Le 12 juillet 1985

 

 

Lettre aux camarades Chauvin, Chaouat, Hantsen, après lecture de leur texte intitulé

« Il n’est plus temps de courir, il faut réfléchir un brin ».

 

1) D’accord avec le souci de présenter un front des révolutionnaires aux prochaines élections. Mais qu’entendez vous exactement par « le plus large éventail de courants politiques et sociaux » ?

Vous craignez, après 1986, « un effacement de l’extrême gauche révolutionnaire ». Cela n’est-il pas encore plus à craindre après l’échec électoral d’un front sans beaucoup de principes ?

 

2) Comment imaginer un front quand on ne commence pas d’abord par savoir ce que l’on veut exactement.

Or, il me semble que votre texte n’a plus que de lointains rapports avec ce qui fut, jusqu’ici, l’analyse trotskiste ou léniniste.

 

3) « Il est temps de dire haut et fort que la bureaucratie moderne est une classe sociale ».

Votre analyse semble un peu maigre et je préfère celle de Trotsky, même si elle date d’un demi siècle. Si je pensais comme vous, je dirais aussi que « Marx n’avait pas prévu ce détour de l’histoire » ; mais j’ajouterais que toute lutte du prolétariat n’a servi qu’à faire naître et prospérer une nouvelle classe d’exploiteurs ; que cette lutte fut donc assez inutile et qu’il vaut mieux dormir aujourd’hui sur ses deux oreilles.

J’ai toujours cru comprendre, naïvement peut-être, que chaque classe sociale dans l’histoire avait eu un rôle nécessaire lié à l’état de l’économie. Si une nouvelle classe est née, quel espoir gardez vous ?

 

4) Depuis fort longtemps, bien d’autres ont défini la bureaucratie comme une nouvelle classe. Je n’ai jamais entendu dire que cette analyse les avait aidé à construire une nouvelle organisation révolutionnaire. J’en connais, par contre, qui en arrivent à considérer que s’il faut choisir entre deux « classes », la bourgeoisie est un petit peu plus « démocratique ». Ceux là, tout en s’affirmant « socialistes » en arrivent à choisir Reagan contre Castro !

 

5) Vous avez sans doute raison de penser que les organisations révolutionnaires manquent d’analyse devant les nouvelles réalités socio- économiques. Mais je ne trouve pas les vôtres satisfaisantes du tout.

Lorsque la science « sèche » un temps, devant de nouveaux phénomènes, il se trouve un tas de gens, sympas ou non, pour réintroduire Dieu, la sorcellerie et mille vieilles formules réactionnaires.

 

J’ai songé à cela en lisant :

            « La complexité toujours croissante de la société rend de plus en plus utopique quelque forme d’égalitarisme primaire. »

            « A moins d’être utopiste, il faut dire que des choix de priorité sont inévitables. Et que, pour l’avenir prévisible, d’immenses zones d’inégalité seront maintenues par la force des choses et la rareté. »

Même si votre texte était un tonneau du meilleur vin, il serait entièrement gâché par ce verre de vinaigre.

Les problèmes d’économie n’ont jamais été mon fort, et si je vous dis qu’il ne pas semblé que vous apportiez grand chose à la compréhension de l’avenir, je ne suis sûrement pas une référence. Par contre, je comprends très bien qu’à vos yeux, les révolutionnaires de jadis n’étaient que des utopistes, vu que la « rareté » était mille fois plus réelle qu’aujourd’hui.

 

C’était donc folie de lutter contre une bourgeoisie qui était entièrement justifiée par « la force des choses et la rareté ».

Je me demande sur quel chemin vous vous engagez.

André Calvès