Le 06 mars 1986

 

Réflexions candides d’un spectateur de la campagne électorale télévisée.

 

 

Suivant l’exemple pudique de tous les grands partis, commençons par le chômage.

 

La Droite a porté un coup dur au Président en montrant un extrait de film de 1981 où l’on voyait Mitterrand assurer qu’il ferait reculer le chômage d’un million de personnes en un an.

Merde ! Il avait dit cela l’animal ! II avait dit aussi un tas de choses sur l’école laïque, sur l’Ordre des médecins. Mais la Droite est discrète à ce sujet.

On devrait commencer toutes les campagnes électorales en montrant des films de la campagne précédente. Dans le cas du parti de Le Pen, il faudrait, c’est vrai, montrer Doriot ou De la Rocque à la tribune.

 

Quoi qu’il en soit, le Parti Socialiste assure que le chômage plafonne et ne saurait tar­der à reculer. Mais, depuis qu’il nous a fait le coup des T.U.C, on a le droit de se montrer plus que méfiant.

La Droite s’attendrit sur les chômeurs comme s’il n’y avait pas déjà un bon paquet au tempo de Giscard. Cette droite clame que la solution est l’économie libérale... comme chez madame Thatcher où les chômeurs de longue durée dépassent les trois millions.

Le patronat français intervient pour rabâcher que le chômage reculera si les patrons peuvent licencier à leur convenance.

Ça ne parait pas du tout évident. Et, par dessus le marché, on a l’impression que le gouvernement socialiste n’a pas tellement gêné les patrons qui voulaient licencier.

 

Puisqu’il est question d’économie libérale, on parle donc de « dénationaliser ». Il parait que cela coûtait cher. La bourgeoisie est bien placée pour le dire, puisque c’est elle qui touche les grasses indemnités. Le menu peuple ignore généralement que, même les gros actionnaires des chemins de fer; de l’EDF et des charbonnages continuent à toucher de très jolis magots !

En quelques circonstances (de plus en plus rares) le Parti Socialiste chante « …Les rois de la mine et du rail, ont-ils jamais fait autre chose que dévaliser le travail… ». (L’internationale) Mais, dans la pratique, on demande au Travail d’indemniser les « dévaliseurs ». Cela prouve que le mot « nationalisation » exige quelques précisions.

Certains pensent que cela veut dire « Les entreprises reviennent à la Nation ».

D’autres estiment que les entreprises « privées hier », deviennent simplement la propriété collective de la classe bourgeoise.

Qui a raison ?

Pour le savoir, il suffit de constater que les sociétés « nationalisées » continuent à verser de fortes cotisations à la confédération du patronat français. Cotisations qui servent à financer les campagnes de la Droite contre le gouvernement socialiste.

 

Le P.S. n’est sans doute pas heureux de cette situation, mais il n’en parle pas dans les élections. Pourquoi ? Parce que ce serait avouer que le vrai maître, ce n’est pas lui, et qu’il continue d’être ce que Blum avait appelé « Un gérant loyal de la société capitaliste ».

 

Ceci dit, il est permis de se demander pourquoi la Droite veut « dénationaliser » certaines entreprises alors qu’elle n’a pas perdu un centime dans l’affaire des nationalisations ? Puisque la Télévision demeure muette sur ce point important, je suis bien obligé d’émettre une hypothèse. (D’ailleurs, vous avez sûrement remarqué que la télévision n’explique jamais rien, et même plus le menu des repas à l’Élysée. Sur tous les points importants on est obligé de chercher dans sa propre tête).

 

Pendant longtemps (du temps de Giscard entre autres) l’État refilait des milliards aux patrons de la sidérurgie qui passaient leurs moments de loisir à pleurer. Cet argent filait on ne sait où. (Au fait, qu’est-ce que le gouvernement Fabius a fait des listes de fraudeurs qui ont planqué des milliards en Suisse ? Je pose la question car je ne compte pas sur Chirac, ni sur Lecanuet) Total : la sidérurgie continuait à se mal porter.

Avec les nationalisations et l’argent des contribuables, on a pu moderniser pas mal d’industries. Maintenant que c’est fait, beaucoup de bourgeois verraient d’un œil serein la « privatisation » de ces industries. Ils n’ont jamais rien perdu mais ils pourraient gagner plus. C’est tout simple. Et c’est vieux !

 

Au lendemain de la guerre, les industries minières britanniques étaient très vétustes.

Les accidents de travail étaient légion et aucun patron n’estimait pouvoir vendre sa villa de la Côte d’Azur pour moderniser. Donc le gouvernement travailliste « nationalisa » .Le contribuable ouvrit son escarcelle pour « moderniser ». Quand cela fut fait, un autre gouvernement « re-privatisa ».

La recette sert toujours.

 

Mais, tout cela c’est des broutilles. L’important pour les grands partis, c’est la cohabitation ou la non cohabitation. Voila qui passionne les foules.

 

La Droite fulmine à l’idée qu’un président peut se maintenir alors qu’il est désavoué par le suffrage universel. Elle n’a pas tort en un sens. Mais, après tout, c’est elle qui a inventé cette Constitution avec un parlement de quatre ans et un président de sept ans. Ce qui gêne la Droite c’est que quelqu’un d’autre se serve de son coup tordu. Cette droi­te française ne manque pas d’un culot phénoménal. Vous l’auriez entendue hurler si en 1981, les socialistes avaient dit : « Par son vote le peuple français désavoue implicitement le Sénat réactionnaire. Il n’a qu’à partir. Par son vote le peuple français indique qu’il ne veut plus ce Conseil constitutionnel. Qu’il foute le camp ».

