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L’auteur de ce Petit lexique revient d’Indochine où il a séjourné deux ans comme militaire. Ces notes ont été rédigées sur place.

 

 

PETIT LEXIQUE,

POUR SERVIR A L’HISTOIRE

DE LA GUERRE AU NORD-VIETNAM

Par ANDRÉ CALVÈS

 

ACTION

Le scout doit faire sa bonne action quotidienne. C’est un des principes fondamentaux du mouvement créé par Baden Powell

Ça ne souffre pas de discussion dans la petite ville de province où la B.A. classique consiste à aider les vieilles dames à traverser la grande rue.

Mais, quand le boy-scout grandit, puis s’en va outre-mer, il se révèle que son bagage moral est insuffisant et que l’exécution simpliste de la « Bonne Action » peut faire passer un frisson dans le dos.

Le Bulletin de Liaison des Scouts de France, Route d’Indochine de septembre 1953 mentionne l’existence d’un Clan Routier à la base aérienne de Cat-Bi.

Voici un aperçu de l’activité des membres du clan et des services rendus :

« Remplacement comme volontaire de tout camarade qui loyalement, ne peut, pour raison de fatigue assurer son travail : écoute radio chargement des bombes et du napalm sur les avions, etc…

« Messe hebdomadaire, le jeudi, avec offrande du travail de la journée, de la part de ceux qui, pour des raisons de service, ne peuvent s’y rendre. »

 

En ce mois de septembre 53, il y avait, route de Sontay à Hanoï un gentil petit gosse, cireur de souliers, qui se tenait toujours devant le même bistrot. Ses jambes portaient d’affreuses plaies suppurantes car, l’année précédente, il vivait dans un village qui fut bombardé au napalm.

Quand le petit cireur et le brave scout se trouveront devant Dieu le père, à l’occasion du Jugement dernier, il faut souhaiter que ça discute ferme sur le « bon», le « bien», la «fin » et les «moyens».

 

AUMÔNIER

En dehors du rôle classique -sacrements aux mourants, etc.- qui est dévolu aux prêtres, les aumôniers du Corps expéditionnaire remplissent deux tâches principales.

La lutte contre le péché.

Par péché, il ne faut pas comprendre le fait de rôtir vivants des femmes et des enfants. Il n’y a pas eu dans le bulletin de l’Aumônerie Catholique une seule protestation contre les bombardements de villages au napalm. Aujourd’hui, comme hier, Dieu reconnaîtra les siens. Le péché, le seul, l’unique, c’est celui de la chair. L’aumônerie catholique s’est spécialisée dans la lutte contre les débordements amoureux : lutte agrémentée, parfois, d’un léger parfum raciste.

Dans Le Centurion de novembre 1952, il est question d’un militaire qui commet le crime d’avoir une petite amie vietnamienne au lieu de se garder pur pour le mariage, le vrai, qu’il fera un jour en France.

Le bon apôtre lui dit :

- « Commence par liquider ta congaïe puis va te confesser. »

Un chrétien raconte ses aventures amoureuses à L’Antenne d’août 53

« Un soir, je n’ai plus tenu, ça a été une vietnamienne, puis ça a été une autre vietnamienne.

Puis, ça a été une Française. Là, j’ai eu peur du définitif, cela devenait grave. »

2° La justification de la guerre.

L’aumônier X s’adresse aux soldats africains :

- « Chers soldats africains du Tonkin, vous êtes bien loin de votre pays : vous faites une guerre difficile mais indispensable. Vous vous battez très bien et je vous félicite. » L’Antenne, novembre 1952.)

 

Pourquoi la guerre est-elle « indispensable » ? Pour en finir avec le communisme ? Bien sûr, mais aussi avec les « fausses religions »

L’Antenne de décembre 53 les dépeint :

- « L’ambiance païenne, les pagodes, les bouddhas ventrus, les dragons, les écritures cabalistiques, les tortues. Tout cela : des Dieux qui prennent tout. Leurs temples riches et solides à côté des huttes ».

En somme, « Trop d’églises en or, et trop de villages sans pain », comme disait Malraux… à propos de l’Eglise catholique d’Espagne.

Le candide petit Français, encore plein des souvenirs attendris d’un clergé de tout cœur avec les salariés, découvre au Vietnam qu’elle est loin d’avoir disparu cette bonne vieille Église de la belle époque. L’époque de Pizarro et de Cortès

 

BAMBOU

Végétal extrêmement solide, pouvant atteindre quinze à vingt centimètres de diamètre.

Sans intervention préalable de l’artillerie ou de l’aviation, l’infanterie ne peut franchir des barrages constitués de bambous.

Une vieille maxime colonialiste disait :

-           « Dieu a fait pousser le bambou près de l’Annamite pour qu’on puisse en frapper ce dernier. »

Dieu a également entouré les villages vietminh d’une épaisse haie de bambous, les rendant par là aussi impénétrables que ses desseins,

 

BAO DAI

Ex-empereur d’Annam.

S’adapta successivement à tous les régimes, sauf au régime sec selon les méchants.

Jouit du privilège d’être négligé par ses ennemis et méprisé par ses alliés.

