Trotskyste et... FTP
J’ai lu dans « Rouge» du 24 octobre l’entretien avec Pierre Goldman. Il parle d’une «gravissime erreur » : la ligne défendue par la IVème Internationale de 1940 à 1944.
Le lecteur reste sur sa faim. De quelle erreur ?
Il s’agit pourtant d’une période capitale. J’espère que le journal reviendra sur la question, car il me semble qu’il n’est pas possible de former des militants si on escamote les problèmes qui se posent dans les moments décisifs.
J’essaie de deviner à quoi Goldman fait allusion et je veux apporter un petit élément à un débat utile.
En octobre 1943, je fuis la Bretagne après la trahison de Conrad Leplow, la déportation des copains de Brest et Quimper et le passage par les armes des soldats militants allemands. Pendant l’hiver 1943-1944, je milite à Paris et collabore à la rédaction de « la Vérité» clandestine. Puis je rentre dans les FTP, sans accord avec l’organisation et tout en taisant, bien sûr, ma qualité de militant trotskyste. A aucun moment je n’ai coupé le contact avec le PCI. Les copains ne sont pas hostiles. Ils pensent seulement qu’avec un nombre si restreint de militants, il est plus utile de militer à l’usine que de devenir permanent FTP.
Dans la compagnie « Saint-Just « qui se forme, je trouve des jeunes qui « veulent faire quelque chose», mais pas un seul stalinien borné. Cependant, le « régional » et le commissaire aux effectifs sont des militants PCF «dans la ligne». Vu le cloisonnement obligatoire, je peux discuter sans crainte «à la base». Mais, pour obtenir quelque crédit, il faut se qualifier d’abord dans les diverses actions.
Quand je deviens commissaire technique, il m’est possible d’expliquer beaucoup de choses à un nombre plus élevé de copains.
Sur quelle base ? Par exemple : au lendemain du carnage d’Asq, le « régional » réunit les responsables et ordonne que, dans la semaine, chaque FTP doit tuer un soldat allemand. J’en discute avec les camarades. Nous n’appliquerons pas l’ordre. Nous ne chercherons à tuer que des SS ou des miliciens...
Un jour, le « régional » dit que nous serons mis en contact avec la milice patriotique du métro, afin d’initier des gars à la récupération d’armes. Cela était très intéressant. Trop. Nous n’avons pas eu le contact.
Lors de l’insurrection de Paris, nous étions dans le XIXème. Nos prisonniers ont été traités correctement (un îlot dans le flot chauvin). Nous leur avons même fait un exposé sur la résistance, l’internationalisme, etc.
Septembre 1944. Nous rejoignons Fabien en Lorraine. Grand projet d’armée FFI, avec des perspectives d’unification « avantageuse » avec les unités de Leclerc, etc., afin de faire une « nouvelle » armée.
Mais si on respecte les règles du jeu de l’État bourgeois, on dépend de lui pour le ravitaillement, le transport, etc. 100 000 FFI auraient volontiers rejoint Fabien. Or, nous n’avons jamais été plus de 3 000. Pour payer une unification « avantageuse » il a fallu en faire, des choses vaines. Donner à l’État l’image d’une armée « classique ». Pas de politique, un aumônier au PC (poste de commandement) quand pas un chat n’allait à la messe, des chevaux aux officiers, des messes pour les officiers, des soldes différenciées, etc.
Avec tout ça, on était « respectable » Les FTP « de base » commençaient à être écœurés.
L’État bourgeois ne désarmait pas pour autant. Un jour il a fallu accepter « l’intégration » à l’armée De Lattre. Sous quelle menace ? Tout bêtement les vivres coupés.
Fabien a accepté. La majorité de la colonne a accepté. Je suis revenu à Paris avec presque toute ma compagnie.
Les officiers FTP disaient « il faut accepter pour éviter l’invasion des culottes de peau ». « On nous garantit que les unités FTP ne seront pas fragmentées », « les officiers FTP resteront avec leurs hommes », « On nous garantit » « On nous garantit... »
Trois mois après, De Lattre obtenait quelques succès retentissants en Alsace, au prix d’un véritable massacre de FTP. On appela ce monsieur dans « la Vérité » : « Marâtre de FFI »... Mais qui demande des comptes à un général ?
Puis Fabien et deux autres commandants de la colonne moururent le même jour. Des copains restés dans la colonne m’écrivirent aussitôt qu’ils avaient été assassinés par un quelconque service secret. « L’Humanité » respectant l’Union sacrée feignit de croire qu’ils avaient été tués par une patrouille allemande qui aurait fait sauter le Poste de commandement. Vingt ans après, « l’Humanité » daigna s’interroger sur ce drame.
Et voilà. Je suis toujours convaincu que la ligne de la IVème Internationale était juste. On peut imaginer qu’au point de vue tactique, si nous avions investi plus de copains dans les FTP, nous aurions pu marquer le coup quand Thorez, au cours de l’hiver 1944, décréta que « les formations irrégulières » devaient rendre leurs armes à la police... de Vichy !
Sans doute, mieux que des tracts, cela aurait pu rester dans la mémoire ouvrière. Sans doute. Mais, en ce cas, Goldman nous fait beaucoup d’honneur.
Nous étions peut-être deux cents militants en France, et une centaine dans les camps de concentration nazis. On a fait ce qu’on pouvait, au prix de tas d’erreurs, proportionnées à notre nombre squelettique.
Mais, en face de nous, il n’y avait pas que les nazis. Il y avait ceux qui clamaient « A chacun son boche ! » y ceux qui placardaient en août 1944 « Respect de la propriété commerciale et autres », ceux qui appelaient Dassault un « industriel patriote » (il avait donné 100 000 F pour la collecte de « l’Huma ») ; ceux qui recommandaient de tondre les filles qui avaient couché avec un Allemand (ça distrayait le peuple, et il ne s’occupait pas d’Hersant pendant ce temps).
C’était une période assez difficile.
André Calvès
Rouge n° 494, lundi 7
novembre 1977