DOCUMENT
L’auteur de ce Petit lexique revient d’Indochine où il a séjourné deux ans
comme militaire. Ces notes ont été rédigées sur place.
PETIT LEXIQUE,
POUR SERVIR A L’HISTOIRE
DE LA GUERRE AU NORD-VIETNAM
Par ANDRÉ CALVÈS
ACTION
Le
scout doit faire sa bonne action quotidienne. C’est un des principes
fondamentaux du mouvement créé par Baden Powell
Ça
ne souffre pas de discussion dans la petite ville de province où la B.A.
classique consiste à aider les vieilles dames à traverser la grande rue.
Mais,
quand le boy-scout grandit, puis s’en va outre-mer, il se révèle que son bagage
moral est insuffisant et que l’exécution simpliste de la « Bonne Action »
peut faire passer un frisson dans le dos.
Le
Bulletin de Liaison des Scouts de France,
Route d’Indochine de septembre 1953 mentionne l’existence d’un Clan Routier
à la base aérienne de Cat-Bi.
Voici
un aperçu de l’activité des membres du clan et des services rendus :
« Remplacement
comme volontaire de tout camarade qui loyalement, ne peut, pour raison de
fatigue assurer son travail : écoute radio chargement des bombes et du
napalm sur les avions, etc…
«
Messe hebdomadaire, le jeudi, avec offrande du travail de la journée, de la
part de ceux qui, pour des raisons de service, ne peuvent s’y rendre. »
En
ce mois de septembre 53, il y avait, route de Sontay à Hanoï un gentil petit
gosse, cireur de souliers, qui se tenait toujours devant le même bistrot. Ses
jambes portaient d’affreuses plaies suppurantes car, l’année précédente, il
vivait dans un village qui fut bombardé au napalm.
Quand
le petit cireur et le brave scout se trouveront devant Dieu le père, à
l’occasion du Jugement dernier, il faut souhaiter que ça discute ferme sur le
« bon», le « bien», la «fin » et les «moyens».
AUMÔNIER
En
dehors du rôle classique -sacrements aux mourants, etc.- qui est dévolu aux
prêtres, les aumôniers du Corps expéditionnaire remplissent deux tâches
principales.
1° La lutte contre
le péché.
Par
péché, il ne faut pas comprendre le fait de rôtir vivants des femmes et des
enfants. Il n’y a pas eu dans le bulletin de l’Aumônerie Catholique une seule
protestation contre les bombardements de villages au napalm. Aujourd’hui, comme
hier, Dieu reconnaîtra les siens. Le péché, le seul, l’unique, c’est celui de
la chair. L’aumônerie catholique s’est spécialisée dans la lutte contre les
débordements amoureux : lutte agrémentée, parfois, d’un léger parfum raciste.
Dans
Le Centurion de novembre 1952, il est
question d’un militaire qui commet le crime d’avoir une petite amie
vietnamienne au lieu de se garder pur pour le mariage, le vrai, qu’il fera un
jour en France.
Le
bon apôtre lui dit :
-
« Commence par liquider ta congaïe puis va te confesser. »
Un
chrétien raconte ses aventures amoureuses à L’Antenne d’août 53
« Un
soir, je n’ai plus tenu, ça a été une vietnamienne, puis ça a été une autre
vietnamienne.
Puis,
ça a été une Française. Là, j’ai eu peur du définitif, cela devenait grave. »
2° La
justification de la guerre.
L’aumônier
X s’adresse aux soldats africains :
-
« Chers soldats africains du Tonkin, vous êtes bien loin de votre pays :
vous faites une guerre difficile mais indispensable. Vous vous battez très bien
et je vous félicite. » L’Antenne, novembre
1952.)
Pourquoi
la guerre est-elle « indispensable » ? Pour en finir avec le
communisme ? Bien sûr, mais aussi avec les « fausses religions »
L’Antenne de décembre 53 les dépeint :
-
« L’ambiance païenne, les pagodes, les bouddhas ventrus, les dragons, les
écritures cabalistiques, les tortues. Tout cela : des Dieux qui prennent
tout. Leurs temples riches et solides à côté des huttes ».
En
somme, « Trop d’églises en or, et trop de villages sans pain », comme disait Malraux…
à propos de l’Eglise catholique d’Espagne.
Le
candide petit Français, encore plein des souvenirs attendris d’un clergé de
tout cœur avec les salariés, découvre au Vietnam qu’elle est loin d’avoir
disparu cette bonne vieille Église de la belle époque. L’époque de Pizarro et
de Cortès
BAMBOU
Végétal
extrêmement solide, pouvant atteindre quinze à vingt centimètres de diamètre.
Sans
intervention préalable de l’artillerie ou de l’aviation, l’infanterie ne peut franchir des barrages
constitués de bambous.
Une
vieille maxime colonialiste disait :
- « Dieu a fait pousser le bambou près
de l’Annamite pour qu’on puisse en frapper ce dernier. »
Dieu
a également entouré les villages vietminh d’une épaisse haie de bambous, les
rendant par là aussi impénétrables que ses desseins,
BAO DAI
Ex-empereur
d’Annam.
S’adapta
successivement à tous les régimes, sauf au régime sec selon les méchants.
Jouit
du privilège d’être négligé par ses ennemis et méprisé par ses alliés.