Son existence a tout de même eu un curieux résultat :

Le Vietnamien le plus ignorant de la langue française sait articuler correctement : « Empereur de boîte de nuit. »

 

BAODAISTE

Au cours d’un séjour de vingt-sept mois, l’auteur de ces lignes a honnêtement et avec persévérance, cherché un baodaïste

Il a vu des Vietnamiens travaillant pour l’administration française et disposant d’un pouvoir d’achat plus élevé que celui de la masse du peuple; des Vietnamiens possédant auto, ou moto, radio, etc, et disposés, en conséquence, à suivre l’armée française en Cochinchine, et même plus loin.

Il a connu des soldats de l’armée Bao-Daï qui disaient aimer ce dernier, de préférence sur les billets de cent piastres.

Mais il ne peut affirmer que le militant bao-daïste soit un être qui existe réellement.

 

CLASSES

Comme arme idéologique, le combattant vietminh dispose de la doctrine marxiste.

Sur ce plan, le soldat du corps expéditionnaire ne possède pas une très grande documentation lui permettant de se faire une idée sur l’origine des classes sociales, etc.

Il faut signaler, toutefois, la brochure Politesse et savoir-vivre, écrite par le général CALLIES, en 1950 pour l’école d’application de l’Infanterie.

- « En inculquant le souci d’être poli, elle (l’armée) aura contribué puissamment au nivellement si désirable des classes sociales et à l’union indispensable de la Nation.

- «Si la classe unique existe dans les chemins de fer américains, c’est essentiellement que tous les Américains ont l’habitude d’être propres et sont pourvus d’un minimum d’éducation commune, ce qui les rend supportables les uns pour les autres.

- «S’il y a, encore, malheureusement trop de classes en France ne croit-on pas que c’est presque uniquement parce qu’il subsiste trop de différences de comportement entre Français?

- «Or, il n’y a aucune raison que certains Français restent sales, débraillés, mal élevés, c’est une simple question d’éducation. »

Abstraction faite d’une négligeable petite confusion entre les classes sociales et celles de la S.N.C.F., il y a là une intéressante et originale interprétation de l’évolution des sociétés basée sur l’influence du savon de Marseille.

 

COGNY

Général, commandant les Forces terrestres du Nord-Vietnam en 1953-54. Homme très représentatif. Ne circulait à Hanoi qu’entouré de cinq motocyclistes reluisants et affectionnant les sens interdits.

Convaincu que le prestige et la « face » sont essentiels en Asie, il a organisé une remarquable revue, le 14 juillet 1954.

À beaucoup lu Confucius et Marco Polo, mais négligé, semble-t-il les écrits de Mao Tsé Tung.

 

COMPLEXE DE SUPÉRIORITÉ

A très souvent conduit des officiers supérieurs, lors d’opérations, à transmettre leurs ordres «en clair » quand le secret eût été recommandé.

Non content d’utiliser, au besoin, le tam-tam, le Vietminh emploie aussi l’interception radio, et a parfois réussi à faire bombarder des troupes françaises par leur propre artillerie.

Le complexe de supériorité est très commode pour empêcher un Vietnamien de mettre les pieds dans certains cercles sélects, mais il est très insuffisant pour empêcher une unité vietminh de rompre un encerclement.

Contrairement aux affirmations de la doctrine chrétienne, il semble qu’une défaite militaire détruise plus vite les complexes de supériorité que tous les prêches moraux d’une troupe d’aumôniers.

 

COMPLEXE D’INFERIORITE

La perte de ce complexe, par le peuple vietnamien, vaut pour lui une victoire d’un prix incalculable.

 C’est ce que ne comprit pas le Haut Commandement français qui, au lendemain de Dien Bien Phu, faisait état de 20 ou 25 000 soldats vietminh tués, sans tenir compte de l’effet produit dans les villages par le passage de milliers de prisonniers portant les uniformes de parachutistes, légionnaires, etc.

 

DU KICH

Prononcer « zoukit » 

Partisan vietminh, ouvrier ou paysan.

Travaille dans la journée et combat la nuit.

Le Du Kich ne met pas un uniforme pour se battre, provoquant ainsi l’indignation de tous les militaires, à l’exception des légionnaires allemands, déjà blasés depuis de longues années sur ces procédés malhonnêtes.

 

ENTENTE

Il semble impossible de s’entendre avec des peuples lointains si on n’adopte pas un système métrique moral qui soit commun à tous les êtres humains sur le globe.

On pourrait, par exemple, admettre qu’un homme vaut un homme, quels que soient son pays ou sa race.

C’est audacieux, mais il est difficile, autrement, d’engager un dialogue avec :

1) Les Vietnamiens qui ont la fâcheuse manie, quand on leur parle du soulèvement de Hanoi, où soixante civils français trouvèrent la mort, d’invoquer le précédent bombardement de Haiphong, où la marine française tua, comme à l’exercice, huit mille hommes, femmes et enfants.

2) Les Chinois qui ne peuvent parler de Formose sans vous demander ce que vous penseriez si une flotte américaine venait défendre une bande d’émigrés réfugiés en Corse et en guerre ouverte contre le gouvernement français.

 

EXTINCTEURS SPÉCIAUX

Certaines conventions humanitaires, auxquelles la France est très attachée, interdisent, -paraît-il - l’emploi des lance-flammes.

D’où l’expression « extincteurs spéciaux » utilisée dans la documentation militaire en Indochine.

