(Émission télévisée du 03/07/1985)
1) Ambiance peu faite pour instruire les gens qui n’ont pas vécu cette
période. Chaban-Delmas et quelques autres excellent dans l’art des roucoulades
sur l’union des résistants, sur l’amour sacré de la patrie. Cela permet
d’escamoter le fait que 98% de la police française collabora très activement
avec les nazis ; le fait que les FTP ne reçurent jamais directement une
arme de Londres Le fait que l’un des principaux soucis des dirigeants
gaullistes était d’éviter une « Commune de Paris », etc.
2) Au cours du débat, on découvre que la direction PCF est encore plus
représentée que prévu. Outre le délégué officiel, il y a un historien en
service commandé et un militant arménien très « dans la ligne ».
Visiblement la droite et les socialistes ne désirent pas faire trop de
peine à la direction PC ? Dans cette affaire, du moins.
3) Quand il est question de la fin de la lettre de Manouchian dans
laquelle il dit avoir été trahi et vendu, le représentant PCF estime évident
que ces propos visent le gouvernement de Vichy ; mais il ne veut pas
savoir pourquoi cette phrase disparut chaque fois que la PCF publia la lettre
de Manouchian. Bizarre ! Il oublie aussi, délibérément, l’histoire de la
brochure sur l’action des militants juifs dans le Sud-ouest et l’ordre qui fut
donné de « franciser » leurs noms.
4) On voit mal, comment, il eut été possible de faire quitter Paris à
tout un groupe de militants qui étaient déjà repérés. Il semble qu’ils auraient
été suivis encore plus facilement en province.
5) On comprend mal comment la direction PCF aurait pu laisser sans
subsides les groupes MOI à un certain moment.
En principe, c’était toujours des équipes FTP qui s’occupaient de récupérer
de l’argent, des cartes d’identité et de ravitaillement. Normalement les MOI ne
devaient pas avoir besoin de la direction PCF pour
s’occuper de cela.
6) Etant donné les points 4 et 5, aucune précision ne permet d’affirmer
que les MOI auraient été trahis par la direction PCF.
7) Ceci dit, il est certain qu’il y eut toujours des équivoques entre
la ligne de ligne de Moscou incarnée par Duclos et les aspirations de la base
communiste.
Il parait plus qu’évident que les MOI devaient
être pleins d’amertume en constatant que pendant une longue période, ils furent
seuls, sur Paris, à mener une action contre l’occupant. Ces militants MOI ne
pouvaient pas ne pas se demander ce que faisait le puissant PCF dans la même
période
S’il y avait eu d’autres compagnies FTP sur la ville, les MOI auraient été soulagés d’autant et l’action de la Gestapo et
des policiers français aurait été bien plus difficile. Or, les communiqués
militaires publiés par la presse clandestine du PCF prouvent eux-mêmes que
pendant une longue période, seuls les MOI combattirent sur Paris.
Pourquoi ?
8) Il est certain que jusqu’à la fin 1943, la nécessité d’une lutte
armée n’était pas évidente aux yeux de beaucoup de militants communistes en
région parisienne. Par contre les militants juifs qui avaient vu toute leur
famille déportée, les militants espagnols qui sortaient d’une dure guerre
civile et qui avaient déjà connu les camps d’internement français, tous ceux là
qui vivaient déjà « hors la loi » étaient acquis à l’idée de la lutte
armée.
Il saute aux yeux qu’ils étaient également acquis à l’idée d’une
révolution sociale. Qui peut imaginer un seul instant que cent militants juifs
hongrois, espagnols, italiens et arméniens aient pris les armes pour la
« patrie française » seuls au milieu de
trois millions de Français qui étaient pour le moins « attentistes ».
Il est significatif que devant le tribunal allemand, le militant
Alfonso déclare : « Les ouvriers doivent prendre les armes pour se
défendre ». Il ne dit pas « les Français » mais bien « les
ouvriers ».
Tout en développant un super patriotisme chauvin dans sa presse, la
direction PCF laissa espérer aux militants de base l’espoir d’une révolution
sociale à la libération. Toute l’équivoque est là !
Une direction digne de ce nom, aurait utilisé le courage et le
dynamisme des MOI pour contribuer à l’encadrement et à l’instruction de jeunes
ouvriers français. Les uns et les autres se seraient instruits et protégés,
alors que des détachements juifs ou arméniens étaient forcément très isolés
dans la population et voués à l’anéantissement. Mais s’ils avaient vécu, il est
plus que douteux qu’ils eussent accepté la formule de Thorez : « Un
seul Etat, une seule armée, une seule police ! »
9) Le moins qu’on puisse dire, c’est que des MOI, morts, causaient
moins d’ennuis à Staline et Duclos que des MOI vivants. On peut honorer les
morts et même s’en parer, alors que les vivants parlent.
Il est notoire que Staline fit massacrer en Hongrie, Pologne et
Tchécoslovaquie tous les hommes des brigades internationales d’Espagne que
Hitler n’avait pas réussi à tuer.