Son
existence a tout de même eu un curieux résultat :
Le
Vietnamien le plus ignorant de la langue française sait articuler correctement
: « Empereur de boîte de nuit. »
BAODAISTE
Au
cours d’un séjour de vingt-sept mois, l’auteur de ces lignes a honnêtement et
avec persévérance, cherché un baodaïste
Il
a vu des Vietnamiens travaillant pour l’administration française et disposant
d’un pouvoir d’achat plus élevé que celui de la masse du peuple; des
Vietnamiens possédant auto, ou moto, radio, etc, et disposés, en conséquence, à
suivre l’armée française en Cochinchine, et même plus loin.
Il
a connu des soldats de l’armée Bao-Daï qui disaient aimer ce dernier, de
préférence sur les billets de cent piastres.
Mais
il ne peut affirmer que le militant bao-daïste soit un être qui existe
réellement.
CLASSES
Comme
arme idéologique, le combattant vietminh dispose de la doctrine marxiste.
Sur
ce plan, le soldat du corps expéditionnaire ne possède pas une très grande
documentation lui permettant de se faire une idée sur l’origine des classes
sociales, etc.
Il
faut signaler, toutefois, la brochure Politesse et savoir-vivre, écrite par le
général CALLIES, en 1950 pour l’école d’application de l’Infanterie.
-
« En inculquant le souci d’être poli, elle (l’armée) aura contribué
puissamment au nivellement si désirable des classes sociales et à l’union
indispensable de la Nation.
-
«Si la classe unique existe dans les chemins de fer américains, c’est
essentiellement que tous les Américains ont l’habitude d’être propres et sont
pourvus d’un minimum d’éducation commune, ce qui les rend supportables les uns
pour les autres.
-
«S’il y a, encore, malheureusement trop de classes en France ne croit-on pas
que c’est presque uniquement parce qu’il subsiste trop de différences de
comportement entre Français?
- «Or,
il n’y a aucune raison que certains Français restent sales, débraillés, mal
élevés, c’est une simple question d’éducation. »
Abstraction
faite d’une négligeable petite confusion entre les classes sociales et celles
de la S.N.C.F., il y a là une intéressante et originale interprétation de
l’évolution des sociétés basée sur l’influence du savon de Marseille.
COGNY
Général,
commandant les Forces terrestres du Nord-Vietnam en 1953-54. Homme très
représentatif. Ne circulait à Hanoi qu’entouré de cinq motocyclistes reluisants
et affectionnant les sens interdits.
Convaincu
que le prestige et la « face » sont essentiels en Asie, il a organisé une
remarquable revue, le 14 juillet 1954.
À
beaucoup lu Confucius et Marco Polo, mais négligé, semble-t-il les écrits de
Mao Tsé Tung.
COMPLEXE DE SUPÉRIORITÉ
A
très souvent conduit des officiers supérieurs, lors d’opérations, à transmettre
leurs ordres «en clair » quand le secret eût été recommandé.
Non
content d’utiliser, au besoin, le tam-tam, le Vietminh emploie aussi
l’interception radio, et a parfois réussi à faire bombarder des troupes
françaises par leur propre artillerie.
Le
complexe de supériorité est très commode pour empêcher un Vietnamien de mettre
les pieds dans certains cercles sélects, mais il est très insuffisant pour
empêcher une unité vietminh de rompre un encerclement.
Contrairement
aux affirmations de la doctrine chrétienne, il semble qu’une défaite militaire
détruise plus vite les complexes de supériorité que tous les prêches moraux
d’une troupe d’aumôniers.
COMPLEXE D’INFERIORITE
La
perte de ce complexe, par le peuple vietnamien, vaut pour lui une victoire d’un
prix incalculable.
C’est ce
que ne comprit pas le Haut Commandement français qui, au lendemain de Dien Bien
Phu, faisait état de 20 ou 25 000 soldats vietminh tués, sans tenir compte de
l’effet produit dans les villages par le passage de milliers de prisonniers
portant les uniformes de parachutistes, légionnaires, etc.
DU KICH
Prononcer
« zoukit »
Partisan
vietminh, ouvrier ou paysan.
Travaille
dans la journée et combat la nuit.
Le
Du Kich ne met pas un uniforme pour se battre, provoquant ainsi l’indignation
de tous les militaires, à l’exception des légionnaires allemands, déjà blasés
depuis de longues années sur ces procédés malhonnêtes.
ENTENTE
Il
semble impossible de s’entendre avec des peuples lointains si on n’adopte pas
un système métrique moral qui soit commun à tous les êtres humains sur le
globe.
On
pourrait, par exemple, admettre qu’un homme vaut un homme, quels que soient son
pays ou sa race.
C’est
audacieux, mais il est difficile, autrement, d’engager un dialogue avec :
1) Les Vietnamiens qui ont la fâcheuse manie, quand on
leur parle du soulèvement de Hanoi, où soixante civils français trouvèrent la mort,
d’invoquer le précédent bombardement de Haiphong, où la marine française tua,
comme à l’exercice, huit mille hommes, femmes et enfants.
2) Les Chinois qui ne peuvent parler de Formose sans
vous demander ce que vous penseriez si une flotte américaine venait défendre
une bande d’émigrés réfugiés en Corse et en guerre ouverte contre le
gouvernement français.
EXTINCTEURS SPÉCIAUX
Certaines
conventions humanitaires, auxquelles la France est très attachée, interdisent,
-paraît-il - l’emploi des lance-flammes.
D’où
l’expression « extincteurs spéciaux » utilisée dans la documentation militaire
en Indochine.