 

Chose étrange, le Parti Socialiste n’a jamais tenu de tels propos. Il est bien mieux élevé que la Droite. A moins qu’il ait toujours adoré qu’on lui « mette des bâtons dans les roues » Déjà, en 1936, les vilains radicaux l’avaient obligé à « faire la pause ». Aujourd’hui, sans cet abominable Sénat, la France serait un pays vraiment laïque .A cause du Sénat, on n’a pas pu toucher à l’Ordre des médecins instauré par Pétain. Mais le Sénat n’a pas empêché du tout d’amnistier les généraux OAS avec rappel de solde. Salaud de Sénat ! Irremplaçable sénat !

 

Ainsi, la bataille Droite Gauche se fait à fleurets mouchetés. Cette méchante Droite se garde de rappeler que Mitterrand qualifiait jadis la Constitution gaulliste de « Coup d’État permanent ».

Elle se garde de dire : « Puisque vous avez le pouvoir, pourquoi n’avez vous pas changé la Constitution ? » C’est le genre de questions à ne pas poser. Cela pousserait à bout les socialistes qui seraient capables de vendre la mèche à force de fureur :

« Nous n’avons jamais eu le pouvoir, le vrai pouvoir. La Constitution gaulliste naquit sous la menace des baïonnettes. Nous avons le droit de tout faire sauf ce qui contrarierait ceux qui détiennent les baïonnettes. Voila la vérité ».

Impossible à avouer devant la Télé. C’est pourquoi le combat à fleurets mouchetés continue.

 

D’une certaine manière c’est tout de même un combat.

Des gens qui servent le même système peuvent se détester. Le personnel politique de la Droite regrette certains fromages. Le maire de Nice allait paisiblement dix fois aux Etats-Unis avec des garanties diplomatiques. Le jour où il n’en a plus, les douaniers fouillent ses valises et le poursuivent depuis pour trafic de bijoux. C’est contrariant pour un champion de la sécurité et de la rigueur de la justice à l’égard des voleurs de bicyclettes. Giscard a la nostalgie des diamants et des Safaris. Beaucoup de gens du S.A.C rêvent à la belle époque où l’on pouvait exhiber des cartes tricolores entre deux hold-up. Il faut bien l’avouer, cette Droite comporte un nombre non négligeable de voyous et de trafiquants.

 

Face à ce ramassis, la direction socialiste apparaît composée d’hommes intègres et dévoués.

Mais, après le Rainbow Warrior, le meurtre de canaques indépendantistes, l’accueil du bourreau de Haïti et les coups de crosses aux grévistes, on est en droit de penser que les ministres intègres sont en train de prendre de mauvaises habitudes.

Petit à petit on s’installe dans le système.

 

En 1981, Mitterrand ne voulait pas voir d’avions militaires dans une exposition aéronautique (Tiens, si on repassait le film à la télé). Petit à petit, faute de vrai socialisme, on admet que la lutte contre le chômage passe par la fabrication d’armes. Des milliers d’êtres humains en Irak et en Iran portent dans leur corps des souvenirs du gouvernement socialiste qui feint de s’indigner quand, quelque part, dans le monde, des Français sont pris en otages.

Notez bien que la Droite ne braille pas sur le sujet. Elle pense même qu’on ne fait pas assez d’armes. La pauvre armée française a honte !

 

La Parti Communiste est également muet sur la question. Il serait très peiné si le prochain sous-marin nucléaire n’était pas construit à Cherbourg et le prochain porte avions à Brest. Quoi qu’il dise, par ailleurs, c’est, concrètement, pour lui, la seule solution au chômage.

 

Ainsi, petit à petit les dirigeants socialistes s’installent dans le système.

Le Président semble avaler une petite dose de ciment armé à chaque déjeuner .Il a de plus en plus le sens de la famille. Jusqu’à Huguette Bouchardeau qui réalise combien dans le passé elle fut injuste à l’égard des champions de la chasse à courre.

Fabius avait été « troublé » par l’arrivée du général polonais, mais pas du tout par la venue de l’assassin Duvalier (Au fait, que fabrique la douane française quand un trafiquant de devises débarque avec des millions de dollars ?)

Le ministre des affaires étrangères n’est pas troublé quand on livre à l’Irak des hommes promis à la potence. D’abord, c’est pas lui. C’est qui ? On ne sait pas. Mais c’est lui le ministre. Peu de choses en somme.

La preuve ? Il n’est pas au courant quand deux cargos quittent la France bourrés d’obus pour le proche Orient.

Bref, ces dirigeants socialistes ont beau se laver chaque matin, il leur devient de plus en plus difficile de rester propres, en serrant toute la journée des mains sales ou sanglantes.

 

En conclusion :

Si je ne réussis à ne pas me passionner pour les heures d’émission consacrées à la cohabitation entre Mitterrand et Chirac.

Si je persiste à penser qu’on se fout du monde en affirmant que le droit total de licenciement peut assurer des emplois.

Si je continue à croire que les hôtes de Bokassa et Duvalier n’interviennent pas au Tchad parce que Kadhafi est méchant, mais pour sauvegarder les privilèges des multinationales en Afrique.

Si j’affirme qu’il n’y a que mensonges dans les propos de ceux qui prétendent améliorer le pouvoir d’achat des travailleurs tout en investissant des milliards dans les bateaux de guerre et les avions de combat.

Alors, j’élimine tous les grands partis pour flagrant délit de canaillerie et je ne m’intéresse qu’aux petites listes.

Celles qui n’ont que trois minutes et demi de parole.

Trois minutes et demi... Temps minutieusement calculé après des essais prouvant que c’est très insuffisant pour permettre à la vérité de sortir d’un puit.