Ne jamais dire : « Nous avons brûlé vifs des vietnamiens au lance-flammes. »

Écrire : « Nous avons traité un village rebelle avec les extincteurs spéciaux. »

 

FANATIQUE

Bara et Viala, mais avec des yeux bridés.

 

FEUILLET 3

Document comptable, constituant le seul bulletin d’information à peu près honnête en Indochine.

Quinze jours après que le communiqué officiel a annoncé une défaite vietminh à tel endroit, le Feuillet 3 de perte arrive au Service du Matériel, demandant le remplacement de 100 fusils, 6 fusils-mitrailleurs et 3 mortiers abandonnés par les troupes de l’Union Française sur les lieux précis de la « défaite vietminh ».

 

GIAP

Commandant en chef de l’armée vietminh.

Bien que ne disposant pas comme son collègue d’en face, d’une solde mensuelle de 600 000 francs, Giap jouit d’un avantage considérable par rapport au général français.

Il ne fait pas des séjours de vingt sept mois. Mais commande l’armée vietminh, sans interruption, depuis 1945

Giap a patiemment organisé ses unités régulières, tout en occupant l’armée française par la guerre des partisans dans le Delta tonkinois.

Très fermement attaché, pendant huit ans, à la tactique de la guérilla, il a su rompre brusquement avec cette méthode et rechercher la bataille rangée à Dien Bien Phu.

Le général Navarre, indigné, a fait préciser son point de vue à ce sujet, dans le journal militaire Caravelle du 31-5-54.

- « La décision du Haut Commandement Vietminh d’intensifier la guerre sur tous les fronts et de la continuer sans tenir compte de la raison des pluies, a complètement modifié les données du problème à un moment où notre jeu était fait.

- « Elle a faussé toutes les prévisions que, raisonnablement, nous avions pu faire sur la puissance de l’ennemi et la durée de son effort.»

De nombreux militaires se plaisent à croire que Giap a fait, ses études à Saint-Cyr sous un faux nom.

Cela semble très douteux, car, Giap, absolument fermé à la notion de « baroud d’honneur », n’a jamais craint d’entamer son prestige en refusant le combat quand toutes les conditions étaient réunies pour l’anéantissement de son armée.

Le général en chef vietminh est estimé par la grosse majorité des militaires ‑du corps expéditionnaire, sauf par certains officiers supérieurs qui lui vouent une sérieuse rancune.

 

GUERRE D’INDOCHINE

- Soutenue par des Partis élus par les 2 /3 des Français, mais impopulaire auprès des 9/10.

- Dura cependant neuf ans.

- Eut très peu de volontaires chez les gens qui votaient pour qu’elle dure, et dut faire appel à la main-d’œuvre payée. Prime spéciale de 150 000 francs.

- Fut l’affaire de la « France éternelle », amis compta un combattant français pour quatre sénégalais, marocains et allemands, qui, en général, estimaient davantage l’adversaire que l’allié.

- Tua des centaines de milliers d’être humains, mais pas un seul des responsables. Ainsi qu’il est de règle.

- Coûta pas mal d’argent à ceux qui votaient « contre», mais enrichit un bon nombre de ceux qui votaient « pour ». Car, qui vote pour des idées ?

- Se termina par où elle aurait dû commencer, sans qu’on puisse dire, pour autant, qu’elle ait servi de leçon. Sauf aux tirailleurs algériens.

 

HO CHI MINH

Président de la République Démocratique du Vietnam.

Tout comme son adversaire Bao-Daï, a beaucoup vécu en France, mais pas aux mêmes endroits.

 

HOMEL

Grande Brasserie d’Indochine.

Étant donné le climat et la consommation de liquide, la société HOMEL est aussi puissante que certains magnats du charbon ou de l’acier.

Les militaires qui laissent vingt mille francs par mois à cette société ne sont pas rares.

La bière HOMEL est nettement plus alcoolisée que la bière française moyenne. De ce fait, cette société, tout en étant très attachée à la gloire de la France, est responsable d’un nombre non négligeable de « rapatriements sanitaires ».

 

LÉGION

Corps d’élite, généralement stationné en Afrique du Nord et acceptant dans ses rangs, pour cette raison, tout le monde sauf les Nord-africains.

La Légion est l’unité qui compte le plus de faits d’armes et de déserteurs.

Tel légionnaire s’engage en Algérie pour combattre au Tonkin, et se retrouve dans l’armée égyptienne.

Tout en auréolant au maximum ce régiment, le commandement l’observe avec une grande méfiance. .

La Légion est l’unité où on lit le moins dans les cœurs et le plus dans la correspondance

 

LÉSER

« Il a été signalé que des militaires avaient tenté récemment de faire sortir des filles soumises des B.M.C. pour vivre en concubinage avec elles.

« Outre que ces manœuvres ne peuvent que léser l’ensemble des militaires fréquentant les dits établissements, il est rappelé qu’il est formellement interdit à tous les militaires européens de vivre en concubinage avec une femme autochtone.»

(Directive particulière du général adjoint au Général commandant en Chef, en date du 21/7/51.)

« Rapport de Garnison No 32. Hanoi. Avril 1952.»

 

MATÉRIEL

En Indochine, les camions, les tanks, les avions de l’armée française sont américains.

Les canons de 105 Hm2 qui tiraient sur Dien Bien Phu, étaient américains aussi.