Ne
jamais dire : « Nous avons brûlé vifs des vietnamiens au lance-flammes. »
Écrire
: « Nous avons traité un village rebelle avec les extincteurs spéciaux. »
FANATIQUE
Bara
et Viala, mais avec des yeux bridés.
FEUILLET 3
Document
comptable, constituant le seul bulletin d’information à peu près honnête en
Indochine.
Quinze
jours après que le communiqué officiel a annoncé une défaite vietminh à tel
endroit, le Feuillet 3 de perte arrive au Service du Matériel, demandant le
remplacement de 100 fusils, 6 fusils-mitrailleurs et 3 mortiers abandonnés par
les troupes de l’Union Française sur les lieux précis de la « défaite vietminh
».
GIAP
Commandant
en chef de l’armée vietminh.
Bien
que ne disposant pas comme son collègue d’en face, d’une solde mensuelle de 600
000 francs, Giap jouit d’un avantage considérable par rapport au général
français.
Il
ne fait pas des séjours de vingt sept mois. Mais commande l’armée vietminh,
sans interruption, depuis 1945
Giap
a patiemment organisé ses unités régulières, tout en occupant l’armée française
par la guerre des partisans dans le Delta tonkinois.
Très
fermement attaché, pendant huit ans, à la tactique de la guérilla, il a su
rompre brusquement avec cette méthode et rechercher la bataille rangée à Dien
Bien Phu.
Le
général Navarre, indigné, a fait préciser son point de vue à ce sujet, dans le
journal militaire Caravelle du 31-5-54.
-
« La décision du Haut Commandement Vietminh d’intensifier la guerre sur tous
les fronts et de la continuer sans tenir compte de la raison des pluies, a
complètement modifié les données du problème à un moment où notre jeu était
fait.
-
« Elle a faussé toutes les prévisions que, raisonnablement, nous avions pu
faire sur la puissance de l’ennemi et la durée de son effort.»
De
nombreux militaires se plaisent à croire que Giap a fait, ses études à
Saint-Cyr sous un faux nom.
Cela
semble très douteux, car, Giap, absolument fermé à la notion de « baroud
d’honneur », n’a jamais craint d’entamer son prestige en refusant le combat
quand toutes les conditions étaient réunies pour l’anéantissement de son armée.
Le
général en chef vietminh est estimé par la grosse majorité des militaires ‑du
corps expéditionnaire, sauf par certains officiers supérieurs qui lui vouent
une sérieuse rancune.
GUERRE D’INDOCHINE
-
Soutenue par des Partis élus par les 2 /3 des Français, mais impopulaire auprès
des 9/10.
-
Dura cependant neuf ans.
- Eut
très peu de volontaires chez les gens qui votaient pour qu’elle dure, et dut
faire appel à la main-d’œuvre payée. Prime spéciale de 150 000 francs.
-
Fut l’affaire de la « France éternelle », amis compta un combattant français
pour quatre sénégalais, marocains et allemands, qui, en général, estimaient
davantage l’adversaire que l’allié.
-
Tua des centaines de milliers d’être humains, mais pas un seul des
responsables. Ainsi qu’il est de règle.
-
Coûta pas mal d’argent à ceux qui votaient « contre», mais enrichit un bon
nombre de ceux qui votaient « pour ». Car, qui vote pour des idées ?
-
Se termina par où elle aurait dû commencer, sans qu’on puisse dire, pour
autant, qu’elle ait servi de leçon. Sauf aux tirailleurs algériens.
HO CHI MINH
Président
de la République Démocratique du Vietnam.
Tout
comme son adversaire Bao-Daï, a beaucoup vécu en France, mais pas aux mêmes
endroits.
HOMEL
Grande
Brasserie d’Indochine.
Étant
donné le climat et la consommation de liquide, la société HOMEL est aussi
puissante que certains magnats du charbon ou de l’acier.
Les
militaires qui laissent vingt mille francs par mois à cette société ne sont pas
rares.
La
bière HOMEL est nettement plus alcoolisée que la bière française moyenne. De ce
fait, cette société, tout en étant très attachée à la gloire de la France, est
responsable d’un nombre non négligeable de « rapatriements sanitaires ».
LÉGION
Corps
d’élite, généralement stationné en Afrique du Nord et acceptant dans ses rangs,
pour cette raison, tout le monde sauf les Nord-africains.
La
Légion est l’unité qui compte le plus de faits d’armes et de déserteurs.
Tel
légionnaire s’engage en Algérie pour combattre au Tonkin, et se retrouve dans
l’armée égyptienne.
Tout
en auréolant au maximum ce régiment, le commandement l’observe avec une grande
méfiance. .
La
Légion est l’unité où on lit le moins dans les cœurs et le plus dans la
correspondance
LÉSER
«
Il a été signalé que des militaires avaient tenté récemment de faire sortir des
filles soumises des B.M.C. pour vivre en concubinage avec elles.
«
Outre que ces manœuvres ne peuvent que léser l’ensemble des militaires
fréquentant les dits établissements, il est rappelé qu’il est formellement
interdit à tous les militaires européens de vivre en concubinage avec une femme
autochtone.»
(Directive
particulière du général adjoint au Général commandant en Chef, en date du
21/7/51.)
«
Rapport de Garnison No 32. Hanoi. Avril 1952.»
MATÉRIEL
En
Indochine, les camions, les tanks, les avions de l’armée française sont
américains.
Les
canons de 105 Hm2 qui tiraient sur Dien Bien Phu, étaient américains aussi.
