Conte « prématuré » de Noël

Ou l’histoire du Rainbow Warrior

 

 -Grand père, raconte nous l’histoire de ta guerre contre les écologistes !

 -Moi, je m’occupais des taupes et je ne voulais pas d’action terroriste, mais les p’tits gars des groupes d’intervention ne pensaient qu’à ça.

Au lendemain de la guerre mondiale, il y eut dix colloques civils et militaires insistant sur le fait qu’un soldat ne doit pas accepter d’ordres cruels. Notez bien qu’on visait le temps de guerre. Douce rigolade ! En pleine paix, nous avions des gaillards volontaires pour mitrailler leur grand mère. Depuis qu’il ne se passait plus rien au Tchad, ils se démoralisaient. A la limite, ils auraient des bateaux de pêche, pour se prouver qu’ils existaient.

 

 - Mais tout de même, grand père, l’ordre est venu d’amiraux !

 - Hé oui, on peut devenir amiral tout en restant débile mental. Il faut avouer que depuis la guerre 14-18, nos amiraux n’avaient pas coulé un seul navire étranger. Ils avaient encore sur le cœur, les trois cent mille tonnes de navires français qu’ils avaient bousillé à Toulon. Il leur fallait une revanche, même minuscule !

Ajoutez à cela qu’ils vomissaient le gouvernement socialiste et voyaient une occasion de l’emmerder.

 

 -Mais grand père, dans ton service, tous vomissaient le gouvernement.

 -Ne dites pas de bêtises ; aucun gouvernement n’a autant fait pour nous.

 - Vous y aviez des taupes ?

 - Il faut des taupes partout, mais c’est une activité mineure.

 - Grand père, ça doit pourtant être délicat

 - ça dépend. Plus un parti a des principes, plus il a des débats démocratiques, plus il fait l’éducation de ses militants, plus il est difficile de l’infiltrer. Dans ce cas, on cherche plutôt à acheter un des dirigeants existants, en oubliant, par exemple, un sachet de morphine chez lui.

Par contre, dans une organisation basée sur l’autorité et la discipline, une taupe peut arriver au sommet. Dans les années cinquante, un fou, évadé d’un asile, faucha un uniforme de général et passa une garnison en revue. Il commit diverses excentricités, mais les capitaines, lieutenants et adjudants se contentèrent de murmurer : « Le général a un petit grain. » après tout, ce n’était pas le premier.

Ce qu’un fou peut réaliser, une taupe le fera encore mieux.

 

 - Grand père, on a dit parfois que Hernu était une taupe infiltrée dans le PS.

 - Bêtise, bêtise.

 - Pourquoi bêtise ? Parce que le PS était un parti démocratique où l’on discutait et où on élisait les dirigeants ?

 - Ne me faite pas dire ce que je n’ai pas dit. Le PS n’était rien de ce que vous imaginez :

La démocratie ? Mitterrand était le chef inamovible ! Il arrivait d’ailleurs systématiquement deux heures en retard à chaque congrès afin que personne ne se trompe. Il se coula dans la constitution honnie de De Gaulle sans qu’un seul député socialiste ose lever le petit doigt.

Les débats ? Quels débats ? Pas un militant de base sur cent n’était capable d’expliquer les divergences théoriques entre Mitterrand et Rocard. Il lui aurait, d’ailleurs, fallu expliquer de quel Mitterrand il parlait : celui de 1980 ou celui de 1985 ?

Puis de quel Rocard il était question : de l’ami des paysans travailleurs en 1980 ou de celui qui était cul et chemise avec les minotiers en 1984.

Non, non, les enfants ! Au PS on ne votait pas pour une orientation, mais pour un caïd.

Le niveau théorique ? Mais c’est le plus « révolutionnaire » du PS qui se dépêcha d’introduire « le sang impur qui abreuve nos sillons » dans toutes les écoles de France aussitôt qu’il fut ministre.

 

 - Mais alors, grand père, il était facile d’introduire des taupes dans un tel parti.

Pourquoi dis tu « sottises » quand on fait allusion à Hernu ?

 - Mais les enfants, j’ai dit « sottises » parce que j’avais précisé tout à l’heure que l’introduction de taupes est une activité mineure. Le fin du fin est de construire soi-même une organisation.

Déjà sous le temps du Tsar, la police secrète fabriquait des groupes terroristes. Naturellement, il fallait bien trucider un archiduc parfois, mais c’était bien plus pratique que l’entretien des taupes.

Bien plus difficile est de réaliser un parti politique, car toutes les places sont occupées. Parfois, rarement, l’opportunité se réalise.

Quand la vieille S.F.I.O. de Mollet agonisa sous les tomates d’Alger, la France se trouva devant un grand vide. Il fallait absolument un parti qui ne porte plus devant les socialistes de France, les stigmates de la vieille S.F.I.O. ; un parti q qui, toutefois, agisse comme cette S.F.I.O., c’est à dire, promette n’importe quoi à la veille des élections, et fasse ensuite la politique que nous souhaitons. Toute la difficulté fut de trouver un homme qui aurait un passé solide et qui réussirait à le faire oublier. Mitterrand fut l’homme idéal. Personne d’autre n’aurait réussi à serrer la main des communistes après avoir fait guillotiner certains des leurs en Algérie.

 

Grand père se recueillit un instant et conclut modestement

 - Voyez vous, nous n’avions pas besoin de taupes puisque c’est nous qui avons inventé le nouveau parti socialiste.

 - Mais, dis nous encore, grand père. Quand on propulsa à la tête du parti des fusillés, un p’tit gars qui, à 23 ans s’était obstiné à ne pas entendre le vol noir des corbeaux sur nos plaines, c’était encore un de vos coup ?

 - Non, j’avoue que ça aidait bien Mitterrand, mais c’était pas nous.

 - C’était les services secrets soviétiques ?

 - On n’a jamais pu le prouver, et on voyait mal leur intérêt, à priori.

 

Grand père ralluma sa pipe et murmura comme pour lui même :

 - Si par extraordinaire ce sont les Ruskofs qui ont fait ce coup, ça prouve que les services secrets français ne sont pas les seuls à faire des conneries.

 

André Calvès

            Tourquelenec le 23 septembre 1985