FPA 1954

Nous finissons notre stage de six mois dans un centre de formation professionnelle accélérée. Nous avons appris à dresser, charioter, aléser, filter. Nous savons faire des cames, des pas carrés. Nous avons fait des pièces au centième…etc.

Maintenant nous cherchons du travail. Depuis une semaine, on épluche les petites annonces. Chaque matin on dépense 50 francs de métro pour rien.

Aujourd’hui encore nous avons fait la queue (« Ne rentrez pas tous dans le bureau, Attendez dehors ! ») :

-          « Vous sortez d’un centre de FPA ?

-          -Oui, oui !

-          -Mais il nous faut des tourneurs très qualifiés !

-          -Mais où voulez vous qu’on se qualifie d’avantage ? Indiquez nous le tuyau. Tout de même on ne fait pas les tableaux de Rembrandt au tour. Laissez nous au moins passer l’essai.

On n’en est pas encore au point de demander à faire un travail de P2 avec un salaire d’OS mais ça vient.

-« Non messieurs, je regrette… »

Ils « regrettent » tous, comme si dans ce régime, la montée des actions pour les uns et le chômage pour les autres, c’était un phénomène comme le tremblement de terre de Quito.

Mais il paraît qu’à Picpus, l’office du travail donne du boulot pour la province. On y court.

Pour Dunkerque, on demande des tourneurs très, très qualifiés. La petite dame nous dit : « Vous comprenez, en sortant d’un centre de FPA, vous n’avez pas beaucoup de chances ! »

Ça n’empêche pas que dans la bicoque il y a une belle affiche : « Pour avoir un métier, Centres de FPA ! »

Nous insistons : « Qu’ils nous laissent au moins passer l’essai ! » Oui mais la petite dame ne peut que leur envoyer des ouvriers très, très qualifiés. Dans ce cas, il y a un billet de transport pour l’aller, et si on est refusé à l’essai qui se passe à Dunkerque, il faut payer de sa poche le voyage de retour.

Notons en passant le tarif de 80 F de l’heure pour un P2

Nous quittons l’office après avoir demandé à la dame d’enlever sa belle affiche.

Nous voici dans le métro. On commence à s’énerver un tout petit peu. Naturellement, ça commence tout doucement à devenir agaçant de voir la bouille bien grasse des flics dans Paris.

Pont de sèvres : Devant le bureau d’embauche de chez Renault, il y a une trentaine de gars, surtout des Nord-africains. Ils attendent patiemment, mais le bureau est fermé.

«  Il ouvrira peut-être courant septembre », nous déclare un gars qui sort un instant pour nous dire que ce n’est pas la peine de faire le pied de grue devant la porte.

On démarre vers le métro. Mais les Nord-africains attendent toujours. Ils doivent chercher depuis plus longtemps que nous.

Ils s’obstinent à espérer qu’un miracle va ouvrir la porte.

Après tout, ils n’ont peut-être plus de fric pour prendre le métro. Il leur reste encore la patience d’être « honnêtes ». ça durera combien de temps ?

Et si ce soir, un bourgeois attardé reçoit un coup derrière l’oreille, dans le 16è arrondissement, il y aura des tas d’idiots ou de salauds pour parler de la méchanceté native des Arabes.

Nous voici dans le métro, il est tard. Les bureaux d’embauche ferment. Le régime sandwich va commencer.

En traversant Paris, nous pouvons lire un peu ce que les journaux disent en dehors des petites annonces. On recherche toujours les voleurs des bijoux de l'Aga khan. Mais les journaux ne pensent pas comme nous, ou alors ils sont plus polis, car il n’y en a pas un pour dire : « Bien fait pour sa gueule ! »