D’une
façon générale, il est difficile de faire un pas sans croiser quelque chose
«made in U.S.A.», à l’exception, toutefois, du regard du paysan vietnamien.
Ce
qui prouve qu’à la guerre, le matériel n’est pas tout.
MINES
Armes
de prédilection du guérillero vietnamien.
Le
Vietminh a publié un petit manuel destiné à l’instruction des partisans.
L’extrait suivant donne une idée de la minutie des combattants vietminh :
« Pose de mine sur une route goudronnée.
« Que faut-il? Une touque usagée, deux sacs en
jonc, un bol pour enlever la terre creusée, une barre de fer (ou une dent de
herse), pointue à l’une des extrémités et aplatie à l’autre (long. 60 cm. gros.
20) un poignard, un morceau de pneu, un balai en paille très élimé, un
éventail, une torche électrique ou un briquet, un morceau d’environ un kilo de
goudron, le contenu d’une tasse d’essence, un morceau de toile cirée.
« A défaut d’essence, faire fondre à l’avance
deux morceaux de goudron, dont l’un est à étendre sur une petite claie en
bambou relativement plus grande que la surface de la mine.
« Choisir un bon endroit de la route pour creuser
le trou. Étendre à côté de l’endroit une couverture et les instruments
nécessaires à l’opération. Une fois caché sous la couverture, on commencera à
creuser dans l’asphalte de la chaussée en se servant du bout aplati de la barre
de fer. Quand apparaissent les pierres concassées, les enlever une à une, à
l’aide du bout pointu de la barre. Bien enrouler la barre dans un chiffon pour
ne pas faire de bruit.
« La mine, une fois dans le trou, devra encore se
trouver à un doigt de la surface du sol.
« Enlever la goupille de sécurité et envelopper
la mine dans le morceau de toile cirée avant de l’enterrer. Remettre ensuite
les pierres tout autour pour bien la caler. Veiller à ce que son percuteur
effleure la surface du sol. Verser enfin dessus du goudron mélangé à de
l’essence et égaliser avec la main la couche de goudron jusqu’à ce qu’elle soit
au niveau de la chaussée.
« Avec le doigt, faire disparaître la ligne de
soudure des deux couche de bitume. Couvrir le tout d’une très mince couche de
poussière et, avec l’éventail, souffler légèrement pour enlever une partie de
cette poussière.
« Si l’emplacement de la mine a interrompu une
trace de roue, la reproduire avec le morceau de pneu appuyé légèrement sur le
goudron. Avant de se retirer, se couvrir entièrement sous la couverture puis
allumer la torche électrique et donner un dernier coup d’œil sur l’ensemble.
« Enfin, céder la place à un camarade qui
contrôlera le travail et pourra corriger les petites imperfections.»
NAPALM
Produit
incendiaire à base d’essence et de palmitate.
Bien
qu’il convienne de ne pas sous-estimer son efficacité, semble me pas avoir eu
les résultats attendus en Indochine.
Le
soldat vietminh utilise contre le napalm une légère claie de bambou recouverte
d’un morceau de couverture’
Dissimulé
dans son trou individuel, il se protège de la giclée de napalm grâce à ce frêle
bouclier qu’il rejette aussitôt qu’il brûle.
De
nombreux documents montrent qu’après une attaque aérienne au napalm, les
soldats vietminh avaient conservé toute leur puissance combative.
Le
napalm est particulièrement efficace contre les femmes et les enfants.
Il
n’est d’ailleurs pas exclu que l’inventeur de ce produit ait visé les enfants
plutôt que les soldats, appliquant ainsi une méthode de guerre particulièrement
moderne.
NAVARRE
En
1939, chef de la section allemande du Deuxième Bureau français.
De
1953 à 1954, Commandant en Chef en Indochine.
Dans
ces deux postes, fut trompé par l’adversaire.
NOIR
Militaire
qu’on expédie souvent en Indochine, en lui racontant qu’il va aller voir Paris.
Sa réputation de barbare fut fabriquée par les journalistes de la guerre 14-18.
Le noir est sans doute le moins cruel des soldats du corps expéditionnaire.
Pour cette raison, sa cote a beaucoup baissé dans les milieux militaires. Le
noir est très poli avec les vieillards et aime beaucoup les enfants.
Lui-même
est, généralement, traité comme un enfant par les officiers. Il en a
pris l’habitude, ne dit rien, niais observe et s’instruit S’il est fait
prisonnier, il est tellement surpris de voir le Vietminh lui parler comme à une
grande personne qu’il en tire toutes
sortes de conclusions néfastes pour les intérêts de l’Union Française.
Dans
son numéro spécial 362 sur les troupes noires, la revue des troupes coloniales Tropiques insiste sur «le danger marqué
par le titre de « libérés par le Vietminh.»
La
même revue s’inquiète d’ailleurs aussi de l’état d’esprit des noirs qui n’ont
pas été faits prisonniers, et qui ont même remporté des victoires sur le
Vietminh.
Chose
affolante, cela également leur a donné des idées.
PACIFICATION
Pendant
plusieurs, années, en dépit des discours sur la « souveraineté du Vietnam», la
guerre eut le caractère d’une expédition entreprise contre une colonie rebelle.
Ce
fut l’époque des représailles collectives : «Si un coup de feu est tiré,
tout le village sera brûlé.»
Cette
méthode n’aboutit pas. Elle souda davantage les Vietnamiens autour du Vietminh.