D’une façon générale, il est difficile de faire un pas sans croiser quelque chose «made in U.S.A.», à l’exception, toutefois, du regard du paysan vietnamien.

Ce qui prouve qu’à la guerre, le matériel n’est pas tout.

 

MINES

Armes de prédilection du guérillero vietnamien.

Le Vietminh a publié un petit manuel destiné à l’instruction des partisans. L’extrait suivant donne une idée de la minutie des combattants vietminh :

« Pose de mine sur une route goudronnée.

« Que faut-il? Une touque usagée, deux sacs en jonc, un bol pour enlever la terre creusée, une barre de fer (ou une dent de herse), pointue à l’une des extrémités et aplatie à l’autre (long. 60 cm. gros. 20) un poignard, un morceau de pneu, un balai en paille très élimé, un éventail, une torche électrique ou un briquet, un morceau d’environ un kilo de goudron, le contenu d’une tasse d’essence, un morceau de toile cirée.

« A défaut d’essence, faire fondre à l’avance deux morceaux de goudron, dont l’un est à étendre sur une petite claie en bambou relativement plus grande que la surface de la mine.

« Choisir un bon endroit de la route pour creuser le trou. Étendre à côté de l’endroit une couverture et les instruments nécessaires à l’opération. Une fois caché sous la couverture, on commencera à creuser dans l’asphalte de la chaussée en se servant du bout aplati de la barre de fer. Quand apparaissent les pierres concassées, les enlever une à une, à l’aide du bout pointu de la barre. Bien enrouler la barre dans un chiffon pour ne pas faire de bruit.

« La mine, une fois dans le trou, devra encore se trouver à un doigt de la surface du sol.

« Enlever la goupille de sécurité et envelopper la mine dans le morceau de toile cirée avant de l’enterrer. Remettre ensuite les pierres tout autour pour bien la caler. Veiller à ce que son percuteur effleure la surface du sol. Verser enfin dessus du goudron mélangé à de l’essence et égaliser avec la main la couche de goudron jusqu’à ce qu’elle soit au niveau de la chaussée.

« Avec le doigt, faire disparaître la ligne de soudure des deux couche de bitume. Couvrir le tout d’une très mince couche de poussière et, avec l’éventail, souffler légèrement pour enlever une partie de cette poussière.

« Si l’emplacement de la mine a interrompu une trace de roue, la reproduire avec le morceau de pneu appuyé légèrement sur le goudron. Avant de se retirer, se couvrir entièrement sous la couverture puis allumer la torche électrique et donner un dernier coup d’œil sur l’ensemble.

« Enfin, céder la place à un camarade qui contrôlera le travail et pourra corriger les petites imperfections.»

 

NAPALM

Produit incendiaire à base d’essence et de palmitate.

Bien qu’il convienne de ne pas sous-estimer son efficacité, semble me pas avoir eu les résultats attendus en Indochine.

Le soldat vietminh utilise contre le napalm une légère claie de bambou recouverte d’un morceau de couverture’

Dissimulé dans son trou individuel, il se protège de la giclée de napalm grâce à ce frêle bouclier qu’il rejette aussitôt qu’il brûle.

De nombreux documents montrent qu’après une attaque aérienne au napalm, les soldats vietminh avaient conservé toute leur puissance combative.

Le napalm est particulièrement efficace contre les femmes et les enfants.

Il n’est d’ailleurs pas exclu que l’inventeur de ce produit ait visé les enfants plutôt que les soldats, appliquant ainsi une méthode de guerre particulièrement moderne.

 

NAVARRE

En 1939, chef de la section allemande du Deuxième Bureau français.

De 1953 à 1954, Commandant en Chef en Indochine.

Dans ces deux postes, fut trompé par l’adversaire.

 

NOIR

Militaire qu’on expédie souvent en Indochine, en lui racontant qu’il va aller voir Paris. Sa réputation de barbare fut fabriquée par les journalistes de la guerre 14-18. Le noir est sans doute le moins cruel des soldats du corps expéditionnaire. Pour cette raison, sa cote a beaucoup baissé dans les milieux militaires. Le noir est très poli avec les vieillards et aime beaucoup les enfants.

Lui-même est, généralement, traité comme un enfant par les officiers. Il en a pris l’habitude, ne dit rien, niais observe et s’instruit S’il est fait prisonnier, il est tellement surpris de voir le Vietminh lui parler comme à une grande personne qu’il en tire toutes sortes de conclusions néfastes pour les intérêts de l’Union Française.

Dans son numéro spécial 362 sur les troupes noires, la revue des troupes coloniales Tropiques insiste sur «le danger marqué par le titre de « libérés par le Vietminh.»

La même revue s’inquiète d’ailleurs aussi de l’état d’esprit des noirs qui n’ont pas été faits prisonniers, et qui ont même remporté des victoires sur le Vietminh.

Chose affolante, cela également leur a donné des idées.

 

PACIFICATION

Pendant plusieurs, années, en dépit des discours sur la « souveraineté du Vietnam», la guerre eut le caractère d’une expédition entreprise contre une colonie rebelle.

Ce fut l’époque des représailles collectives : «Si un coup de feu est tiré, tout le village sera brûlé.»