Il est notoire que le chef de l’Orchestre Rouge fut récompensé par dix
ans de prison à Moscou. Dix ans qui auraient été l’éternité si Staline n’était
pas mort. Or, tout comme les MOI, il s’agissait non pas de militants
trotskystes, mais d’hommes qui avaient confiance en Staline. Leur tort était de
croire en un Staline fidèle aux idées communistes. Ils risquaient fort un jour
de devenir des opposants. D’une manière ou d’une autre, beaucoup périrent
« préventivement ».
10) Dans une armée ne règne aucun semblant de démocratie. Quand un
journal écrit : « L’armée est mécontente du gouvernement » cela
signifie simplement que les généraux sont mécontents.
Quand un journal écrit que tel général est une ordure sadique, ce
journal insulte « l’armée » et chaque sergent explique à chaque
soldat qu’il doit se sentir gravement offensé.
Si un soldat ne fait tuer héroïquement à cause de l’ordre imbécile d’un
général, l’armée toute entière est priée de se sentir honorée par cet héroïsme
et le général imbécile ne craint pas de se sentir honoré également. L’armée a
un drapeau. C’est un symbole très important pour le soldat mais peu gênant pour
le général.
Le Parti Communiste de Duclos-Thorez fonctionnait comme une armée avec,
toutefois, un congrès annuel qui n’était plus qu’une ancienne coutume sans
importance.
Jamais un congrès ne décida un tournant important. Les généraux
apportèrent aux troupes disciplinées, le pacte franco-soviétique et la fin de
l’antimilitarisme, le pacte germano-soviétique et la révision de
l’antifascisme, la fin de l’internationalisme et la formule : « À
chacun son Bôche et la France sera sauvée », la fin d’une véritable
volonté de transformation sociale et la reddition des armes.
Jamais un militant ne fut consulté préalablement sur ces questions
capitales Le pli est si bien pris que le militant apprit à la télévision par la
bouche de Marchais que la notion de « Dictature du prolétariat »
n’était plus de mise.
Dans le parti de Thorez-Duclos, le drapeau était le Communisme. Le mot
était devenu tellement détaché du contenu qu’il n’était plus qu’un morceau de
tissu sur une hampe. Symbole très important pour le militant mais peu gênant
pour le général.
Il n’empêcha pas Staline de livrer des militants communistes allemands
à Hitler en 1939. Mais critiquer cette action abominable, c’était faire de
l’anticommunisme ! Ainsi, l’Eglise catholique condamna comme
anti-chrétiens tous ceux qui dénonçaient le luxe du Vatican et la vente des
indulgences,
11) Doit-on conclure que Moscou et le PCF n’ont plus rien à voir avec
la Révolution d’Octobre ?
Ceux qui pensent ainsi réussissent parfois à convaincre des militants,
mais ils ne réussirent pas à convaincre l’impérialisme allemand qui traitait
assez correctement les officiers anglais prisonniers alors qu’il massacrait
impitoyablement les officiers et les cadres soviétiques.
Ils ne réussissent pas à convaincre Reagan qui accuse -à tort souvent-
l’URSS d’aider tous les mouvements de libération. Ils ne peuvent convaincre
nombre d’ouvriers qui voient que deux fois sur trois c’est un militant
communiste qui risque le licenciement pour défendre les revendications des
camarades. Il est certain qu’existe en URSS une couche sociale privilégiée qui
vit sur les acquis de la révolution d’octobre, qui craint un prolétariat
conscient et qui a peur de l’impérialisme. Il est certain aussi que jamais
l’impérialisme n’a attaqué ou menacé l’URSS pour punir les vilains profiteurs
et venger les ouvriers
Le bureaucrate russe a accumulé les crimes à l’intérieur et fait preuve
de myopie politique à l’extérieur. Le résultat a été la montée du nazisme puis
l’invasion de l’URSS. Après avoir dit lamentablement le 22 juin 41 :
« Nous n’avions pas mérité cela » (Molotov) ; après qu’il eut
fallut douze jours à Staline pour sortir d’un silence non moins lamentable, la
bureaucratie s’est ressaisie et a pu conduire une guerre victorieuse car
c’était le sort de tout un peuple qui était en jeu.
Le résultat des actions du « génial » Staline fut, il est
vrai, que cette guerre coûta 20 millions d’hommes à l’URSS contre 5 millions à
1 ‘Allemagne.
La militant de base dont l’éducation politique a été remplacée par la
croyance aveugle dans les « chefs aimés », ne comprend rien lors des
tournants à droite. Lorsque le résultat des ces tournants amène une situation
grave qui menace la condition même du bureaucrate, ce dernier proclame un
tournant « à gauche ». Le militant inéduqué se réjouit, constate à
voix haute que les chefs n’ont pas changé et attribue son trouble passé au fait
qu’il n’est pas assez instruit par sa propre faute,
Ce militant se lance dans la lutte, et il a raison car c’est aussi son
sort qui est jeu, et c’est seulement dans la lutte qu’il a quelques chances de
mieux comprendre la situation et de peser sur elle.
Par milliers, par dizaines de milliers, des militants déçus, écœurés,
demeurent sur le bord de la route. Souvent ils sont écrasés tout de même.
Les combattants des MOI sont morts, mais en marchant !
Honneur à eux
3/7/1985