Elle détruisit l’ombre de crédit que pouvait avoir le gouvernement de Bao-Daï.
Elle mécontenta les U.S.A. sans lesquels la guerre n’était pas possible, et qui
n’entendaient pas donner des dollars et de l’armement pour que l’Etat français
retrouvât sa colonie « privée ».
Il
fallut donc mettre, davantage, l’accent sur le «gouvernement vietnamien» auquel
la France venait apporter une aide désintéressée. On dut, en conséquence,
expliquer au monde que ce gouvernement représentait vraiment le peuple, tandis
que le Vietminh n’était qu’une petite minorité dans les villages qu’il
terrorisait.
Il
fut alors question de pacification, Cette nouvelle tactique eut des effets
assez curieux.
Un
certain nombre de vieux militaires de carrière venue « pour mater les
bougnoules », n’étaient pas du tout préparés à l’idée « d’aider les
Vietnamiens à conquérir leur indépendance contre le péril rouge».
Ils
ne s’y adaptèrent jamais. Un Vietnamien ne cessa, à leurs yeux, de rester un
bougnoule. Et, par voie de conséquence, ils ne cessèrent de demeurer, aux yeux
du peuple vietnamien, une armée colonialiste.
Mais,
chose étrange, beaucoup de soldats français qui acceptaient, sans la discuter,
l’idée de soumettre des rebelles et de rendre une colonie à la France, se
mirent soudain à contester la valeur d’une lutte menée pour rendre un trône à
un empereur détesté, et pour écraser le seul mouvement qui eût la sympathie du
peuple vietnamien.
Les
militaires amenés à combattre dans toute l’Indochine ne pouvaient avaler les
sornettes selon lesquelles la masse du peuple était contre le Vietminh. Ils se
seraient diminués eux-mêmes, en admettant la thèse officielle d’une toute
petite minorité « viet ». C’est pourquoi, une certaine confusion régna dans les
esprits des soldats de métier.
Beaucoup
continuèrent à appliquer la tactique du « Tuez tout » (soutenus discrètement
par une bonne partie du Commandement. Voir « V... »).
Mais,
beaucoup aussi (parfois les mêmes) déclaraient que s’il fallait choisir entre
Ho Chi Minh et Bao Dai, ils préféraient nettement l’oncle Ho.
La
concrétisation de cette confusion réside dans le fait qu’il y eut dans peu de
guerres, autant d’actes de cruauté, mais aussi de désertions.
A l’échelon
du Haut Commandement le trouble régna également. La tactique s’en ressentit.
En
fin de compte, avec parfois des réserves hypocrites, le Commandement ne cessa
de mener la forme de guerre qui convenait à sa nature profonde, c’est-à-dire
une guerre colonialiste. A un mois du «Cessez le feu », voici le genre de
tracts qu’il faisait lancer sur des villages du Delta
« Vous avez été maintes fois avertis
des conséquences fâcheuses qui pourraient résulter de votre passivité
criminelle à l’égard du Vietminh.
Vous n’avez tenu aucun compte de nos avertissements.
Votre village va être rasé par l’artillerie et l’aviation.
Un délai de trois heures vous est accordé pour venir
vous, placer sous la protection des troupes franco-vietnamiennes et éviter de
mourir écrasés nous les décombres de votre village.
«Le
Haut Commandement Franco-Vietnamien. 25 juin 1954.»
Le
résultat fut une défaite sur les plans militaire et politique. Dien Bien Phu
donne le tableau militaire. La situation du Vietnam Sud donne le tableau politique.
PAGODE
Lieu
où est célébré le culte bouddhiste.
Les
pagodes contiennent des objets de valeur, tant au point de vue artistique qu’au
point de vue « métaux rares ». Cela tente les cupides, et même les originaux.
Le
bar des sous-officiers de la N..e Cie Moyenne de Réparation de Légion
étrangère, stationnée à Haïduong était décoré d’objets du culte « empruntés» à
une pagode.
Par
esprit large ou par satisfaction de voir la destruction d’une religion impie,
l’aumônerie catholique du Nord Vietnam n’a jamais protesté.
Il
semble, par contre, que ce genre d’actes ait soulevé la colère des bouddhistes
qui, avec un esprit d’imitation bien asiatique, parlent de « sacrilèges », de
« profanations. » etc.
PAIE
Dans
l’armée française en Indochine, en 1954
Le soldat célibataire touchait environ |
17 000 fr. |
Le caporal |
30 000 fr. |
Le caporal-chef |
90 000 fr. |
Le sergent |
90 000 fr |
L'adjudant |
150 000 fr. |
Lieutenant |
150 000 fr. |
Capitaine |
180 000 fr. |
Commandant |
240 000 fr. |
Colonel |
300 000 fr. |
Le
soldat vietminh touchait comme paie, un kg de riz par jour et 2 gr. de sel :
soit l’équivalent de 2 000 fr. par mois.
Le
lieutenant vietminh touchait une solde équivalent à 2 800 fr. par mois.
P.I.M.
Prisonnier
interné militaire.
Il
ne faut pas confondre le « Régulier » vietminh prisonnier, et le simple P.I.M.
qui peut être un guérillero ou, simplement, un paysan soupçonné d’être
partisan.
Si
l’armée a besoin de main-d’œuvre bon marché, ses soupçons deviennent
très vifs et elle arrête en masse tous les hommes et femmes adultes, dans une
localité située en zone d’insécurité. D’où l’expression, « suspects ou
considérés comme tels ».