Cette méthode n’aboutit pas. Elle souda davantage les Vietnamiens autour du Vietminh. Elle détruisit l’ombre de crédit que pouvait avoir le gouvernement de Bao-Daï. Elle mécontenta les U.S.A. sans lesquels la guerre n’était pas possible, et qui n’entendaient pas donner des dollars et de l’armement pour que l’Etat français retrouvât sa colonie « privée ».

Il fallut donc mettre, davantage, l’accent sur le «gouvernement vietnamien» auquel la France venait apporter une aide désintéressée. On dut, en conséquence, expliquer au monde que ce gouvernement représentait vraiment le peuple, tandis que le Vietminh n’était qu’une petite minorité dans les villages qu’il terrorisait.

 

Il fut alors question de pacification, Cette nouvelle tactique eut des effets assez curieux.

Un certain nombre de vieux militaires de carrière venue « pour mater les bougnoules », n’étaient pas du tout préparés à l’idée « d’aider les Vietnamiens à conquérir leur indépendance contre le péril rouge».

Ils ne s’y adaptèrent jamais. Un Vietnamien ne cessa, à leurs yeux, de rester un bougnoule. Et, par voie de conséquence, ils ne cessèrent de demeurer, aux yeux du peuple vietnamien, une armée colonialiste.

Mais, chose étrange, beaucoup de soldats français qui acceptaient, sans la discuter, l’idée de soumettre des rebelles et de rendre une colonie à la France, se mirent soudain à contester la valeur d’une lutte menée pour rendre un trône à un empereur détesté, et pour écraser le seul mouvement qui eût la sympathie du peuple vietnamien.

Les militaires amenés à combattre dans toute l’Indochine ne pouvaient avaler les sornettes selon lesquelles la masse du peuple était contre le Vietminh. Ils se seraient diminués eux-mêmes, en admettant la thèse officielle d’une toute petite minorité « viet ». C’est pourquoi, une certaine confusion régna dans les esprits des soldats de métier.

Beaucoup continuèrent à appliquer la tactique du « Tuez tout » (soutenus discrètement par une bonne partie du Commandement. Voir « V... »).

Mais, beaucoup aussi (parfois les mêmes) déclaraient que s’il fallait choisir entre Ho Chi Minh et Bao Dai, ils préféraient nettement l’oncle Ho.

La concrétisation de cette confusion réside dans le fait qu’il y eut dans peu de guerres, autant d’actes de cruauté, mais aussi de désertions.

A l’échelon du Haut Commandement le trouble régna également. La tactique s’en ressentit.

En fin de compte, avec parfois des réserves hypocrites, le Commandement ne cessa de mener la forme de guerre qui convenait à sa nature profonde, c’est-à-dire une guerre colonialiste. A un mois du «Cessez le feu », voici le genre de tracts qu’il faisait lancer sur des villages du Delta

            « Vous avez été maintes fois avertis des conséquences fâcheuses qui pourraient résulter de votre passivité criminelle à l’égard du Vietminh.

Vous n’avez tenu aucun compte de nos avertissements. Votre village va être rasé par l’artillerie et l’aviation.

Un délai de trois heures vous est accordé pour venir vous, placer sous la protection des troupes franco-vietnamiennes et éviter de mourir écrasés nous les décombres de votre village.

«Le Haut Commandement Franco-Vietnamien. 25 juin 1954.»

 

Le résultat fut une défaite sur les plans militaire et politique. Dien Bien Phu donne le tableau militaire. La situation du Vietnam Sud donne le tableau politique.

 

PAGODE

Lieu où est célébré le culte bouddhiste.

Les pagodes contiennent des objets de valeur, tant au point de vue artistique qu’au point de vue « métaux rares ». Cela tente les cupides, et même les originaux.

Le bar des sous-officiers de la N..e Cie Moyenne de Réparation de Légion étrangère, stationnée à Haïduong était décoré d’objets du culte « empruntés» à une pagode.

Par esprit large ou par satisfaction de voir la destruction d’une religion impie, l’aumônerie catholique du Nord Vietnam n’a jamais protesté.

Il semble, par contre, que ce genre d’actes ait soulevé la colère des bouddhistes qui, avec un esprit d’imitation bien asiatique, parlent de « sacrilèges », de « profanations. » etc.

 

 

PAIE

Dans l’armée française en Indochine, en 1954

Le soldat célibataire touchait environ
17 000 fr.
Le caporal   
30 000 fr.
Le caporal-chef  
90 000 fr.
Le sergent
90 000 fr
L'adjudant 
150 000 fr.
Lieutenant  
150 000 fr.
Capitaine  
180 000 fr.
Commandant
240 000 fr.
Colonel  
300 000 fr.

Le soldat vietminh touchait comme paie, un kg de riz par jour et 2 gr. de sel : soit l’équivalent de 2 000 fr. par mois.

Le lieutenant vietminh touchait une solde équivalent à 2 800 fr. par mois.

 

P.I.M.

Prisonnier interné militaire.

Il ne faut pas confondre le « Régulier » vietminh prisonnier, et le simple P.I.M. qui peut être un guérillero ou, simplement, un paysan soupçonné d’être partisan.

Si l’armée a besoin de main-d’œuvre bon marché, ses soupçons deviennent très vifs et elle arrête en masse tous les hommes et femmes adultes, dans une localité située en zone d’insécurité. D’où l’expression, « suspects ou considérés comme tels ».

