui ne se laissait pas toucher par les avances de Fabien et faisait tout son possible pour détruire le GTL.

Fin octobre, la colonne Fabien arriva à Montmédy. Une unité FFI de Paris réussit à tromper la vigilance du ministère de la guerre et à rejoindre le GTL. Ce fut la dernière. Le rêve d’armée populaire en régime capitaliste était à l’eau.

A partir de ce moment, la colonne ne fit que perdre du monde. La compagnie de feu capitaine Neuville se disloqua. Une de ses sections déserta avec armes et bagages, et son chef obtint du général Koenig un papier légalisant sa désertion !

Ainsi, les manœuvres de l’état-major se poursuivaient contre le GTL…

 

La fin du GTL et la mort de Fabien

 

La compagnie de feu capitaine Neuville se disloqua. Une de ses sections déserta avec armes et bagages, et son chef obtint du Général Koenig un papier légalisant sa désertion !

Ainsi les manœuvres de l’Etat Major se poursuivaient de l’extérieur… et même de l’intérieur des GTL.
Fabien dut créer un deuxième bureau pour essayer de déjouer les plans du deuxième bureau officiel.

Le commandant du 2ème régiment Marrois, fut cassé de son grade pour n’avoir rien fait pour prévenir et empêcher le départ de la compagnie citée plus haut.

 

Au début, des officiers laissaient entendre aux soldats qu’il s’agissait de 5ème colonne, mais le Colonel Fabien remit les choses au point en parlant aux compagnies rassemblées, et à travers ses propos un peu obscures, on sentait que le commandant Marrois sabotait, en contact avec le ministère de la guerre.

C’est la raison pour laquelle il ne fut pas arrêté, mais simplement diminué d’un grade.

Des ordres du PC arrivèrent. Le coup de barre à droite de Fabien s’accentua. Il eut une garde composée uniquement d’Arabes. Ce genre qui rappelait les Mamelouks, choqua plus d’un FTP

Un Mess d’officiers fut créé et les soldats en furent choqués d’avantage. Un curé vint traîner ses chausses dans toutes les réunions de Fabien. Des capitaines commençaient à aller à cheval.

Un jour, dans la cour de la caserne, un lieutenant fit une remarque à deux soldats qui chantaient « La Jeune Garde ». Cela fit sensation.

 

Pour tous, consciemment ou inconsciemment, il devenait plus clair qu’il était impossible de maintenir une armée populaire dans un système capitaliste. Aussi la désagrégation commença.

Certains officiers, membres du PC, tout en tirant les mêmes conclusions que les soldats, commençaient à s’accommoder très bien de l’idée d’une armée bourgeoise où ils garderaient leur grade.

Par contre, plusieurs FTP partaient en  raison que cette armée ne les intéressait plus.

D’autres soldats désertaient également, en disant qu’au point où on en était, ils allaient plutôt s’engager dans une autre armée où là, du moins, ils auraient des chaussettes de rechange et un équipement complet.

Le GTL ne pouvait rien contre ceux qui partaient, puisque personne n’avait signé quoi que ce soit.

Beaucoup de FTP restaient encore et cherchaient une solution. Dans les chambrées, on lisait sur les châlits : « A quand l’Armée Rouge française ? »

Les soldats discutaient, et les officiers en général, faisaient tout pour supprimer les comités de soldats. Ça devenait d’ailleurs facile puisque les soldats ne croyaient plus en la possibilité de faire du neuf dans le cadre d’un régime qui restait le même.

 

La lecture des journaux écœurait :

« Untel, et untel, libérés à Drancy. Les autres reçoivent du beurre et du chocolat. »

« Le gouvernement veut dissoudre les Gardes civiques. »

Le bruit courrait qu’il y avait des bagarres à Paris entre les flics et les gardes civiques. Et les soldats disaient : « C’est sur Paris que l’on devrait marcher ! »

 

Le coup de masse arriva.

Le gouvernement exigeait l’intégration du Groupe Tactique de Lorraine dans la 1ère Armée française de Delattre de Tassigny.

« Signez et vous aurez un équipement complet… et l’intendance française vous prendra définitivement en charge… et vous participerez à la victoire, etc. »

Un bon nombre de FTP qui étaient resté jusque là, refusèrent de signer et rentrèrent dans la vie civile.

D’autres, pensant que la mobilisation serait bientôt décrétée, signèrent.

Les culottes de peau gagnaient une manche jouée « perdant » au départ par les responsables du GTL.

L’armée populaire de Lorraine avait vécu.

 

Plusieurs camarades ont dit qu’ils trouvaient étrange la mort de Fabien.

En effet, « l’Humanité » a déclaré qu’il avait été tué sur le front en préparant une opération. Or le colonel Dax, le commandant Lebon, Fabien et sa secrétaire ont été tués en même temps. Bizarre !

D’un autre côté, on a fait courir le bruit dans certains milieux du PC que Fabien avait été tué accidentellement dans sont bureau en étudiant une mine. Curieuses contradictions !

Par contre un soldat du GTL racontait ainsi dans une lettre, la version qu’on leur avait donné de la mort de Fabien : « Une patrouille allemande aurait percé nos lignes et fait sauter le Pc du colonel Fabien. Depuis c’est un officier de Delattre de Tassigny qui nous commande. » Tout cela est bien étrange.

 

Fabien, Dax et Lebon, trois grands animateurs du GTL meurent en même temps !

Si c’était un coup de la « classique » 5ème colonne de Hitler, « l’Humanité » l’aurait dit ! Or elle se contente d’une version fausse de toute évidence.

Mais souvenons nous des manœuvres du 2ème bureau contre lesquelles Fabien dut lutter.

Pour appliquer les directives du PCF, il enleva tout caractère prolétarien à son unité, et appliqua quantité de mesures réactionnaires. Mais, malgré tous les gages donnés aux bourgeois, pour ces derniers, Fabien restait le FTP Fabien. Il restait un homme dont la bourgeoisie ne pouvait pas être certaine dans l’avenir…. Et il commandait des centaines d’hommes.

 

Fabien est mort « …et depuis c’est un officier de Delattre de Tassigny qui nous commande. »

Tout devient clair. Mais aujourd’hui, le PCF ne parle même plus « d’armée populaire ».

L’union sacrée avec les culottes de peau bat son plein. Et à cause de son pacte avec le gouvernement, le PC trahit la mémoire d’un homme qui l’a servi jusqu’au bout, en n’osant même pas dire la vérité sur la mort du FTP devenu le colonel Fabien.