Le
P.I.M. n’est pas forcément maltraité, pas plus que les noirs qui travaillaient
jadis en Virginie.
Dans
certaines régions, il arrive que ce soit le curé catholique qui indique les
gens qu’on peut considérer, sans inconvénients, comme P.I.M. Selon qu’il s’agit
d’un suspect plus ou moins vague, ou d’un propagandiste vietminh, la peine
d’internement varie de un an jusqu’à « à revoir ».
Une
commission de triage des P.I.M. étudie périodiquement cette question en tenant
bien compte des besoins impérieux des unités qui réclament, ici 30 P.I.M.
pour des travaux de terrassement, là 50 P.I.M. pour des chargements de
munitions, etc.
Tout
comme les déportations d’ouvriers en Allemagne furent le facteur principal de
la constitution des maquis, les rafles de P.I.M. ont été à l’origine de la
formation des unités de partisans dans les secteurs les plus calmes.
POLITIQUE
Le
gouvernement français mène une certaine politique en Indochine. L’armée est un
instrument de cette politique.
Réparant
des véhicules ou tirant des coups de feu, le soldat français fait une
politique. Il en est de même pour le soldat vietminh
La
différence fondamentale, c’est que ce dernier suit des cours quotidiens dans
lesquels on lui explique le sens de sa politique, les raisons de son combat,
tandis qu’on n’explique absolument rien au soldat français.
Convaincus
que l’adversaire est infériorisé par le fait de n’entendre qu’un son de cloche,
certains militaires français tirent leur fierté du fait qu’ils n’en entendent
aucun.
PROPAGANDE
Après
avoir longtemps sous-estimé l’importance de la propagande, Le Haut Commandement
l’a découverte, en a fait une panacée et attribué tous les succès du. Vietminh
à sa seule astuce propagandiste.
Le
général Salan était si convaincu de l’importance de la propagande qu’il écrivit
sur le sujet une de ces notes dont le colonel de la Rocque avait jadis le
secret
« Il n’est pas indispensable de chercher à convaincre
les gens par des raisonnements puissants et compliqués.
Il
faut, plutôt, rechercher des mythes, créateurs de mystiques et de foi; mythes
que l’on développera dans la population, tout en cherchant à détruire les
mythes adverses et à faire naître l’espoir et l’intérêt »
Ainsi,
question de manier les « foules grégaires », le Vietminh n’avait rien à
apprendre au Commandement français.
Certes,
au cours de ses années de séjour, le général ne réussit pas à développer dans
la troupe le mythe de ses capacités de stratège, mais cela tient sans doute au
fait que le Français a l’esprit critique.
Et
puis, Salan n’était que le théoricien de la propagande. Il avait semé la bonne
graine. C’était aux sous ordres de lever le blé.
Le
bureau de la guerre psychologique en mit un bon coup. On « mytha » à droite, on
« mytha » à gauche, on détruisit les mythes adverses au napalm, on alla, même,
jusqu’à imprimer le visage réjoui de Bao-Daï sur les billets de banque, telle
une promesse d’avenir aux joues creuses du nhiaque.
Et,
comme dit Robert Lamoureux... au bout de huit ans, le canard était encore
vivant.
Forcément,
dit alors le colonel eurasien Leroy, l’astuce et les mots ne sont pas tout. Il
nous faudrait aussi des spécialistes de la propagande, c’est-à-dire, de vrais,
d’authentiques Vietminh. On en chercha.
Hier,
ce « viet » s’adressait aux paysans de la rizière. Il avait une voix
formidable, un élan, une puissance de persuasion. C’était ahurissant.
Nos
généraux ne faisaient pas très attention au contenu des discours. Ça n’avait
aucune importance puisqu’il « n’est pas indispensable de chercher à convaincre
les gens avec des raisonnement ».
Comme
le type était acclamé par les nhiaques, nos stratèges en déduisirent qu’ils
étaient tombés sur un spécialiste de la « création des mythes ». Ils se dirent
: «Voilà le gars qu’il nous faut.»
Par
l’argent, l’honneur ou les femmes, ils réussirent à avoir quelques «
spécialistes ». Hélas, arrivés à Saigon ou à Haiphong, les types ne valaient
plus rien du tout. C’en était écœurant.
Lorsqu’ils
étaient aux côtés des nhiaques, devant les nhiaques, ils reflétaient dans leurs
discours, les aspirations de la paysannerie. Arrivés à Saigon. Plus de reflet.
Terne, terne.
Certes,
les « ralliés » parlaient encore. Ils faisaient leur possible. Ils expliquaient
les beautés du gouvernement Bao-Daï. Mais les paysans ne les écoutaient plus.
Nos
généraux sont très contrariés. Ils n’ont pas compris le truc du reflet. Ils
croient seulement qu’ils n’ont pas trouvé les véritables spécialistes du «
mythe ».
Ils
cherchent.
SECRET
Certains
documents militaires portent la mention « Secret » ou « Secret-Confidentiel ».
Cela signifie qu’ils ne doivent pas tomber entre n’importe quelles mains car
ils contiennent des informations vitales pour l’armée, l’État ou le pays.
L’inconvénient
du procédé, c’est que, là où tous les citoyens ne sont pas d’accord sur telle
action à mener. L’application du « secret » à certains documents joue souvent
contre la démocratie et l’instruction du peuple. On peut dire, avec assurance,
que nombre de documents furent classés « secrets », non pas pour que le
Vietminh les ignore (vu qu’il n’aurait rien appris de neuf), mais pour que
l’ensemble des Français n’en sache rien.
