Poème sans titre

ou Monologue avec Dieu

 

 

Toi, qui, à ce qu’on dit, a créé l’univers,

Tu es un drôle de personnage.

Mais où avais-Tu la tête ?

A quoi as-Tu pensé en créant le soleil,

La vigne, la pomme, la femme et l’homme ?

Quand je vois ces bigots qui viennent hurler

Contre le laxisme et l’immoralité ;

Ils se réclament de Toi, sans vergogne.

Mais Toi, comment les juges-Tu ?

Toi qui a créé l’homme, à ton image

Il paraît, et Tu voudrais qu’il soit sage ?

Quand même, le coup de la verge, c’était bien inventé !

Drôlement complexe, drôlement sophistiqué !

Et la femme ! Canaille ! Là, Tu as pris ton temps

Pour peaufiner dans la glaise cette jolie paire de seins

Qui nous ravissent tant. Et ces hanches rondes,

Et ce mont de Vénus, à la fourrure soyeuse,

Et ces lèvres « Sésame » d’un refuge

Délicieusement humide et chaud.

Pour la reproduction, paraît-il, tout ce tralala ?

Allons, laisse moi sourire ; parce qu’en prime,

Et comme dernière trouvaille, Tu as ajouté le plaisir.

 

Franchement, ces bigots et grenouilles de bénitier,

Si c’était à refaire, que crois-Tu qu’ils feraient ?

Rien devant, rien derrière, et on f’rait des enfants

De bouche à oreille, ou d’la main à la main.

Regarde comme ils sont tristes, ceux qui parlent en Ton Nom.

Toi qui es un sacré gaillard,

J’irai même jusqu’à croire un tantinet paillard,

Tu aimes rigoler. Regarde les monastères,

Les églises austères qu’ils T’ont édifiés.

Je parierais que Tu n’y es jamais entré,

A supposer que Tu existes, donc que Tu es.

 

André Calvès

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Probablement une réécriture des fragments de notes déchirées de décembre 1952 à Hanoï ci dessous :

 

Drôlement importante, la guenille…

Même le péché d’orgueil, ça se comprend en fonction des intérêts terrestres, quand on peut s’asseoir sur la tête du voisin ou lui marcher sur le ventre ; mais je n’arrive pas à me représenter le truc avec des âmes.

Je ne te vois pas du tout ayant fabriqué une théorie des âmes aussi vasouillarde, pas plus que je ne te vois dans les édifices sinistres fabriqués à ton intention.

Tu ne dois pas être comme on te représente. Rien que le fait d’avoir fabriqué la femme et l’homme. Riche idée d’ailleurs pour l’histoire de la reproduction, par exemple, il fallait un drôle de cerveau et même, reconnais le, une certaine disposition à la paillardise pour y penser.

Quand on songe qu’en notre siècle, le Petit Larousse illustré fait des manières à propos des organes sexuels, … et Toi, à une époque plutôt arriérée,-il faut bien le reconnaître- tu y as songé d’un seul coup.

Note bien -Tu t’en doutes d’ailleurs - que si n’importe quel curé, pape ou bigote, était chargé de refaire le monde, aucun ne fabriquerait mâle et femelle comme ça.

Non, tu vois la bigote du coin façonnant la verge de l’homme, et le pape tournant dans la glaise, une pointe de sein : une comme Tu sais si bien les faire ? C’est pas imaginable.

Sois tranquille, ces gens là te critiquent discrètement.

Ils n’osent pas trop l’ouvrir parce qu’après tout, Tu es Dieu - et c’est pas donné à tout le monde- , mais je suis bien sûr qu’ils doivent parfois se dire, avec un petit sourire grivois et troublé :

            « Le Seigneur, tout de même, quel gaillard ! Comme On peut s’en permettre des choses quand c’est à Soi de juger les autres, et qu’On n’a de comptes à rendre à personne. »

Crois moi, Dieu, tous ces gens te font du tort ici-bas.

C’est vrai que Tu es un drôle de gaillard. Et c’est pour ça que je te vois mal dans ces églises lugubres. Si ça se trouve, tu n’y entre jamais. Elle serait pas mauvaise, celle-là.

A mon idée, on serait parfois étonné si on pouvait surprendre tes pensées de derrière les nuages.

En supposant que Tu penses, donc que Tu es, bien entendu.