Le P.I.M. n’est pas forcément maltraité, pas plus que les noirs qui travaillaient jadis en Virginie.

Dans certaines régions, il arrive que ce soit le curé catholique qui indique les gens qu’on peut considérer, sans inconvénients, comme P.I.M. Selon qu’il s’agit d’un suspect plus ou moins vague, ou d’un propagandiste vietminh, la peine d’internement varie de un an jusqu’à « à revoir ».

Une commission de triage des P.I.M. étudie périodiquement cette question en tenant bien compte des besoins impérieux des unités qui réclament, ici 30 P.I.M. pour des travaux de terrassement, là 50 P.I.M. pour des chargements de munitions, etc.

Tout comme les déportations d’ouvriers en Allemagne furent le facteur principal de la constitution des maquis, les rafles de P.I.M. ont été à l’origine de la formation des unités de partisans dans les secteurs les plus calmes.

 

POLITIQUE

Le gouvernement français mène une certaine politique en Indochine. L’armée est un instrument de cette politique.

Réparant des véhicules ou tirant des coups de feu, le soldat français fait une politique. Il en est de même pour le soldat vietminh

La différence fondamentale, c’est que ce dernier suit des cours quotidiens dans lesquels on lui explique le sens de sa politique, les raisons de son combat, tandis qu’on n’explique absolument rien au soldat français.

Convaincus que l’adversaire est infériorisé par le fait de n’entendre qu’un son de cloche, certains militaires français tirent leur fierté du fait qu’ils n’en entendent aucun.

 

PROPAGANDE

Après avoir longtemps sous-estimé l’importance de la propagande, Le Haut Commandement l’a découverte, en a fait une panacée et attribué tous les succès du. Vietminh à sa seule astuce propagandiste.

Le général Salan était si convaincu de l’importance de la propagande qu’il écrivit sur le sujet une de ces notes dont le colonel de la Rocque avait jadis le secret

« Il n’est pas indispensable de chercher à convaincre les gens par des raisonnements puissants et compliqués.

Il faut, plutôt, rechercher des mythes, créateurs de mystiques et de foi; mythes que l’on développera dans la population, tout en cherchant à détruire les mythes adverses et à faire naître l’espoir et l’intérêt »

Ainsi, question de manier les « foules grégaires », le Vietminh n’avait rien à apprendre au Commandement français.

Certes, au cours de ses années de séjour, le général ne réussit pas à développer dans la troupe le mythe de ses capacités de stratège, mais cela tient sans doute au fait que le Français a l’esprit critique.

Et puis, Salan n’était que le théoricien de la propagande. Il avait semé la bonne graine. C’était aux sous ordres de lever le blé.

Le bureau de la guerre psychologique en mit un bon coup. On « mytha » à droite, on « mytha » à gauche, on détruisit les mythes adverses au napalm, on alla, même, jusqu’à imprimer le visage réjoui de Bao-Daï sur les billets de banque, telle une promesse d’avenir aux joues creuses du nhiaque.

Et, comme dit Robert Lamoureux... au bout de huit ans, le canard était encore vivant.

Forcément, dit alors le colonel eurasien Leroy, l’astuce et les mots ne sont pas tout. Il nous faudrait aussi des spécialistes de la propagande, c’est-à-dire, de vrais, d’authentiques Vietminh. On en chercha.

Hier, ce « viet » s’adressait aux paysans de la rizière. Il avait une voix formidable, un élan, une puissance de persuasion. C’était ahurissant.

Nos généraux ne faisaient pas très attention au contenu des discours. Ça n’avait aucune importance puisqu’il « n’est pas indispensable de chercher à convaincre les gens avec des raisonnement ».

Comme le type était acclamé par les nhiaques, nos stratèges en déduisirent qu’ils étaient tombés sur un spécialiste de la « création des mythes ». Ils se dirent : «Voilà le gars qu’il nous faut.»

Par l’argent, l’honneur ou les femmes, ils réussirent à avoir quelques « spécialistes ». Hélas, arrivés à Saigon ou à Haiphong, les types ne valaient plus rien du tout. C’en était écœurant.

Lorsqu’ils étaient aux côtés des nhiaques, devant les nhiaques, ils reflétaient dans leurs discours, les aspirations de la paysannerie. Arrivés à Saigon. Plus de reflet. Terne, terne.

Certes, les « ralliés » parlaient encore. Ils faisaient leur possible. Ils expliquaient les beautés du gouvernement Bao-Daï. Mais les paysans ne les écoutaient plus.

Nos généraux sont très contrariés. Ils n’ont pas compris le truc du reflet. Ils croient seulement qu’ils n’ont pas trouvé les véritables spécialistes du « mythe ».

Ils cherchent.

 

SECRET

Certains documents militaires portent la mention « Secret » ou « Secret-Confidentiel ». Cela signifie qu’ils ne doivent pas tomber entre n’importe quelles mains car ils contiennent des informations vitales pour l’armée, l’État ou le pays.

L’inconvénient du procédé, c’est que, là où tous les citoyens ne sont pas d’accord sur telle action à mener. L’application du « secret » à certains documents joue souvent contre la démocratie et l’instruction du peuple. On peut dire, avec assurance, que nombre de documents furent classés « secrets », non pas pour que le Vietminh les ignore (vu qu’il n’aurait rien appris de neuf), mais pour que l’ensemble des Français n’en sache rien.