C’est
en ce sens que l’exercice de la démocratie est faussé en France. On connaît le
cas de journaux qui furent condamnés pour avoir dénoncé des atrocités commises
par des soldats français en Indochine. Par leur verdict, les juges semblaient
affirmer que les propos des journaux étaient des mensonges.
Or,
il existe des notes de généraux,
-
demandant de cesser un peu les interrogatoires avec tortures... parce que ça ne
donne pas forcément de bons résultats;
-
demandant de ne pas massacrer systématiquement le bétail des paysans
vietnamiens...parce que de tels actes poussent la nhiaque chez le
Vietminh ;
-
demandant aux commandants d’unités de veiller à ce que leurs soldats soient
mieux contrôlés et cessent de se livrer à des attaques à main armée dans la
ville de Hanoi.
Il
existe des lettres d’un général en chef demandant au ministre de la Défense
Nationale de ne plus fermer les yeux sur les casiers judiciaires des rengagés
spéciaux «Extrême Orient», et de ne plus lui expédier des repris de justice,
non pas au nom de la morale et la civilisation, mais parce que les truands
continuent leur activité en Indochine, se font boucler, immobilisent des
gardiens et des juges, et accélèrent ainsi inconsidérément le jeu de la relève.
Toutes
ces notes et lettres sont sous le signe « Secret ». C’est-à-dire qu’il est
interdit de les publier et que le peuple de France doit les ignorer.
Et
on voit au Parlement le spectacle de députés qui font l’apologie d’une armée et
d’une guerre, tandis que leurs adversaires ne peuvent à leur tour lire des
documents irréfutables... sous peine de prison.
Cela
ne semble pas très juste. Aucun sportif n’accepterait de match de boxe dans de
telles conditions.
Mais
dans ce ring qui se nomme Parlement, il parait que le mot « démocratie »
dissimule le pouvoir d’une seule classe. Cette classe impose une règle de jeu
truquée et s’arrange ainsi pour être toujours la seule à gagner.
SECTIONS SPÉCIALES
Bagne
militaire installé à Pointe Pagode en Baie d’Along. L’accueil consiste en un
passage à tabac « simplement pour te montrer l’atmosphère de la maison ».
L’essentiel
du travail se résume en « portage de pierres » entrecoupé de coups de pied et
de poing.
On
va aux Sections Spéciales pour une période de 6 mois... renouvelable, et pour les
motifs les plus divers, depuis l’ivresse jusqu’à la désertion, en passant par
la réclamation contre la mauvaise nourriture.
On
peut y aller aussi comme « Cadre », mais ça nécessite un esprit beaucoup plus
disposé au mal.
SUPPLÉTIFS
Vietnamiens
enrôlés au service de l’armée française, mais d’un statut particulier.
Les
supplétifs ne peuvent être déplacés n’importe où. Ils sont payée à la journée
et n’ont pas de contrat.
En
conséquence, île ne peuvent être recherchés pour désertion.
Mais,
comme il leur est difficile de s’en aller nus, on les poursuit pour vol
d’équipements militaires.
Lorsqu’ils
s’en vont, c’est d’ailleurs sauvent avec leur fusil, vu que les partisans vietminh
ont depuis longtemps pris l’habitude de s’engager dans les unités de supplétifs
pour toucher un armement convenable.
TAM (NGUYEN VAN)
Président
du Conseil Baodaïste en 1952/1953.
Son
audace réformatrice produisit une grosse sensation en octobre 1952, lorsque
dans un discours aux paysans de la zone vietminh, il leur promit qu’après leur
libération », ils, garderaient les terres qu’ils avaient prises..., aussitôt
qu’ils les auraient payées à leurs légitimes propriétaires !».
TRAITER
Verbe
susceptible de signifier : bombarder, brûler, tuer, etc.
Exemple :
Tel village a été traité au napalm.
TRINH SAT
«Agent
de renseignement » Militant vietminh formé en zone non occupée puis envoyé dans
le Delta pour suivre les mouvements des troupes françaises.
La
brochure d’éducation destinée aux futurs Trinh Sat précise :
« L’agent de renseignement est
obligé de fréquenter tous les milieux, y compris les plus corrompus.
Il doit s’y adapter, et pourtant,
rester pur dans une telle situation.
Il doit être rond à l’extérieur et
carré à l’intérieur. »
VANDENBERGHE
Adjudant-chef.
Commanda un corps franc, célèbre pour ses « exploits » selon les Français, et «
ses atrocités » selon les Vietnamiens.
Vandenberghe
partit 2ème classe en Indochine. « On l’a catalogué :
« sait lire et écrire », ce qui correspond tout juste à la réalité. » (Lt
P... Tropiques, février 1954.) Personne ne peut l’accuser d’avoir eu une
opinion définie sur les causes et les buts de la guerre, ou même sur la
situation géographique de l’Indochine. Ce qui ne l’empêcha nullement de tuer
une foule de gens dans ce pays.
Sa
spécialité était de se glisser en zone vietminh, et de tout détruire :
matériel et êtres humains.
«
On évoque, bien sûr, dans les milieux militaires de Hanoi, le brillant chef de
commando. Mais, plus d’un grand patron doit, au moins en paroles, désavouer son
principe : nécessité fait loi. Le rôle du commandement n’est pas
une sinécure avec les hommes de Vandenberghe, et nombreux sont les différends à
régler à l’amiable avec le chef de province ou ses délégués. » (Lt P ...)