C’est en ce sens que l’exercice de la démocratie est faussé en France. On connaît le cas de journaux qui furent condamnés pour avoir dénoncé des atrocités commises par des soldats français en Indochine. Par leur verdict, les juges semblaient affirmer que les propos des journaux étaient des mensonges.

 

Or, il existe des notes de généraux,

- demandant de cesser un peu les interrogatoires avec tortures... parce que ça ne donne pas forcément de bons résultats;

- demandant de ne pas massacrer systématiquement le bétail des paysans vietnamiens...parce que de tels actes poussent la nhiaque chez le Vietminh ;

- demandant aux commandants d’unités de veiller à ce que leurs soldats soient mieux contrôlés et cessent de se livrer à des attaques à main armée dans la ville de Hanoi.

Il existe des lettres d’un général en chef demandant au ministre de la Défense Nationale de ne plus fermer les yeux sur les casiers judiciaires des rengagés spéciaux «Extrême Orient», et de ne plus lui expédier des repris de justice, non pas au nom de la morale et la civilisation, mais parce que les truands continuent leur activité en Indochine, se font boucler, immobilisent des gardiens et des juges, et accélèrent ainsi inconsidérément le jeu de la relève.

Toutes ces notes et lettres sont sous le signe « Secret ». C’est-à-dire qu’il est interdit de les publier et que le peuple de France doit les ignorer.

Et on voit au Parlement le spectacle de députés qui font l’apologie d’une armée et d’une guerre, tandis que leurs adversaires ne peuvent à leur tour lire des documents irréfutables... sous peine de prison.

Cela ne semble pas très juste. Aucun sportif n’accepterait de match de boxe dans de telles conditions.

Mais dans ce ring qui se nomme Parlement, il parait que le mot « démocratie » dissimule le pouvoir d’une seule classe. Cette classe impose une règle de jeu truquée et s’arrange ainsi pour être toujours la seule à gagner.

 

SECTIONS SPÉCIALES

Bagne militaire installé à Pointe Pagode en Baie d’Along. L’accueil consiste en un passage à tabac « simplement pour te montrer l’atmosphère de la maison ».

L’essentiel du travail se résume en « portage de pierres » entrecoupé de coups de pied et de poing.

On va aux Sections Spéciales pour une période de 6 mois... renouvelable, et pour les motifs les plus divers, depuis l’ivresse jusqu’à la désertion, en passant par la réclamation contre la mauvaise nourriture.

On peut y aller aussi comme « Cadre », mais ça nécessite un esprit beaucoup plus disposé au mal.

 

SUPPLÉTIFS

Vietnamiens enrôlés au service de l’armée française, mais d’un statut particulier.

Les supplétifs ne peuvent être déplacés n’importe où. Ils sont payée à la journée et n’ont pas de contrat.

En conséquence, île ne peuvent être recherchés pour désertion.

Mais, comme il leur est difficile de s’en aller nus, on les poursuit pour vol d’équipements militaires.

Lorsqu’ils s’en vont, c’est d’ailleurs sauvent avec leur fusil, vu que les partisans vietminh ont depuis longtemps pris l’habitude de s’engager dans les unités de supplétifs pour toucher un armement convenable.

 

TAM (NGUYEN VAN)

Président du Conseil Baodaïste en 1952/1953.

Son audace réformatrice produisit une grosse sensation en octobre 1952, lorsque dans un discours aux paysans de la zone vietminh, il leur promit qu’après leur libération », ils, garderaient les terres qu’ils avaient prises..., aussitôt qu’ils les auraient payées à leurs légitimes propriétaires !».

 

TRAITER

Verbe susceptible de signifier : bombarder, brûler, tuer, etc.

Exemple : Tel village a été traité au napalm.

 

TRINH SAT

«Agent de renseignement » Militant vietminh formé en zone non occupée puis envoyé dans le Delta pour suivre les mouvements des troupes françaises.

La brochure d’éducation destinée aux futurs Trinh Sat précise :

            « L’agent de renseignement est obligé de fréquenter tous les milieux, y compris les plus corrompus.

            Il doit s’y adapter, et pourtant, rester pur dans une telle situation.

            Il doit être rond à l’extérieur et carré à l’intérieur. »

 

VANDENBERGHE

Adjudant-chef. Commanda un corps franc, célèbre pour ses « exploits » selon les Français, et « ses atrocités » selon les Vietnamiens.

Vandenberghe partit 2ème classe en Indochine. « On l’a catalogué : « sait lire et écrire », ce qui correspond tout juste à la réalité. » (Lt P... Tropiques, février 1954.) Personne ne peut l’accuser d’avoir eu une opinion définie sur les causes et les buts de la guerre, ou même sur la situation géographique de l’Indochine. Ce qui ne l’empêcha nullement de tuer une foule de gens dans ce pays.

Sa spécialité était de se glisser en zone vietminh, et de tout détruire : matériel et êtres humains.

« On évoque, bien sûr, dans les milieux militaires de Hanoi, le brillant chef de commando. Mais, plus d’un grand patron doit, au moins en paroles, désavouer son principe : nécessité fait loi. Le rôle du commandement n’est pas une sinécure avec les hommes de Vandenberghe, et nombreux sont les différends à régler à l’amiable avec le chef de province ou ses délégués. » (Lt P ...)