Son
commando était formé de déserteurs vietminh. Il en recruta de la manière
suivante : Ayant fait dix prisonniers, il promit la vie sauve à celui qui
décapiterait ses neuf compagnons.
Par
ce procédé simple, il obtenait un nouveau combattant sûr ; d’autant plus
sûr qu’il se savait déshonoré aux yeux des Vietnamiens.
Toutes
les anecdotes peuvent être contestées, bien entendu. Celle-là a le mérite
d’avoir été narrée par un militaire qui n’y voyait rien d’ignoble, mais
trouvait, au contraire, l’astuce excellente.
Les
lignes qui suivent sont plus révélatrices que cent récits de cruautés, si l’on
tient compte du fait que le lieutenant P... cherchait plutôt à faire une
apologie (militaire) de Vandenberghe.
« Féodal, brutal, il
s’apparente aux chefs du moyen âge.
Ce rustre était maître et seigneur
de ses reîtres.
…..
Vandenberghe se campe comme le
baroudeur farouche qui ne semblait craindre ni Dieu, ni diable, ce qui le
singularise particulièrement à notre époque. »
L’adjudant-chef
Vandenberghe aurait pu naître allemand, et occuper la France de 1940 à 1944.
Quelques centaines de petits paysans français l’ont échappé belle.
VILLAGE
Il
y a le village qui est pour l’oncle Ho.
Ce
village était paisible et soumis pendant des dizaines d’années. Il n’avait
jamais refusé l’impôt en dépit de sa misère. Il n’avait pas eu à fournir des
bagnards pour Poulo Condore. Il ne comprenait même pas du tout les agitateurs
de la ville. Cela se passait il y a quinze ans.
A
présent, ce village est un « nid de Viets ». Ses jeunes gens connaissent
le fusil français, l’allemand, le japonais, la carabine américaine et le canon
sans recul. Ils ne se débandent pas sous un bombardement au napalm.
Hier,
un char leur aurait semblé presque un dieu terrible surgi de la mythologie
asiatique.
Aujourd’hui,
ils savent que le char est un tas de ferraille avec un moteur bruyant et de
mauvais yeux. Ils connaissent ses angles de tir. Ils en ont pris d’assaut.
Cinquante
jeunes gens sont morts dans l’affaire. Mais cinquante garçons sont morts chaque
année pour tant de bonnes ou mauvaises raisons; pour une inondation, une
épidémie ou une récolte déficitaire.
Voici
qu’après les cinquante, il y a un jeune nhiaque assis en vainqueur sur la
tourelle d’un char, dont les chenilles ont capitulé devant le « plastic ».
Tant
d’hommes sont morts pour rien, si souvent, que cette fois le village oublie
tout, un instant, pour bien réaliser l’incroyable exploit qu’il vient
d’accomplir.
Le
village aime l’oncle Ho. Il fait plus que l’aimer. Il pense par l’oncle Ho. Il
sait que Ho Chi Minh parle comme lui, vit .comme lui, est pauvre comme lui.
Les
nhiaques n’ont pas moins d’esprit critique que n’importe qui. Mais ils n’ont
pas non plus moins besoin d’amour que n’importe qui. Et c’est la première fois
qu’ils croient pouvoir vraiment aimer quelqu’un.
Le
village ne sait pas que l’oncle Ho n’est pas seulement un nhiaque, mais un
homme qui veut bouleverser son existence, et qui se livre parfois à des calculs
bizarres pour trouver combien de kilos de riz peut coûter un tracteur ou un
groupe électrogène. Mais le village sent bien que sa vie sera bouleversée de
toutes façons. Les jeunes savent déjà qu’un agriculteur californien fait le
travail de quarante nhiaques en ce qui concerne la culture du riz. Et ils
savent aussi que ça n’est pas une question d’intelligence ou de force, mais de
moyens techniques. Et que, de toutes façons, il faudra des tracteurs, des
machines outils, et bien autre chose.
Mais,
pour le moment, jeunes et vieux luttent, sans trop se soucier de ce problème.
Ceux
qui défendent le village tel qu’il est, et ceux qui défendent le village tel
qu’il devra être : ces deux-là sont habillée de la même façon et se
battent côte à côte.
Pourtant,
les troupes françaises sont arrivées. Les vieux ont dû rester parce que la
terre et les tombes des ancêtres n’avaient pas bougé. Les jeunes se sont
repliés, à cause du village de demain.
Et
voici des Français et des Vietnamiens qui parlent de la « démocratie contre le
communisme », et de « l’Empereur contre le rebelle », et qui demandent enfin
aux vieux s’ils sont « rebelles » ou « ralliés ». Et les vieux ne
savent pas, tout de suite, ce qu’il faut répondre. Personne ne leur dit
simplement « Vous êtes occupés. » Il faut choisir entre « rebelles »
et « ralliés». Ils se demandent peut-être ce que la terre répondrait.
Mais,
quoi qu’ils pensent, ce ne peut être « rebelles » puisqu’il était bien
décidé que le riz devait être récolté. Alors, ils répondent « Ralliés ».
Ce
texte parut en 1955 dans un numéro des Lettres Nouvelles.
Devant
les perspectives de persécutions (saisie de revue, etc.) en rapport avec les
évènements d’Algérie, le Directeur Maurice NADEAU jugea alors prudent de
remplacer certains noms par des initiales. Nous les avons rétablis dans cette
version fidèle à l’originale.