Son commando était formé de déserteurs vietminh. Il en recruta de la manière suivante : Ayant fait dix prisonniers, il promit la vie sauve à celui qui décapiterait ses neuf compagnons.

Par ce procédé simple, il obtenait un nouveau combattant sûr ; d’autant plus sûr qu’il se savait déshonoré aux yeux des Vietnamiens.

Toutes les anecdotes peuvent être contestées, bien entendu. Celle-là a le mérite d’avoir été narrée par un militaire qui n’y voyait rien d’ignoble, mais trouvait, au contraire, l’astuce excellente.

Les lignes qui suivent sont plus révélatrices que cent récits de cruautés, si l’on tient compte du fait que le lieutenant P... cherchait plutôt à faire une apologie (militaire) de Vandenberghe.

            « Féodal, brutal, il s’apparente aux chefs du moyen âge.

            Ce rustre était maître et seigneur de ses reîtres.

            …..

            Vandenberghe se campe comme le baroudeur farouche qui ne semblait craindre ni Dieu, ni diable, ce qui le singularise particulièrement à notre époque. »

 

L’adjudant-chef Vandenberghe aurait pu naître allemand, et occuper la France de 1940 à 1944. Quelques centaines de petits paysans français l’ont échappé belle.

 

VILLAGE

Il y a le village qui est pour l’oncle Ho.

Ce village était paisible et soumis pendant des dizaines d’années. Il n’avait jamais refusé l’impôt en dépit de sa misère. Il n’avait pas eu à fournir des bagnards pour Poulo Condore. Il ne comprenait même pas du tout les agitateurs de la ville. Cela se passait il y a quinze ans.

A présent, ce village est un « nid de Viets ». Ses jeunes gens connaissent le fusil français, l’allemand, le japonais, la carabine américaine et le canon sans recul. Ils ne se débandent pas sous un bombardement au napalm.

Hier, un char leur aurait semblé presque un dieu terrible surgi de la mythologie asiatique.

Aujourd’hui, ils savent que le char est un tas de ferraille avec un moteur bruyant et de mauvais yeux. Ils connaissent ses angles de tir. Ils en ont pris d’assaut.

Cinquante jeunes gens sont morts dans l’affaire. Mais cinquante garçons sont morts chaque année pour tant de bonnes ou mauvaises raisons; pour une inondation, une épidémie ou une récolte déficitaire.

Voici qu’après les cinquante, il y a un jeune nhiaque assis en vainqueur sur la tourelle d’un char, dont les chenilles ont capitulé devant le « plastic ».

Tant d’hommes sont morts pour rien, si souvent, que cette fois le village oublie tout, un instant, pour bien réaliser l’incroyable exploit qu’il vient d’accomplir.

Le village aime l’oncle Ho. Il fait plus que l’aimer. Il pense par l’oncle Ho. Il sait que Ho Chi Minh parle comme lui, vit .comme lui, est pauvre comme lui.

Les nhiaques n’ont pas moins d’esprit critique que n’importe qui. Mais ils n’ont pas non plus moins besoin d’amour que n’importe qui. Et c’est la première fois qu’ils croient pouvoir vraiment aimer quelqu’un.

 

Le village ne sait pas que l’oncle Ho n’est pas seulement un nhiaque, mais un homme qui veut bouleverser son existence, et qui se livre parfois à des calculs bizarres pour trouver combien de kilos de riz peut coûter un tracteur ou un groupe électrogène. Mais le village sent bien que sa vie sera bouleversée de toutes façons. Les jeunes savent déjà qu’un agriculteur californien fait le travail de quarante nhiaques en ce qui concerne la culture du riz. Et ils savent aussi que ça n’est pas une question d’intelligence ou de force, mais de moyens techniques. Et que, de toutes façons, il faudra des tracteurs, des machines outils, et bien autre chose.

Mais, pour le moment, jeunes et vieux luttent, sans trop se soucier de ce problème.

Ceux qui défendent le village tel qu’il est, et ceux qui défendent le village tel qu’il devra être : ces deux-là sont habillée de la même façon et se battent côte à côte.

Pourtant, les troupes françaises sont arrivées. Les vieux ont dû rester parce que la terre et les tombes des ancêtres n’avaient pas bougé. Les jeunes se sont repliés, à cause du village de demain.

Et voici des Français et des Vietnamiens qui parlent de la « démocratie contre le communisme », et de « l’Empereur contre le rebelle », et qui demandent enfin aux vieux s’ils sont « rebelles » ou « ralliés ». Et les vieux ne savent pas, tout de suite, ce qu’il faut répondre. Personne ne leur dit simplement « Vous êtes occupés. » Il faut choisir entre « rebelles » et « ralliés». Ils se demandent peut-être ce que la terre répondrait.

Mais, quoi qu’ils pensent, ce ne peut être « rebelles » puisqu’il était bien décidé que le riz devait être récolté. Alors, ils répondent « Ralliés ».

 

 

Ce texte parut en 1955 dans un numéro des Lettres Nouvelles.

Devant les perspectives de persécutions (saisie de revue, etc.) en rapport avec les évènements d’Algérie, le Directeur Maurice NADEAU jugea alors prudent de remplacer certains noms par des initiales. Nous les avons rétablis dans cette version fidèle à l’originale.